Remarqué pour ses court-métrages à l’univers décalé et aux titres absurdes (Excusez-moi je cherche la salle de Pingpong, Demande en mariage en montagne), le jeune prodige autrichien Bernardht Wenger, 32 ans passe au format long avec Peacock. Décrivant les affres d’un personnage perdu dans une société du spectacle où il est sommé de faire la roue, le réalisateur questionne dans sa nouvelle œuvre placée sous le signe symbolique du paon ce qui subsiste de notre personnalité une fois le rideau baissé et les premiers artifices tombés, à l’ère où la mise en scène de soi apparaît numériquement comme un rite obligatoire.

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On se souvient du formidable film de Werner Herzog, Family Romance, LLC (2019) qui s’intéressait à un concept « d’imposture » existant au Japon, celui d’une agence de services proposant à ses clients de leur louer un acteur ou une actrice capable de jouer un père, une mariée, des amis éplorés pour des funérailles, voire un corps dans un cercueil. Le créateur original de l’entreprise y rejouait son propre rôle pour expérience cinématographique hors du commun et troublante y compris en réinventant sa solitude. A partir de ce même point de départ mais optant pour la fable sans la dimension documentaire d’Herzog, Bernardht Wenger suit les aventures de Matthias, jeune trentenaire, incarnant le gendre parfait au sein de l’agence « MyCompanion » ; on peut louer sa compagnie pour quelques heures afin de faire chic dans une soirée mondaine, s’inventer le temps d’un dîner de charité un fils admirateur ou plus simplement s’entraîner à avoir du répondant face à un mari un peu trop acariâtre et despotique. Si le héros excelle dans cet art du paraître en société, ayant l’ethos pour incarner tous les rôles, ce dernier est en proie à une crise existentielle lorsqu’il réalise qu’il ne sait plus qui il est. Face à l’absurdité d’un monde où il est dépossédé de toute individualité propre, Matthias sombre dans une lente dépression qui le conduira à se rebeller, parachevant sa crise existentielle dans une scène finale d’une délicieuse insolence.
La construction de ce Black Mirror sardonique est simple, enchaînant les échanges et situations entre les divers protagonistes (membres de l’agence, clients, relations intimes du héros et quelques autres personnages extérieurs récurrents) à travers un scénario efficace, présentant la très soudaine catabase de Matthias comme un déboussolement inéluctable dans son existence. Le récit fait la part belle à une remarquable galerie de protagonistes, à commencer par une représentation particulièrement positive de l’amitié masculine, mais aussi des personnages féminins solidement écrits qui ne renoncent jamais à leur autonomie. L’interprétation subtile d’Albrecht Shcuch porte Peacock, à l’image de cette très belle scène où la dépression s’impose frontalement à Matthias en plein milieu d’une prestation d’art contemporain expérimentale où le spectacle se fait l’écho cathartique des peurs enfouies et refoulées.

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Malgré ses qualités scénaristiques, on a du mal de prime abord à saisir la complexité du personnage et la portée du film tant Matthias apparaît dès le départ comme dépourvu de caractère, dans ses relations intimes comme dans ses investissements émotionnels, dépassé et écœuré par sa propre vanité. Le film peine à rendre compte de ce passage à vide qui nous est brutalement imposé et manque de progression comme de radicalité dans sa monstration, oscillant timidement entre satire sociale, drame ou comédie noire et refusant toute entreprise formelle pour épouser une esthétique sobre aux allures de téléfilm. Le travail de saturation et d’épuration de l’image, à travers les plans larges mêlant aux grands intérieurs vides et épurés des extérieurs noyés d’une nature écrasante permet tout de même de présenter des dédales quotidiens, reflets de la vacuité de l’existence du héros, mais l’académisme de l’œuvre déshonore un dénouement impromptu pourtant très réussi, l’aspect « décalé » n’épousant pas jusqu’ici une radicalité esthétique et dramatique qui pourrait servir son propos.

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Plus assagi – et donc plus digeste – que celui d’un Ruben Östlund, le regard interrogateur et satirique sur la société du spectacle et l’inauthenticité des rapports sociaux crée un climat intimiste aussi émouvant qu’amer. Bernardht Wenger adopte une posture empathique envers un personnage pathétique et révolté, le cynisme laissant très vite place à une tendresse forcenée. S’efforçant de ne jamais juger, il permet habilement au spectateur de s’identifier aux situations présentées et d’y projeter ses propres faiblesses. Comédie noire qui sonde la psyché humaine et interroge la superficialité de la théâtralisation de soi à outrance, ce premier long-métrage intronise définitivement le réalisateur au rang de jeune cinéaste d’Europe centrale qu’il faudra suivre de très près !
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