Entretien avec Éric Tessier, auteur de "Alice Cooper – Le Parrain du Shock Rock"

Dans la sphère de la littérature sur le rock, Alice Cooper – Le Parrain du Shock Rock, qui vient de sortir aux excellentes Éditions Camion Blanc, est un livre-événement. C’est en effet la première biographie en français de l’auteur de Welcome To My Nightmare.

Écrivain, éditeur, chroniqueur musical, animateur de l’émission « Place aux fous – Musique » sur Radio Libertaire, Éric Tessier a concocté un ouvrage à la fois précis, riche et très agréable à lire. Éric Tessier a un ton, un humour qui sied finalement fort bien à ce sujet nous faisant pénétrer dans les sombres coulisses en forme d’entrailles du Cabinet théâtral et musical de Vincent Damon Furnier, natif de Detroit.

Passant allègrement, et tout à fait légitimement, d’Oscar Méténier, créateur en 1896, à Paris, du Théâtre du Grand-Guignol, aux GTO (Girls Together Outrageously), les groupies californiennes… évoquant les grandes figures de Todd Rundgren ou Franck Zappa que Cooper a côtoyé… revenant sur le fameux épisode du poulet supposément décapité pour remettre les mauvaises plumes à leur place, l’auteur inscrit comme il se doit le chanteur au boa sans plumes dans le cours de l’histoire de la musique et du spectacle populaire,et dans son contexte artistique et social immédiat. Il rappelle en quoi il a été, à sa manière, un précurseur, influençant plus ou moins directement le glam et, bien sûr, le gothique. Il nous peint un phénomène du rock dur à la fois extraverti et sensible, avec ses hauts et ses bas…

C’est bientôt « School’s In » ? Qu’importe, ce livre est recommandé à tous ceux qui aiment le Rock et les sensations fortes.

Vous avez de la veine, bon sang de bon sang, voici maintenant l’interview !!!

Quand as-tu découvert Alice Cooper ? Qu’a-t-il représenté pour le jeune que tu étais, qu’a-t-il provoqué en toi ? Était-ce mal vu d’aimer Alice Cooper, en France, à l’époque où tu l’as découvert et écouté ? As-tu fréquenté d’autres aficionados du chanteur ?

