Un minuscule aparté, en préambule : la littérature jeunesse, comme la littérature adulte, est fragile. Depuis quelques mois, nous ne pouvons plus compter les rumeurs de difficultés de tel ou tel éditeur, constater la réduction drastique des service presse (alors qu’un livre jeunesse, peut-être encore plus que pour un livre adulte, c’est un format, un papier, une manière d’aborder par la forme le contenu, pour nos jeunes lecteurs), pleurer les anciennes fidélités qui ne peuvent plus continuer face à la période tendue que nous traversons tous. Le danger est comme partout le même : un appauvrissement de l’offre, la disparition des petites structures, une tendance à la répétition plutôt qu’à la tentative, à la créativité.

Mais nous croyons avec force que la littérature est ce qui forme le citoyen de demain. Ce qui l’éveille et le sauvegarde des pensées uniques. Ce qui lui offre aussi, à rêver, tout simplement, dans un monde où tout va mal. Acheter et offrir un livre jeunesse est un acte citoyen, et même si le geste peut sembler dérisoire : lisez, achetez, offrez ! C’est le plus beau des cadeaux que vous pouvez faire, pour aujourd’hui comme pour demain !

 

Roxane Lumeret — Comme une chaussette orpheline (La partie)

 

Lapin est triste : sa lapine est décédée. Et il a beau avoir recouvert les murs de ses photographies, elles commencent à jaunir et s’effacer. Il n’a plus le choix : il doit retrouver un sosie de sa lapine pour la prendre en photo et renouveler son stock !

D’accord, dits ainsi, certains voudraient fuir. Que viennent faire des thèmes aussi brutalement lourds, agrémentés de n’importe quoi tendance fumette, dans une section jeunesse ?

Mais attendez, lecteur : car dès que démarre la procession de lapines, c’est un festival. De la comptable excessivement pointilleuse à la mannequin trop maigre, de la Gardienne de perruches (« trop volatile ») à la dépoussiéreuse-de-squelette, c’est une parade de personnages truculents qui s’amorce, dans ce drôle de livre. Défilé qui ne finira pas tel que prévu : jetées sans ménagement à la cave pour diverses motifs (trop grande, trop âgée, trop effrontée), les femmes vont bientôt se révolter, et simplement faire exploser la maison du vieux schnock à poil long.

Vous êtes toujours là ? Vous avez raison : réussir à partir d’un postulat aussi triste (mais juste) à faire un ouvrage aussi lumineux et drôle, qui brasse aussi bien du côté d’un Vertigo version cuniculture que de Barbe Bleue ou d’un soulèvement féministe sous ecstasy tendance ACME et dynamite, est tout bonnement brillant.

Et si la fin de le livre, un peu plus apaisée et plus attendue surprend moins, on ne peut qu’applaudir la maitrise du voyage, de l’ombre à la lumière, du deuil à l’amour, de la solitude à une gencive propre et bien brossée, par le rire. Chapeau, lapin. (JNS)

 

Astrid Desbordes (avec les dessins de Gabrielle Vincent) – Ernest et Celestine Au bonheur des souris (Casterman Jeunesse)

 

Un nouvel album d’Ernest et Celestine ! Signé de la très grande Astrid Desbordes (« Mon amour », etc) !

Nous pourrions gloser des heures mais il faut avouer que la simple réalisation de ce crossover, bien que posant quelques questions (Gabrielle Vincent étant décédée en 2000), nous excitait à peu près autant que la sortie d’un nouveau titre des Beatles.

D’autant que, pour parfaire l’exercice, Astrid Desbordes s’est basée sur une série de dessins inédits de la dessinatrice qu’elle réagence avec brio dans une histoire inédite, dessins complétés savec une discrétion telle par Marie Flusin qu’elle n’est même pas mentionnée dans l’ouvrage.

L’histoire, en apparence, en est aussi simple que douce : prise par sa colère, Célestine décide un jour de mettre les voiles, et d’habiter une bien belle maison blanche, entre souris, loin du capharnaum de l’appartement d’Ernest. Mais à mesure que les jours passent et que l’ivresse des débuts fait place à la mélancolie, le doute s’installe : peut-on vraiment oublier un ami ?

