Carlotta présente une magnifique copie restaurée 4 K de Souvenirs d’en France, initialement sorti en 1975, grâce à un méticuleux travail de restauration effectué à partir de deux copies, le négatif de 16 mm prêté par la Cinémathèque de Toulouse et une copie en 35 mm. Les plans initiaux, abîmés, ont pu être rajoutés, ce qui permet d’enfin revoir dans son intégralité ce film magistral qui a scellé avec succès l’entrée d’André Téchiné dans la galerie des cinéastes de films d’auteur.

 

Capture d’écran, DR, © CarlottaFilms`

 

Capture d’écran, DR, © CarlottaFilms

 

Souvenirs d’en France entend retracer quarante ans de la grand Histoire, des années 30 aux années 70, à travers la petite histoire d’une famille d’industriels du Sud Ouest. C’est justement ce dernier aspect qui nous éloigne de la fresque sociale proprement dite, témoignant du parti pris du réalisateur pour le romanesque mineur plutôt que pour le récit d’ampleur. L’histoire commence à la veille de l’avènement du gouvernement de Front Populaire, le film s’ouvrant sur un ouvrier cherchant du travail devant l’industrie de métallurgie de la famille Pedret. Pierre (Pierre Baillot) y fait la rencontre de la blanchisseuse Berthe (Jeanne Moreau), qui l’incite à se présenter à l’usine le lendemain, car elle n’est fermée que pour cause de mariage. La famille Pedret célèbre l’union de son fils Prosper (Claude Mann) avec Régina (Marie-France Pisier), une bourgeoise exubérante et affétée. Berthe entrera elle aussi dans la famille, comme par effraction, en épousant le fils aîné, Hector (Michel Auclair). Elle forme une espèce d’alliance sociale avec le père et patron de l’usine, un immigré espagnol, dont la figure amène contraste avec l’austérité de son épouse, une bourgeoise soucieuse de son rang et de sa respectabilité. La composition familiale est ainsi nourrie de tensions qui tiennent à l’extraction sociale des personnages et à la personnalité qu’elle leur dessine.

 

Capture d’écran, DR, © CarlottaFilms

 

Jeanne Moreau campe une femme décidée et volontaire, qui prend en main la direction de l’usine et gère méticuleusement les comptes. L’actrice porte le film par sa présence forte, aux côtés d’une Marie-France Pisier extraordinaire avec son personnage éthéré et fantasque. Berthe et Régina remettent en cause une certaine idée de l’ordre bourgeois, chacune avec l’aplomb que lui a conféré sa classe. Régina plane au-dessus des convenances et permet de saisir combien la désinvolture et le détachement relèvent d’une posture sociale de nantis. Sa réplique « Foutaises ! Foutaises ! », clamée à la sortie d’un film où tout le monde pleure, est restée célébrissime dans tous les esprits des spectateurs de Souvenirs d’en France, comme symbole d’une outrance qui nourrit sa légitimité d’une position de surplomb. Quant à Berthe, elle se fait une place dans un monde qui n’est initialement pas le sien, elle occupe même le devant de la scène lorsqu’elle se retrouve décorée pour faits de Résistance au lendemain de la Guerre. Ce personnage, consacré héroïne malgré elle, ayant seulement agi comme elle pensait qu’elle devait agir, incarne un certain esprit de rébellion en s’emparant des insignes politiques et sociaux par ses actes, qu’ils soient de bravoure ou de bravade. Ses transformations sont remarquablement portées à l’écran au gré de ses changements de costumes et de ses perruques plus surprenantes les unes que les autres, Jeanne Moreau se distinguant avec ce rôle de tous les autres personnages.

Capture d’écran, DR, © CarlottaFilms

 

Mais l’originalité de Souvenirs d’en France tient plus à sa forme qu’à ses figures. Derrière la modeste ambition de tracer les fines nervures d’une famille de province, la mise en scène se révèle d’une grande stylisation, dans son souci de former des tableaux visuels et musicaux exemplaires – au sens où ils illustrent des partis pris esthétiques radicaux. La photographie de Bruno Nuytten et la composition de Philippe Sarde (Hôtel des Amériques) y concourent pour donner aux scènes une unité qui les fait ressortir de l’ensemble. Nous pensons à la scène d’ouverture où Pierre apparaît, suivi de Berthe, et par laquelle le spectateur entre par le petit fait social dans l’intrigue, mais aussi aux scènes de noces, à la scène de sortie du cinéma, presque chorégraphiée avec ses beaux parapluies qui s’ouvrent dans la nuit, cachant les visages en pleurs des spectateurs. Les ellipses narratives brossent l’Histoire à grands traits, ne gardant de sa dynamique générale que les temps forts (le Front Populaire, la fin de l’Occupation, les luttes sociales, les années gaulliennes et pompidoliennes), pour mieux faire ressortir les histoires personnelles. Plutôt du côté du fragment que de la reconstitution, et plutôt du côté de la scène brève que de la narration totalisante, c’est ainsi que s’élabore la trame des « souvenirs »: sous une forme parcellaire et quasi-épiphanique, mais fortement localisée dans une histoire familiale donnant sa cohérence au temps long.

Durée : 1h35

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