J’ai découvert Alice Cooper en 1971, à la télé, dans Pop 2, qui retransmettait des extraits de concert et une interview. C’était présenté par Patrice Blanc-Francard et je ne ratais jamais une émission. J’ai été fasciné par les images. Le son, lui, n’était pas terrible, mais ce n’était pas grave. Juste après est sorti l’album Love It To Death. Une révélation ! J’ai écouté ce disque trois fois par jour, matin-midi et soir, pendant des mois, jusqu’à la sortie de Killer, en fait, en novembre de la même année. Après, ça a été rebelote : Killer trois fois par jour ! J’avais douze, treize ans. C’était énorme de découvrir un truc pareil à cet âge-là. Quand un adulte te demandait ce que tu aimais et que tu répondais le rock, il te parlait invariablement de Johnny Hallyday. Il y avait un certain plaisir d’esthète, un peu pervers peut-être, à expliquer que non, tu aimais Alice Cooper et que, non, ce n’était pas une chanteuse mais un groupe, cinq mecs qui jouaient du vrai rock, bien saignant. Bien sûr, c’était l’incompréhension totale et c’était drôle. Quant à fréquenter d’autres aficionados, à part mon cousin qui aimait autant que moi, je dirai non. Il n’y en avait pas tant que ça au début. La plupart écoutait ce qui passait en radio, les tubes principalement. Moi, j’avais déjà un côté passionnel par rapport à la musique. J’étais un mordu de Creedence Clearwater Revival, je le suis toujours, et quand Alice est arrivé, ça a été pareil. Ce n’était pas un groupe de plus, ça faisait partie de ma vie, c’était presque un « engagement », si tu vois ce que je veux dire. Ça pouvait peut-être même être excessif ! – Je dis ça avec le recul évidemment…
Quel est le portrait type, selon toi, de celui qui aime Alice Cooper ? Y en a-t-il un ?
Aucune idée. J’espère simplement qu’il a de l’humour. Parce que l’humour est une des caractéristiques d’Alice, selon moi. Je n’ose imaginer ce que ça donnerait, quelqu’un qui prendrait le Coop au pied de la lettre.
Comment, pourquoi, et quand t’est venue l’idée d’écrire une biographie sur Alice Cooper ?
J’ai eu envie d’écrire cette biographie le jour où j’ai découvert qu’il n’y en avait aucune en français. Je n’en revenais pas. J’écrivais alors des chroniques musicales pour le site allomusic.com et je voulais faire quelque chose sur Alice Cooper. Ça m’a amené à faire des recherches. Et ce constat : il n’y avait rien sur le sujet. Pourquoi n’y avait-il rien de disponible sur un type aussi important, ça reste une énigme pour moi. Parce que, sans lui, Marylin Manson, Rob Zombie et compagnie n’existeraient pas. Et s’il y avait eu un bouquin, je l’aurais acheté, forcément. Ça m’a tué. Du coup, j’ai proposé le sujet à Camion Blanc qui a accepté et je m’y suis collé. On m’aurait dit, il y a 42 ans, que j’écrirai la première biographie d’Alice Cooper en français, je ne l’aurais pas cru ! En tout cas, ça a été un grand plaisir, et j’espère que ça se sent. Je suis écrivain, romancier et nouvelliste, j’ai écrit ce livre avec mes moyens d’écrivain, mais sans oublier le fan du bonhomme que je suis – un fan comme un autre.
Ton travail sur Alice Cooper t’a-t-il fait découvrir des choses importantes que tu ne connaissais pas ? T’a-t-il fait voir voir Alice Cooper d’une façon différente ? Un « autre » Alice Cooper ?
Pour tout te dire, je n’ai pas découvert un « autre » Alice Cooper. Et c’est tant mieux ! Pour avoir lu pas mal de bios, je n’avais qu’une peur : être déçu. Ça m’est souvent arrivé… Là, j’ai retrouvé un Alice Cooper correspondant à l’image que j’en avais. Un type drôle, intelligent, lucide, sans la grosse tête. Capable de se moquer de lui-même. Ce que je ne savais pas ? Sa conversion, ou reconversion, au christianisme. Le vieux mécréant que je suis a frémi. Une anecdote m’a rassuré. C’est son attitude lors de la sortie de The Great Milenko d’Insane Clown Posse, sur lequel il chante. L’église dont il fait partie a mis l’album à l’index. Du coup, il aurait pu se retirer du projet, mais non, il a assumé et continue de dire du bien dès qu’il le peut d’Insane Clown Posse. Je me suis dit qu’il avait su garder son indépendance d’esprit et ça, c’est primordial. Après, qu’il croit en dieu ou non, c’est son problème et ça ne regarde que lui !
Alice Cooper s’inscrit dans un courant donné que tu définis précisément dans ton ouvrage : le « shock rock ». Qu’apporte-t-il de personnel ? Y a-t-il quelque chose chez lui qui le sort de ce que l’on pourrait appeler la « musique de genre » ? Quelque chose qui transcende ce dit « shock rock » ? A-t-il clairement reconnu, revendiqué les influences qu’il a subies ? A-t-il au contraire cherché à donner l’impression qu’il faisait table rase du passé ?
Alice Cooper, c’est le shock rock. Il en a fixé les règles en quelque sorte, il a quasiment tout inventé. Normal, avant lui, il n’y avait eu que des balbutiements – même si c’était des beaux balbutiements comme Screaming Jay Hawkins. Je le comparerais volontiers à Bram Stoker. Il y avait des histoires de vampires avant Stoker mais, avec son Dracula, Stoker a fixé les règles. Désormais, quand tu écris une histoire de vampire, que tu le veuilles ou non, tu es obligé de te positionner par rapport à lui. C’est la référence incontournable. Alice, c’est la même chose pour le shock rock. Que tu l’aimes ou non, quand tu fais du shock rock, tu ne peux pas l’éviter. Tu es pour ou contre, mais ce que tu fais, tu le fais toujours par rapport à lui. Maintenant, je ne crois pas qu’on puisse le réduire à ce genre. J’ai eu la chance de le voir au Bataclan, en 1991. Il ne pouvait pas, à l’époque, nous offrir le show habituel avec les décors et tout ça. C’était très minimaliste… et ce fut un formidable concert de rock ‘n’ roll. La musique se passait très bien des artifices, elle tenait la route, crois-moi. Et Alice est une bête de scène, avec ou sans guillotine, avec ou sans boa.
En ce qui concerne les influences, elles sont revendiquées. Musicalement : les Beatles, les Stones, les Who, les Yardbirds. Alice Cooper fait des reprises régulièrement, ce n’est pas par hasard. Niveau spectacle, il fait explicitement référence au Grand Guignol, notamment dans The Last Temptation où il parle de « Grandest Guignol », le plus Grand Guignol – normal, on est aux Etats-Unis où tout est toujours plus grand !!!
Alice Cooper est-il en quelque chose un « précurseur » ? Quel « héritage » laisse-t-il, laissera-t-il à terme, selon toi ?
Il laissera des vrais grands morceaux. On ne tient pas si longtemps sans substance. I’m Eighteen, Under My Wheels, School’s Out, No More Mr. Nice Guy, par exemple, sont d’excellentes chansons, shock rock ou non. Même dans ses moments les plus théâtraux, Alice a toujours privilégié la composition (ou presque, il y a eu des disques ratés, quand même ! Mais pas tant que ça).

 Quelles sont les grandes thématiques abordées par le chanteur à travers ses paroles ? Quelles sont celles qui sont particulièrement originales, étonnantes par rapport à ce que l’on « attend » ou « imagine » habituellement de lui ?

Alice Cooper est, à mon avis, un parolier sous-estimé. Bob Dylan pense la même chose. Dans un écrin horrifique, Alice parle de la société telle qu’elle est. Dead Babies, morceau gothique par excellence, où une petite fille morte dort dans son cimetière, est en fait une chanson sur l’enfance maltraitée. On n’a retenu que l’aspect macabre de la chose, mais c’est oublier le fond. Et du fond, il y en a chez Alice : Elected, c’est « élection piège à cons ». Only Women Bleed et Take It Like A Woman parlent des violences conjugales, etc. Derrière les effets sanguinolents se cachent une vraie description du monde actuel. Alice se pose comme un miroir qui nous renvoie, de façon outrée, ce qu’on est.

Performance from Barry Richards’ « Turn On », circa 1971.

 

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A propos de Enrique SEKNADJE

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