L’art de vieillir

Après avoir rhabillé avec grandeur Tom Cruise de son blazer de cuir resplendissant, offert la dernière apparition bouleversante de Val Kilmer à l’écran, et à nous, un blockbuster bourré de nostalgie et d’actions cérébrées (avec Top Gun Maverick), Jospeh Kosinski s’attaque avec F1 à une nouvelle idole, Brad Pitt. Filmé en vieux loup de mer dépassé, les chaussettes dépareillées, la gueule enfarinée et marquée par une vie de campeur à truster les courses automobiles de quartier, un retour en grâce lui tombe du ciel, lui le papy dont tout le monde a oublié l’existence : une place dans la plus prestigieuse des compétitions, la Formule 1. Roue de secours sortie de nulle part (il n’est que le 9ième choix, après 8 refus précédents de pilotes), il va alors se confronter dans un duel générationnel au tiktokeur rois des réseaux Joshua Pearce, la vingtaine et toute son immaturité. Dans cette opposition sur-appuyée, Kosinki dans un modèle passéiste à la fois par sa pétaradante mise en scène et son discours old-school machiste (et la gueule géométriquement parfaite de Brad Pitt qui prend tout le cadre) réussit un tour de force bluffant de faire du vieux avec du vieux, sans jamais que rien n’en sorte ringard ou maladroitement dépassé.

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Il y a l’immersion, réussie, avec un visuel accrocheur et asphyxiant qui nous installe en première personne dans le cockpit, il y là une volonté d’intégration du spectateur à une action ininterrompue, les courses s’enchaînent et défilent à une vitesse folle, les enjeux sont bâclés, réduits au minimum (gagner une fois un Grand prix), le scénario délaissé laisse donc toute place au ressenti, à l’oppression d’une accélération, l’irisement des poils d’un dépassement, la peur d’un accident. Le cerveau s’éteint pendant que le corps, lui, prend le pas dominé par des sensations primitives. Il y a donc une réelle jouissance à se laisser emporter par l’euphorie de la célérité, et cette quête incessante du millième de seconde qui change une vie. Mais face à ce vide scénaristique, Kosinki n’en délaisse pas moins, à l’image de son Maverick et Tom Cruise, une place de choix à l’ami Brad. Au lieu de jouer les pères la Morale du vieux briscard, il le positionne en corps sacrifié, une forme d’abandon où par ses propres erreurs, il permet à Pearce de gagner et progresser. Il y a ici une réelle beauté par l’imaginaire d’une maturité de l’effacement et non de la domination, une sérénité face à l’échec, l’acceptation d’être humilié, raillé par une presse intransigeante pour la noblesse d’une cause, celle d’offrir à l’autre la place qu’il mérite tant. Dans cette quête de l’humilité, Brad Pitt y trouve une place de choix, car malgré sa beauté plastique toujours aussi fascinante, sa mine est, elle, marquée par des rides dessinées, une énergie éteinte, un ultime tour de piste qui renvoie avec auto-dérision à une carrière à rallonge qui s’effiloche. Et qu’il est triste de vieillir, mais qu’il est rassurant de le faire à côté de nos idoles, et de voir, tout comme Tom Cruise et désormais Brad Pitt chez Kosinki, que personne n’est éternel, et que les années passant, il n’y a plus à combattre, mais à accepter l’inéluctable sort de la disparition.

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Par un cinéma profondément généreux, Kosinki offre à Brad Pit, un baroude d’honneur où vieillir n’est pas mourir, ni se transformer en vieux réac’ imbitable, mais bien se muer en un être sacrificiel pour une nouvelle génération qui, soyons honnête, et au vu des temps qui courent, va sacrément galérer. Alors qu’il est bon parfois de vieillir, détaché des enjeux du monde, et des tours de pistes. Et lorsque les pneus usés sont à deux doigts de la jante, rien de mieux que de s’effacer et laisser sa place, avec humilité et apaisement.

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