Premier long métrage d’un ancien assistant de Na Hong-Ji (The Chaser, The Strangers), After my death se laisse difficilement apprivoiser, dévoilant au détour de quelques plans sa nature profonde. Le film avance masqué, investissant un genre puis un autre, pour véritablement lâcher la bride dans un dernier quart d’heure à vous glacer le sang.

Le début laisse augurer un classique whodunit ayant pour cadre les années lycées, espace-temps idéal de tout un pan du jeune cinéma coréen, permettant d’aborder, en parallèle au teen-movie de rigueur, d’autres sujets plus douloureux. Une élève, Kyung-Min, est portée disparue. Son sac à dos a été retrouvé à côté d’un fleuve situé près d’un tunnel. Elle était en compagnie de deux amies, dont Young-Hee suspectée comme responsable de ce qui s’apparenterait à un suicide.

After my death frappe, dès ses premières images nimbées de couleurs froides, par la précision de la mise en scène qui croise un naturalisme blafard et une sophistication des cadrages et mouvements de caméra. Kim Ui-Seok adopte un style très affirmé qui lui permet de s’affranchir des conventions du thriller formaté et de dériver vers des contrées plus sibyllines et audacieuses.

Copyright Capricci 2018

L’enquête policière, sans être un motif purement contextuel, est néanmoins rapidement reléguée en arrière-plan, pour se focaliser sur les réactions de l’entourage face à une disparition qui va affecter les personnages et même bouleverser le cours de leur existence. C’est surtout le cas de Young-Hee, figure spectrale, épicentre d’une intrigue qui va progressivement s’affranchir du réel. Le drame intime, centré autour de la question du suicide, fléau d’une jeunesse coréenne dépressive, glisse insidieusement d’une situation de crise, ancrée dans une réalité palpable, vers le film de fantômes sans que jamais la dimension surnaturelle ne soit explicite. Et pourtant, certaines séquences comptent parmi les plus pétrifiantes vues au cinéma depuis des lustres. Toutes sont liées à la présence de Young-Hee, se métamorphosant sous nos yeux ébahis, passant d’un état à un autre : folie furieuse de la lycéenne, lors d’une danse spectrale proche de la transe, s’aspergeant d’essence après une cérémonie funéraire, discours d’effroi en langue des signes devant une classe qui ne comprend pas un mot des « paroles muettes » assassines ou encore voix d’outre-tombe en compagnie de la mère de son ami suicidé. Le réalisateur opère des changements de tons tranchants, des virages abrupts rappelant le meilleur du cinéma d’horreur, celui qui, par l’art de la suggestion et du détail, parvient à nous clouer sur place avec trois fois rien.

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Appréhender After my death comme une fable sociale pointant du doigt un système étouffant régi par le monde des adultes s’avère réducteur, d’autant que le film échappe très vite à sa dimension sociologique. Néanmoins, le suicide supposé de Kyung-min, suscite un moment de panique chez les professeurs, déconnectés de l’univers en vase clos de leurs élèves. Ces adultes, plutôt pathétiques, craignant que l’homicide ne vienne entacher la réputation de l’établissement, évoquent l’état dépressif de la disparue, son penchant pour de la « musique triste des années 90 provenant d’Europe du Nord ». L’ironie mordante de la scène est assez représentative d’un cinéma Coréen, scandée par ses ruptures de ton, se délectant des mélanges des genres. La présence de ce trait d’humour n’est qu’un leurre, laissant le spectateur respirer durant la première demi-heure avant de l’enfermer dans une spirale de noirceur jusqu’à l’épilogue effrayant. Rapidement Kim Ui-Seok (également scénariste) se désintéresse du monde des adultes, hormis la mère de Kyung-Min, impressionnante figure endeuillée, qui traverse le film, tel un cancer, symbolisant la mauvaise conscience de l’amie/amante de sa fille.

A quoi rêvent les jeunes filles ? semble s’interroger le cinéaste. A la mort, pour certaines d’entre elles, manière d’échapper à la morosité d’un réel déprimant, envers du décor d’un pays prospère. A l’amour aussi, car le réalisateur filme le déchirement d’un triangle amoureux, possible explication de la tragédie à venir. Mais   ne s’enferme pas dans un discours démonstratif, laissant à chacun le loisir d’interpréter les événements.

Le récit fait de ruptures narratives, de va et vient entre présent et passé, de brusques éclats horrifiques, s’extirpe d’une réalité tangible afin de s’engouffrer au cœur d’un cauchemar de plus en plus anxiogène. La dernière partie sidère par la capacité du réalisateur à introduire le sentiment d’effroi par un simple plan, une image, un son, un geste qui n’est pas sans accointance avec l’univers de Kiyoshi Kurosawa.

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Le monde est peuplé de fantômes. Les adultes sont asphyxiés par les contraintes économiques et les adolescents brisés par des rêves que le système compétitif et consumériste s’échine à interdire. Le phénomène du suicide, déjà abordé par Sono Sion avec Suicide club, ne donne pas lieu à une simple réflexion pédagogique sur l’état psychique de ces jeunes. Kim Ui-Seok nous emmène beaucoup plus loin, dans un no man’s land où s’entassent les secrets de jeunes individus terrassés par la tristesse. Où le suicide s’apparente à une sorte de virus contaminant une jeunesse perdue.

Hanté par des comédiennes au jeu hypnotique (Soe Young- Hwa, une habituée de Hong Sang-Soo et la jeune Jeon Yeon-Bin) After my death, auréolé du meilleur film et du prix d’interprétation au festival de Busan, s’impose comme un premier film maîtrisé, alliage parfait d’émotions rentrées et de terreur sourde.

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