Hiner Saleem – "My sweet Pepperland"

Après le tendrement loufoque, Si tu meurs, je te tue, Hiner Saleem confirme, de façon jubilatoire, sa place à part dans un cinéma, jouant sur les frontières narratives et géographiques.

     

Barand, officier de police, débarque dans un no man’s land, au carrefour de l’Iran, l’Irak et la Turquie. Loyal et décidé d’en assurer la bonne marche, il va se heurter à la corruption locale, représentée par le peu scrupuleux Aziz Aga et aider une courageuse institutrice, Govend, décidée à faire évoluer le village… A la fois western oriental, -« eastern » est un néologisme qui convient bien à Saleem-, comédie dramatique, bijou d’humour absurde et film romantique, My sweet pepperland fait preuve d’une inventivité rafraichissante, depuis  sa rocambolesque  galerie de personnages jusqu’à ses situations décalées, le tout traité plastiquement, de façon originale et séduisante. Ainsi, le film ouvre sur une scène tragi-comique montrant les aléas de la peine de mort : «  Vous n’avez rien préparé ! » s’offusquent les bourreaux. Pris de court, Barand apparaît au premier plan, se détachant à l’horizon. Jeux de regards, plans surexposés, hors champ. Une corde de fortune pour pendre le coupable est trouvée in extremis. « Le pendu n’est pas mort ! ». Panique : ce cas-là n’est pas prévu dans la juridiction locale. Cut sur la belle Govend (Golshifteh Farahani qui illuminait déjà de sa présence Si tu meurs, je te tue) qui joue d’un instrument curieux, le hang. Elégance des raccords et simplicité des enchainements qui font mouche : la mère de Barand lui tend la photo d’une grosse femme qu’elle voudrait lui présenter dans le but non dissimulé, de les voir convoler. Cut : Barand reprend du service, même s’il s’apprête à réguler un genre de terrain vague, à la frontière du Kurdistan avec l’Iran et la Turquie. La drôlerie est frontale, fuse. A Barand à qui l’on rappelle que « En ville, il y a du business, il y a tout », il rétorque impassible « Je fuis ma mère ! ». L’arrivée à cheval de la jeune institutrice dans une taverne-saloon de guingois intitulé « Sweet pepperland » est une vraie scène de western. Hostilité sourde des hommes qui traficotent, jouent aux cartes, la cowgirl solitaire va heureusement et hélas ! bientôt trouver un allié en la personne du nouveau commandant local, Barand. Heureusement, car Barand apparaîtra comme le seul honnête homme de pouvoir ; hélas ! car bien vite, les médisances à leur sujet s’en vont faire le tour du pays et la notion de « l’honneur » surtout dans la bouche des bandits, est un gimmick qui vire à l’obsession. Un des thèmes qui préoccupe Hiner Saleem, comme c’était déjà le cas dans Si tu meurs je te tue où la « dignité » de Golshitfeh était  invoquée et débattue. Voilà ce qu’en dit l’auteur dans le dossier de presse : « Il est temps de séparer la question de l’honneur de la vie sexuelle. S’il faut imposer le voile à quelqu’un, que ça soit à l’homme ! ». Pour son père et ses frères, il s’agit d’avantage du regard des autres que le comportement de Govend qui pose problème. D’ailleurs, ils se querellent comiquement à son sujet, sorte de Pieds Nickelés kurdes. Leur parente est trop moderne pour eux ; d’ailleurs, elle joue du hang, instrument traditionnel kurde, mais qui a été mis au point par des hippies suisses ! Govend et Barand sont citoyens du monde, alors que leurs ennemis sont les petits caïds d’un no man’s land.

A propos de la scène d’ouverture, Saleem raconte qu’il s’est inspiré d’une anecdote absurde: « Pour la toute première condamnation à mort du pays, les autorités ont du emprunter une corde à linge aux propriétaires de la maison voisine pour pouvoir pendre le condamné ! ». (à noter, que depuis, la peine de mort est abolie au Kurdistan. ) Autre incursion de la réalité dans la fiction, certaines des femmes qui incarnent les résistantes ont vraiment pris le maquis pendant des années, donnant corps à leurs propos: « Quand tu es kurde et femme en Turquie, le maquis c’est la liberté ». L’épatant Korkmaz Arslan (Barand) et Golshitfeh sont entourés de comédiens non professionnels, recrutés sur place.  Le ton prédominant du western est lié aux décors naturels rappelant le far west et octroie une grande liberté au réalisateur qui s’amuse à faire voyager  ses personnages, empêchés par la corruption, la société, ses traditions… dans autant de genres narratifs : on passe de la vendetta au film romantique, du loufoque au drame, sur un tempo libre et inclassable, à l’image de ce hang, si traditionnel et suisse !

 

C’est justement en transcendant largement les frontières moyen-orientales et dramaturgiques, dans ce fusionnement subtil des tons et des influences, cet art du contrepoint entre un burlesque sur le fil de la tragédie, ou un social frayant avec la romance, que le cinéaste sait rendre son propos universel. Le souhait de Hiner Saleem est parfaitement réussi : parler  « avec émotion et humour » d’un pays écartelé entre progrès et tradition. « Car on dit que Dieu a créé dix kurdes et le onzième pour les faire rire ». Sans nul doute, Hiner Saleem est ce kurde-ci. 

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