ll est des films qu’on apprécie pour leur inventivité, leur singularité, l’étonnement constant qu’ils procurent et d’autres pour leur classicisme enchanteur, comme si l’absence de surprise, pressentir leur contenu, constituait en soi une satisfaction. Se sentir chez soi, heureux au milieu des archétypes, c’est tout à fait ce qu’il nous fallait. Circus Of Fear appartient indéniablement à cette deuxième catégorie. N’attendez donc pas des délices de formalisme ou de mise en scène, dans ce Krimi pur jus, film à mystère dans toute sa splendeur avec son assassin à démasquer et son twist final. Rappelons pour les non-initiés que le Krimi (contraction de Kriminal Films) – défini souvent comme précurseur du giallo italien – désigne une vague de films policiers allemands adaptés de l’auteur britannique Edgar Wallace, de la fin des années 50 jusqu’au début des années 70. Produits par La Rialto, avec pour fidèles réalisateurs Alfred Vohrer et Harald Reinl ils portaient des titres aussi parlants que L’Énigme du Serpent Noir (1963), La Serrure aux 13 Secrets (1964), Le Crapaud Masqué (1963), Le requin harponne Scotland Yard (1962) ou encore La Grenouille attaque Scotland Yard (1959), donnant envie de s’y précipiter.

Circus Of Fear constitue l’une des trois adaptations de Wallace par Harry Alan Towers dont les co-productions avec l’Allemagne de l’Ouest permettront à Jess Franco de réaliser avec Christopher Lee ses Fu Manchu, Bloody Judge, Dracula, Eugenie – The Story of Her Journey Into Perversion, mais aussi 99 Women. Edgar Wallace retrouve donc pour ainsi dire ses origines puisque le film est réalisé par le britannique John Llewellyn Moxey, qui retrouve pour l’occasion Christopher Lee, déjà dirigé dans le beau et curieux La cité des morts (1960). Circus of Fear  n’abandonne pas totalement ses traditions germaniques, puisqu’il hérite aussi des trognes de Klaus Kinski et Heinz Drache, des habitués du Krimi.

Tout commence avec un hold-up tellement banal qu’on se demande à quel moment nous pénétrerons sous le chapiteau pour que Circus of fear se raccroche enfin à son titre, et cette interrogation constitue le premier rapport ludique qu’entretient le film avec le spectateur. En plein Londres, une bande de malfaiteurs vole l’argent d’un fourgon. Après qu’un convoyeur, de mèche avec les voleurs, ait a tué son collègue, le commanditaire le charge de ramener sa part du butin. Il arrive sur les lieux, un cirque apparemment abandonné, où en guise de remerciement  il finit avec un couteau dans le dos. Dès lors nous ne quitterons pas le cirque – bien en activité – dans lequel sévit ce mystérieux assassin aux motivations indécelables.  Avec ses suspects, dont le coupable n’est probablement pas celui qui en a le plus l’air, son inspecteur de Scotland Yard déguisé en photographe, ses trapézistes et ses fauves, c’est peu dire que nous nous trouvons en terrain connu, puisque Circus of Fear cumule à la fois les archétypes du policier et des cirques de l’épouvante tels le magnifique Cirque des horreurs de Sidney Hayers, le très moyen Berserk! de Jim O’Connolly ou même des déclinaisons fantastiques comme Le Cirque des vampires de Robert Young et Mutations de Jack Cardiff. Remarquons au passage que ce sous-genre ne quittera quasiment jamais la Grande-Bretagne. Tous les ingrédients de fascination foraine sont donc réunis, du dangereux numéro de lancer de couteaux au fauve indomptable, jusqu’au sarcophage dans lequel disparaissent de potentielles victimes, sans oublier l’incontournable nain (souvent fourbe, faut-il le rappeler ?). Chaque poncif circassien est donc l’occasion de séquences de suspense, dans lequel on présuppose que le criminel interviendra. A ce titre, le scénario se révèle particulièrement habile car, sans être révolutionnaire, il parvient à surprendre dans son déroulement, à induire en erreur sur l’instant des crimes, et maintenir en haleine jusqu’au bout, jusqu’à l’identité de l’assassin. Sur le plan graphique, aucune effervescence gore, le film jouant moins sur le théâtre de la violence que sur un agencement de coups de théâtre.