Basé sur une semaine dont les jours s’égrènent et sur les lettres que s’envoient les deux amis à distance, on retrouve ici ce qui fait la douceur des deux univers : une forme exacerbée et honnête des sentiments, une fine analyse des relations humaines et de l’amour.

Mais même si l’ensemble semble cousu de fil blanc, on ne peut qu’applaudir de détecter d’autres versants, plus fins, à l’ensemble : en quittant Ernest, Célestine vit aussi l’expérience d’une transfuge de classe. Elle arrivera au milieu de la noblesse, avec ses règles, ses maintiens, ses carcans (avec ce petit clin d’œil où la pauvre petite souris ne comprend pas pourquoi quand on est une femme, on doit parler bas), sa pauvreté émotionnelle. Et Ernest, lui, vit son déracinement comme une humiliation, cherchant à « jouer au riche ».

Et ces deux versants se teintent, dans cette douce et ambivalente histoire, d’une forme de  tristesse : est-ce qu’au fond, séparer les deux héros, même pour un temps, même pour quelques jours de colère et de chagrin, ce n’est pas dire joliment adieu à la très grande Gabrielle Vincent ?

Nous nous reverrons un jour ou l’autre, prenons rendez-vous, un jour, n’importe où : ce monde de douceur et d’amitié nous avait manqué. (JNS)

 

 

Alex Cousseau et Philippe-Henri Turin —  Le voyage fantastique de Charles  (Seuil Jeunesse)

 

Charles le dragon en a marre. Marre d’être gringalet, maigrichon, empêtré dans ses immenses ailes qui l’empêchent de voler comme l’albatros (il faut dire que Charles compose des poèmes sans cesse). Il ne souhaite qu’une chose : grandir. ENFIN. Quand soudain surgit dans le ciel un jeune garçonnet de 7 ans, Charles Ludwig Dodgson et qui, se rêvant écrivain, a lu tous les contes et lui propose de trouver la solution.

 

Et c’est parti dans cette nouvelle tribulation gigantesque (quel beau grand format) de Charles pour une escapade qui croisera le fer aussi bien avec un vieux conte japonais (où un marteau magique sait faire grandir) qu’un Aladin asiatique au génie plutôt pratique.

Les amoureux de la série retrouveront le beau trait classique de Turin, dont les illustrations explosent à chaque page, ainsi que les marqueurs des aventuriers dragons : un penchant pour le poème, un problème avec soi, une escapade aussi bien amicale que fantasque qui embarquera Kiwi et Charles autour du monde (la chère Cornélia étant parti faire un tour).

Et on goutera avec plaisir, au-delà de la simple joie de cette aventure pétaradante qui se joue des contes de notre enfance (on est presque frustré tant on en voudrait plus), à l’inénarrable myopie de Dodgson, qui parait curieusement percevoir Kiwi en jeune fille et Charles en lapin. Il faut dire que, ayant grandi lui aussi (et le jeu des échelles de taille qui court dans l’album n’est pas innocent), il deviendra un certain Lewis Caroll dont la structure du chef-d’œuvre semble -tiens, tiens — étrangement résonner avec ce drôle d’album. (JNS)

 

Berengère Cournut et Astrid Jourdain – La salamandre et le bouchon de champagne (Le Tripode)

Dans un palais et de galeries souterraines, surplombé d’un bassin et à l’orée d’une forêt, règne une salamandre aux mille vertus et d’une beauté resplendissante : sa superbe robe jaune et noire incarne sa puissance salvatrice, capable de conjurer le mal en toute créature. Suscitant l’admiration et la vénération de tous les animaux —même chez le sanglier, qui, « d’habitude si grognon, esquissait devant elle un petit pas de danse », la salamandre est souveraine d’une harmonie sans faille de son royaume de nature. Jusqu’au jour où les rumeurs de sa sagesse et de sa beauté inestimables parviennent jusqu’aux oreilles d’une princesse de la région : prise d’une délirante jalousie à l’idée qu’une salamandre éclipse son propre royaume, elle décide de se venger.

