Mostra de Venise 2024 – Compte-rendu n°2


Pablo Larrain clôt en beauté sa trilogie des biopics féminins, avec MARIA, consacré cette fois à la célèbre cantatrice Maria Callas, et particulièrement sur ses derniers jours (rappelons qu’elle meurt à seulement 53 ans). Toujours à contre-courant des clichés du genre (l’anti-Wikipedia en gros),  servi par un brillant scénario de Steven Knight aux dialogues ciselés et mémorables, MARIA ne prétend pas donner une approche exhaustive du personnage, dont les années de gloire semblent déjà passées, comme le résume un majestueux prologue.  Comme dans les magnifiques JACKIE et SPENCER, qui privilégiaient déjà une approche sensorielle, et qui partageaient déjà la critique et le public, c’est encore une fois la profonde détresse de l’héroïne qui est filmée avec beaucoup d’empathie pour mieux compenser toute son amertume. La Maria que nous découvrons est une femme en proie aux addictions, voire aux hallucinations, souffrant d’une maladie grave, et qui doit se résigner à faire le bilan de toute sa vie, via des flash-backs évocateurs qui ponctuent le récit.  Le choix d’un fatalisme aussi sombre que désespéré a du rebuter une partie des spectateurs, n’y voyant que peu d’enjeux narratifs. Malgré une froideur apparente, ce portrait d’une femme seule, reclue chez elle comme dans un mausolée, qui semble s’imaginer des confidents comme ce journaliste appelé Mandrax (le nom d’une drogue médicamenteuse), s’avère pourtant réellement émouvant (impossible d’oublier sa relation à la fois capricieuse et d’une tendresse infinie avec ses deux domestiques, joués par Alba Rorhwacher et Pierfancesco Favino).  Avec sa performance sobre et pudique, qui cherche moins l’imitation que l’incarnation, finalement loin d’un numéro à Oscar, Angelina Jolie trouve évidemment le rôle de sa vie (faut dire qu’avant ça, elle n’avait été convaincante qu’une seule fois, dans L’ÉCHANGE de Clint Eastwood).  Avec son lyrisme tumultueux et étouffé, l’atmosphère ouatée de la photo d’Edward Lachman, MARIA est au fond un opéra d’intérieur, qui privilégie l’intime au spectaculaire, à l’image de cette scène où Maria tente d’entonner un chant dans sa cuisine, dont la seule spectatrice sera sa domestique.

Bonne pioche à la section Orizzonti Extra avec SEPTEMBER 5 de Tim Fehlbaum, qui raconte comment la prise d’otage des athlètes israéliens lors des JO de Munich 1972 a été couverte en direct par une équipe de télévision américaine.  D’une sècheresse prenante, où la tension ne faiblit jamais comme dans un huis-clos tendu (alors que tout le drame se noue à quelques centaines de mètres et qu’on en connait déjà l’issue tragique), et porté par un casting très solide (Peter Sarsgaard, John Magaro, Ben Chaplin, Leonie Benesch et même Zinedine Soualem dans un petit rôle), la mise en scène nerveuse et acérée de Fehlbaum réussit simplement à nous captiver par son approche de l’éthique journalistique, évoquant une date-clé de la télévision américaine, sachant poser les bonnes questions sur la responsabilité des médias, dans un conflit hélas plus que jamais d’actualité, encore aujourd’hui.

Passons maintenant à la déception PLANÈTE B de Aude Léa Rapin, un film de science-fiction français qui semblait ambitieux sur le papier (une dystopie très sombre sur des activistes traqués par l’État dans une France futuriste en 2039), et qui se retrouve relegué dans une sélection parallèle malgré ses deux stars au casting (Adèle Exarchopoulos et Souheila Yacoub). Devant le film, on comprend mieux pourquoi : il y a de l’idée mais rien, absolument rien ne fonctionne vraiment malgré toutes les bonnes intentions affichées. Vu que le film se prend déjà des critiques incendiaires depuis sa projection, je n’ai pas trop envie d’en rajouter une couche. Je me contenterai de décrire l’écart abyssal entre l’intention et l’exécution (ce que Truffaut désignait comme le symptôme d’un « grand film malade »), une confusion narrative à travers l’idée casse-gueule d’une prison virtuelle et un manque de rigueur formelle qui empêche la croyance au récit, comme si le film ne savait pas comment injecter à l’intérieur du cinéma de genre des thèmes aussi ouvertement politiques comme le fascisme, le militantisme, l’écologie ou la privation de libertés.  Si on ne devait sauver qu’une chose dans cet échec, ce serait sans doute la musique de Bertrand Bonello, qui rappelle justement celle de John Carpenter, dans un film qui cherche justement à s’en imprégner sans jamais atteindre son niveau.  Car celui qui aime malicieusement se définir comme « The Horror Master » a toujours rappelé que ce sont les cinéphiles français qui en faisaient un auteur, alors que son style et sa marque de fabrique résident avant tout dans cette capacité toute personnelle à créer une atmosphère fantastique, à travers une signature identifiable, bref, à faire avant tout du cinéma de genre, où toute son expression politique finirait donc par couler de source à travers la forme même. Tout l’inverse ici, en somme.

Enfin, on n’en attendait pas autant de BABYGIRL de la néerlandaise Halina Reijn, l’une des plus belles surprises de la compétition vénitienne, surtout que son précédent film, BODIES BODIES BODIES, qui revisitait le slasher avec un certain cynisme, laissait un sentiment mitigé. Mais ce n’était peut-être qu’une porte d’entrée pour Hollywood (après tout, elle n’en était pas l’auteure du scénario) après un premier film, INSTINCT, avec Carice Von Houten (que je m’empresserai de découvrir) puisque BABYGIRL s’affirme déjà comme un projet tellement plus personnel et plus stimulant.   Tout d’abord, dissipons un malentendu, il ne s’agit pas tout à fait d’un thriller érotique (bien que le film ménage habilement un certain suspense), plutôt d’une comédie grinçante et impertinente sur les liens entre sexualité et pouvoir.  Mais qu’on se rassure : aucun schématisme binaire, aucune morale pudibonde, aucun opportunisme post-MeToo, ni même aucune complaisance dans le sado-masochisme, BABYGIRL ne tombe jamais dans les écueils qu’on pouvait craindre avec un tel sujet et ne cherche jamais à se placer au-dessus de ses personnages, pour qui on finira même par éprouver une certaine tendresse. C’est même un fabuleux hommage à la libération du plaisir féminin, un éloge du désir et de l’orgasme comme on n’imaginait même plus en voir à une époque où la génération Z voudrait de moins en moins de sexe dans les fictions. Plus le récit avance, plus le film gagne en complexité dans ce tiraillement entre l’assurance absolue et la perte de contrôle, et il s’agit par tous les moyens de trouver un équilibre intérieur dans la négociation. On peut trouver la morale trouble sur les questions de consentement, mais difficile de nier que le regard d’Halina Reijn, son intelligence ludique et son ambiguité réjouissante ne manquent pas de fraîcheur ni d’audace, rappelant même par certains aspects le cinéma de Verhoeven dans son sens de l’ironie. Entourée par les formidables Harris Dickinson et Antonio Banderas, la queen Nicole Kidman y trouve sans aucun doute le rôle le plus courageux et le plus audacieux de toute sa carrière. Rien que ça.  Sa coupe Volpi est une évidence.

La suite bientôt …

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