© Le Chat qui fume

Entre le braquage inaugural semblant désormais loin derrière, le secret du dresseur défiguré, le désir de vengeance du Monsieur Loyal guettant l’assassin de son père et l’évocation d’un lanceur de couteaux légendaire… une question nous taraude : comment diable le scénario va-t-il parvenir à relier tous les fils de son intrigue pour converger vers une seule et même révélation ? Et l’écriture est suffisamment efficace et astucieuse pour qu’il relève le défi, de manière il est vrai assez farfelue. Mais était-on venu chercher la crédibilité ? La présence de Suzy Kendall (L’oiseau au plumage de Cristal, Torso)et  Margaret Lee (Les Insatisfaites poupées érotiques du professeur Hitchcock) suffirait à combler nos attentes, mais on y retrouve également des gueules qu’on adore : outre le trop beau suspect numéro 1 Christopher Lee et Klaus Kinski, celle de Leo Genn (Lizard in a Woman’s Skin, Die Screaming, Marianne, Frightmare) dans le rôle de l’inspecteur et de Victor Maddern (le bossu défiguré du Sang du Vampire).

© Le Chat qui fume

La mise en scène de Moxey est carrée et efficace, à l’image de la belle photo d’Ernest Steward, assez typique de la direction artistique de bon nombre de productions anglaises de l’époque, allant même jusqu’à rappeler – bords de la Tamise oblige – celle de Frenzy d’Hitchcock. On ne s’étonnera pas que ce fidèle collaborateur de Ralph Thomas (Plus Féroce que les mâles, Some girls do) ait photographié plus d’une trentaine d’épisodes de Chapeau Melon et Bottes de cuir, dont Moxey en réalisera d’ailleurs un.

© Le Chat qui fume

Alors, quelle est la bonne recette d’un Krimi – à ne pas confondre avec celle du kimchi, chou coréen ? Des fausses pistes, une bonne dose d’ironie, des révélations – ah non, ça ne peut être lui, puisqu’il reste une demi-heure –, d’autres révélations pour finir sur un twist avec un mobile criminel tordu. La modestie de Circus of Fear (et des Krimi en général comme tout bon genre populaire) est pour beaucoup dans le plaisir qu’il procure. Tout est dans cette atmosphère faussement anxiogène, de connivence avec le spectateur entraîne dans un spectacle joueur, cette sensation de légèreté que vient soutenir la partition jazzy de Johnny Douglas. Circus of Fear se regarde donc avec délectation comme on savoure un bon petit verre de vin rouge. Je ne sais pas pour vous, mais moi, je vais me resservir !

© Le Chat qui fume

 

Niveau qualité du master, de la copie, pour Le Chat qui fume, nous allons finir par nous contenter de faire un copier/coller des remarques de notre précédente chronique : master nickel, superbe colorimétrie, grain de l’image d’époque…  c’est impeccable. Exceptée la bande annonce d’époque, et un chouette mini livret de deux pages de Christophe Lemaire, l’éditeur ne propose qu’un seul supplément, mais il est particulièrement enrichissant. Eric Peretti ne fera jamais dans l’analyse nébuleuse ou la sur-interprétation. Il s’intéresse donc à Circus Of Fear de façon informative et historique, aux carrières respectives des acteurs, du réalisateur et du producteur – avec un petit art du potin fort bienvenu – transmettant avec passion sa connaissance du sujet, offrant moult anecdotes concernant Circus Of Fear, ses origines, son circuit de distribution, ses différentes versions, et sa place au sein de l’industrie cinématographique de l’époque. Son érudition est d’autant plus communicative qu’Eric Peretti est aussi brillant qu’il est modeste –  quelque chose de plus en plus rare dans le paysage de la cinéphilie actuelle.

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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