Mostra de Venise 2024 – Compte-rendu n°3


Après avoir électrisé la Mostra en 2023 et même certains strip-clubs avec son expérimental AGGRO DR1FT (inédit en salle mais visible sur le site EDGLRD), ce sale gosse d’Harmony Korine est de retour avec le dingo BABY INVASION.  Plus prolifique que jamais depuis qu’il a fondé le collectif de conception multimédia EDGLRD, basé à Miami, pour mieux imaginer une fusion avant-gardiste et high-tech entre les jeux vidéo, le cinéma, la musique, la mode et le skateboard, bref toute une nouvelle culture typique de la Floride, la carrière d’Harmony Korine semble avoir retrouvé une seconde jeunesse.  Mais derrière la posture malicieuse de ses apparitions publiques (comme lors de la conférence de presse où il est apparu avec un gros cigare), Korine a toujours cherché une nouvelle voie poétique pour décrire des univers étranges et marginaux, tel un authentique artiste en quête constante d’inspiration.  BABY INVASION reprend donc le langage du jeu-vidéo (le point de vue à la première personne) pour mieux le réinventer, lui donner une certaine étrangeté entre l’abstraction et l’hyper-réalisme (des têtes de bébé sont incrustés sur des personnages qui passent le plus clair de leur temps à attaquer les occupants d’une baraque de luxe), se permettant même de mixer un mood complètement punk avec une sorte de méditation malickienne. L’expérience, déroutante à souhait, ne sera évidemment pas du goût de tout le monde, mais personnellement, j’y ai ressenti une liberté créative totale qui procure une joie absolument contagieuse. BABY INVASION ne se raconte pas mais se vit pleinement, comme un trip éveillé qui trouve une nouvelle forme de poésie moderne, avec une BO démentielle signée par Burial. A l’heure actuelle, nous ne savons pas encore dans quelle forme il sera à nouveau projeté, car il semble clair que les circuits traditionnels de distribution ne conviennent plus à Korine.


Depuis quelque temps, le « Laure Calamy movie » est devenu un genre en soi tant l’actrice est devenue incontournable au sein du cinéma français, avec sa gouaille inimitable et son expressivité débordante. MON INSÉPARABLE, très touchant premier long métrage d’Anne-Sophie Bailly, lui offre un rôle taillé sur mesure avec ce personnage de mère complètement désarconnée par le désir d’émancipation de son fils handicapé, jugé différent avec son retard intellectuel, mais dont elle a toujours pris grand soin, sans aucune infantilisation. La copine de celui-ci, également handicapée, se révèle être enceinte et le couple veut élever l’enfant, sans aucune hésitation.  Forcément, tout vacille. Et c’est dans cette remise en question de la dépendance affective, de la compréhension du désir d’autrui, que le film trouve son beau potentiel mélodramatique, sans jamais forcer le trait, juste avec ce qu’il faut de simplicité, de nuance et de tendresse, même si on aurait sans doute aimé plus de scènes autour du couple handicapé (joué par de vrais handicapés, d’ailleurs assez bluffants). Mais en prenant soin d’éviter le pathos, Anne-Sophie Bailly pose les bonnes questions sur un sujet assez sensible, ne cherche jamais à donner de réponses faciles mais rappelle juste cette belle évidence : il y a un temps pour tout.


Adaptation du best-seller de Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2018, LEURS ENFANTS APRÈS EUX de Ludovic et Zoran Boukherma, ressemble beaucoup trop à un rêve de producteur heureux d’en avoir acheté les droits. Au rayon « grande fresque sociale sur la France, la vraie », on est donc passés de Victor Hugo à Hugo Sélignac. Le choix de convier la mise en scène à un duo de jeunes réalisateurs à l’esthétique pubarde, trop vite qualifiés de petits prodiges pour des raisons que j’ignore, montre bien que la préoccupation principale était bien d’essayer d’en faire un grand film populaire touchant un large public, plutôt que d’en tirer une relecture personnelle.  Pourquoi pas, mais il aurait fallu un résultat plus intéressant qu’une illustration trop plate et trop bien formatée pour vraiment passionner ou même émouvoir. On comprend la volonté d’en faire une grande saga romanesque dans l’est de la France des années 90, motivé par ce désir de pouvoir concilier le genre du teen-movie avec le réalisme social, un peu dans la grande tradition américaine. Tout semble appuyé pour rappeler qu’on est bien dans les années 90, que ce soit dans le rappel des faits d’actualité ou les très nombreux passages musicaux qui n’ont rien à envier à Xavier Dolan dans sa manière de dragouiller les jeunes spectateurs avides de cinéma bien léché.  Mais ce qui frappe surtout, c’est à quel point le film nourrit des points communs avec L’AMOUR OUF de Gilles Lellouche, également producteur et second rôle ici (il s’adjoint le rôle du père alcoolique) et qui fut même un temps pressenti pour le réaliser.  Même fascination béate et naïve pour une idée complètement dépassée du grand cinéma, même ringardise qui semble nourrir une nostalgie pour l’imagerie clinquante à la Luc Besson, mêmes lourdeurs dans leur volonté d’être fougueux en exhibant leur ambition comme on exhibe des muscles, même déploiement de gros moyens pour un résultat qui tombe à plat (je parle pour moi en tout cas vu que le film semble avoir beaucoup partagé les festivaliers).  On sauvera peut-être les jeunes comédiens, qui font ce qu’ils peuvent ici pour apporter un peu d’authenticité à leurs personnages, que ce soit Paul Kircher, Angelina Woreth et surtout l’intense Sayyid El Alami, véritable révélation.  D’ailleurs, il est tout aussi cocasse de constater que le seul intérêt de l’AMOUR OUF réside aussi dans le talent des ses deux jeunes acteurs. Gillou, si tu me lis, contente-toi de faire un teen-movie tout simple, ce sera la bonne cette fois !

La suite bientôt …

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