Après le très bon accueil d’HaHaHa, Les Acacias distribue ce 7 décembre 2011 Oki’s Movie, présenté au festival de Venise 2010. L’auteur est tellement prolixe que la distribution française de ses films commence à prendre systématiquement un opus de retard ! The day he arrives a ainsi été présenté lors de Cannes 2011, et nul doute que In another country avec Isabelle Huppert viendra pointer le bout de son nez à Berlin ou sur la Croisette en 2012…
Bête de festival et très apprécié de la critique française, Hong Sang-soo ne ratissera cependant pas forcément son public cinéphile le plus large avec Oki’s Movie, à priori moins fédérateur et accessible que son précédent. A la base le cinéaste avait récupéré les mêmes acteurs (et le même type de budget) que pour son court Lost in the Mountains. Le résultat de son nouveau projet se révélant un peu court, Hong Sang-soo décide d’embrayer sur trois autres récits improvisés avec la même équipe, afin de compléter l’ensemble, et ainsi de livrer un faux film à sketch particulièrement étonnant.
Entrecoupé de génériques faussement identiques sur fond d’une fameuse marche d’Edward Elgar, Oki’s movie va suivre un trio de personnages joués par les mêmes acteurs mais se retrouvant d’un segment à l’autre dotés de personnalités et de comportements souvent très différents. S’ajoute à cela des narrations et des styles de mise en scène parfois divergents (tout particulièrement pour le troisième court). Au-delà des variations, il y a pourtant paradoxalement comme une construction empirique qui se crée mentalement pour le spectateur, si bien que lorsque le personnage d’Oki nous apparaît très frontalement une dernière fois lors du dernier plan, nous sommes laissés à une subtile sensation de totalité à la fois fuyante et éphémère…
Chacun cherchera comme il l’entend des significations dans ces sketchs, de leurs situations chronologiques à leurs glissements de points de vue, mais c’est peut-être un peu vain. Car on peut ici sur le même plan tout aussi bien jouer à relier les quatre récits ensembles que les détacher individuellement pour mieux les apprécier en eux-mêmes. Malgré tous ces lieux identiques revisités, ces échos de situations qui prennent de nouveaux sens… Au moins Oki’s Movie a t’’il en cela une puissance compassionnelle et mélancolique assez forte puisque jamais le réalisateur n’aura ainsi traité de la jeunesse fuyante et de ses illusions. Hong Sang-soo brasse au final un spectre tellement large et riche en émotions et faux-semblants que les trois personnages suivis finissent au fond presque par n’en faire plus qu’un seul.
Le réalisateur, comme lors de sa présentation il y a quelques mois à la cinémathèque française, aime parler de ce film comme de son véritable premier à être véritablement dénué de structure. Une provocation de plus pour les critiques théoriciens qui décortiquent son oeuvre? Malgré la complexité en surface de l’ensemble, le spectateur se retrouve pourtant bien ici dans un univers au fond débarrassé de tout dispositif, puisque profondément aléatoire dans son traitement de l’identique et de l’altérité…ce qui est sans doute le plus pénible pour le spectateur cartésien.
Le cinéaste pousse en fait ici à bout ses principes de ruptures discursives et de ton. Elles ne passent plus seulement par des comportements surprenants ou de brusques envolées de colères (très souvent opposés à une mise à nue de comportements convenus hypocrites, ou tellement détachés qu’ils en deviennent inhumains) ; mais aussi au travers d’une mise en évidence de l’artificialité de la grammaire cinématographique, qui n’a jamais été aussi radicale chez lui jusqu’ici. Sans que l’on soit dans la mise en abyme ou la démonstration… Comme dans Conte de Cinéma, les professionnels de cinéma ou ceux en devenir ne sont jamais montrés dans le cadre de leur métier, c’est simplement leur réalité au milieu du reste. C’est ainsi également qu’Oki se promène au final avec ses deux amours dans la dernière partie…
S’il pouvait encore y avoir une grande conscience esthétique dans un film comme La vierge mise à nue par ses prétendants, au trio à priori similaire, ici la mise à nue de tout artifice est de mise. Au sein même de chacune de ces histoires, on retrouve en toujours plus épurées certaines situations émotionnelles très ambigües, où les personnages ne semblent jamais  évoluer dans le même monde (une conversation maître-élève, un très long baiser, une douce scène post-coït…). Au niveau du fonctionnement d’ensemble, ce sont plutôt les creux et les chocs provoqués par toutes les juxtapositions entre identique et altérité qui s’avèrent les sources d’un rare hébétement dés-intellectualisant.
Les constructions narratives et esthétiques apparaissent ainsi dans toutes leurs relativités, sans pour autant être niées ou déconstruites : elles sont justes une réalité humaines, aussi touchantes que les illusions dans lesquelles vivent souvent (et s’échappent parfois)  les personnages du cinéaste. C’est un élément clé de ce processus de création tant vanté par Hong Sang-soo. Tient-il de Wiggenstein ou de Tchouang-Tseu ? Hong Sang-soo a en tout cas un peu à voir avec tous ceux qui se seront peu ou prou intéressés au langage comme une donnée aussi structurante que souvent trompeuse.
Sortie le 7 décembre 2011

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A propos de Guillaume BRYON-CARAËS

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