Il y a chez les réalisateurs scandinaves ce fâcheux trait de l’auto-dérision narquoise, le regard en biais sur le ridicule et la pesanteur des conventions sociales, des pamphlets pouvant tantôt vriller en pugilat (Festen de Thomas Vinterberg), tantôt en concours de vomi régressif (Sans Filtre de Ruben Östlund), tantôt en histoire polyamoureuse (Julie en 12 chapîtres de Joachim Trier), tantôt en quête d’attention mortifère (Sick of Myself de Kristoffer Borgli), le tout biberonné jusqu’à la lie à la sauce bergmanienne. Dans cette grande famille de flingueurs nés, voilà débarquer un petit nouveau qui n’a rien à envier à ses grands frères. Ernst De Geer, suédois d’origine, et dont Sous Hypnose est le tout premier long-métrage, s’impose tambour battant dans une revue libératrice et casseuse de code qui n’épargne personne, surtout pas lui-même, dans ce mitraillage en règle d’un concours de pitch vaniteux pour applications faisant directement écho à son propre monde, celui du cinéma, et ses bastons d’élocutions incessants pour décrocher la timbale du producteur blindé. Ici, point de pitch de film, mais bien ceux de star-stups censés révolutionner notre Monde agonisant. Vera et André, beaux comme des Dieux Uniqlo, sont prêts à tout exploser, remontés et coachés pour convaincre, ils sont surtout persuadés de l’implacable grandeur de leur projet (une application pour smartphone pour les femmes afin de mieux pouvoir gérer leur cycle menstruel, suivi de grossesse, pathologies intimes, …). Direction donc vers un Centre des congrès pour aller choper l’oseille dans la poche d’investisseurs. Mais avant le grand jour, Vera fera un détour chez une hypnothérapeute pour tenter d’arrêter de fumer, pas vraiment emballée par cette idée new-age un peu barrée, son sort s’en verra pourtant bousculé.
De cette merveilleuse scène d’élévation littérale et physique, Vera décolle, s’affranchit de la lourdeur adulte, de la bienpensance de raison, du poids des règles pré-établies, du devoir de réserve, du mensonge qui accapare les small talk de couloirs, de ce devoir d’exemplarité, de démonstration, cette entêtante et radicalité de devoir être celui qui représente mais qui n’est plu, tout semble désormais à ses côtés une farandole de mauvais acteurs de seconde zone, jouant un rôle dans une vie qui ne leur appartient plus. Et Vera, seule visionnaire parmi les aveugles et les fous, dénote, s’isole, car lorsque la clairvoyance atteint l’obscurité, comme un faisceau de lumière pénétrant les ténèbres de la paresse intellectuelle, il éblouit, Vera éblouit, choque, et maltraite ses semblables qui ne la comprennent plus. Mais la vérité, celle qu’elle impose aux regards ahuris de cet univers social en auto-gestion, c’est celle d’une naïveté d’enfant, sans candeur ni mièvrerie, mais une profonde introspection infantile qui jaillit en fureur de vivre. D’un tel comportement naîtra bien sûr le malaise, la grossièreté, le rejet et l’humiliation. Mais nous délectera, à nous spectateur complice de cette grande guignolesquerie, d’un bonheur pervers, celui d’une joie éhontée de rire du comportement de Vera et voir son glissement progressif vers l’incontrôlable, un doigt d’honneur jubilatoire à toute cette fausse décence et sourires en coins que l’on aimerait tant de fois envoyer valser, mais que le poids des pseudo-responsabilités sociales et professionnelles nous empêchent de réaliser.
Car lorsque deux mondes se confrontent avec vigueur, celui d’une Vera et son anti-crise de nerf (car celle-ci est donc libératrice et non asphyxiante) face aux entrepreneurs taillés dans la roche de la conformité puis sa famille et une mère castratrice momifiée dans la bienpensance, tout explose. Et là où André aurait pu tourner le dos à son épouse, et rejoindre le camp du respectable, il quitte la photo de groupe, et emprunte l’attitude de Vera dans une scène finale hilarante et jubilatrice, lui se transformant en chien pisseur sur le tapis de belle-maman. Avec Sous Hypnose, De Geer fait imploser codifications sociales et bienpensance lourdingue par l’acte libérateur d’une Vera enfin déliée du poids asphyxiant des responsabilités morales lors d’une anti-crise de nerf irrésistible.
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