La salamandre et le bouchon de champagne se déploie tel un récit à mi-chemin entre le conte de fées traditionnel et la fable anthropomorphique, revisité non sans un certain humour et une poésie onirique, rayonnant tant par les illustrations prolifiques d’Astrid Jourdain, que par le jeu typographique comique et décalé autour des majuscules et des parenthèses. Ainsi, si le commencement de La salamandre et le bouchon de champagne reprend les codes structurels du conte dès son ouverture, il est se précède d’une mention entre parenthèses « voilà, c’est parti », comme un clin d’œil méta-narratif. Le titre même s’inspire d’ailleurs de ceux des fables anthropomorphiques d’Esope ou de La Fontaine, dans une dimension particulièrement décalée, traduisant une fine allusion à la poésie de Francis Ponge.

La narratrice, Bérengère Cournut, compose un univers merveilleux entremêlant animaux anthropomorphes et princesse et chevaliers tout droit sortis des contes de Grimm, où la bonté d’une salamandre contraste avec la jalousie vengeresse d’une princesse en furie. Les influences de la reine de Blanche-Neige se fondent parfaitement dans ce récit au drame teinté de malice et de comédie, où grenouille revendicatrice, escargot amoureux et renard et biche téméraires mettent tout en œuvre pour sauver la salamandre de sa fatale destinée.

À travers les illustrations oniriques d’Astrid Jourdain, fresques à la géométrie délicate et purement peintes avec les couleurs primaires, dont certaines s’entrelacent parfois pour créer une palette secondaire, La salamandre et le bouchon de champagne convoque un imaginaire à la fois épuré et foisonnant, portant un propos élogieux sur les infinies ressources de la nature et du règne animal, parallèlement à une réflexion sur l’immortalité. La salamandre, prisonnière de l’éternité, interroge : « À quoi cela sert-il de vivre si l’on ne peut jouir du spectacle de la nature ? ».

Bérengère Cournut et Astrid Jourdain offrent une fable pénétrante, quelque part entre mélancolie poétique, humour fantaisiste et considérations existentielles, portée par une danse typographique et colorée. (EV)

 

Emilie Seron — Nyanya et le grand bébé (La partie)

Nyanya vit sur une île. Une drôle d’île, où on ne sait pas vraiment où se situe le ciel ou l’océan. D’ailleurs Nyanya n’est sans doute pas humaine, drôle d’animal à mi-chemin entre l’humain et le hamster. C’est une toute petite, que les grands s’amusent à moquer ou chambrer, comme le font les grands. Mais en s’éloignant du groupe, une soucoupe volante s’approche, dont descend un énorme bébé joufflu. Immédiatement, ils se comprennent, ils jouent, rient, sans pouvoir se parler, passent une journée magnifique dont, le soir venu, elle gardera le secret, en s’endormant, apaisée et heureuse.

Décidément, La Partie est une belle maison, faite de propositions fortes : ici, un univers tissé de mystères, tout d’encre de chine et d’aquarelle, un monde dont on ne saisit ni les contours ni véritablement les enjeux (qui sont ces grands ? Pourquoi ces enfants paraissent seuls ? Pourquoi les méduses volent dans le ciel ? Pourquoi l’île semble-t-elle baigner dans une nuit bleue infinie ?).

Mais cette étrangeté n’est là que pour mieux ouvrir la porte à l’étranger : ce bébé (dans une soucoupe, donc), dont on peut interpréter la présence à sa guise. (JNS)

Puissante et déroutante fable d’une visitation : est-il le reflet d’une maternité et ses angoisses ? Est-il simplement la beauté d’une rencontre majeure qui modifie la vie de chacun ? L’incarnation de l’autre et de l’amitié ?

Le récit s’éteint, les yeux se ferment, et Nyanya comme lecteur s’en vont, conscient d’avoir été troublé, par une drôle de douceur et de lumière. (JNS)

L’encyclopédie du Merveilleux : les dragons (tome 3) et les monstres (tome 4) (Albin Michel)

Aucun inventaire du merveilleux ne surpassera ceux de Brian Froud, inaugurant avec Les fées (avec la collaboration d’Alan Lee) une série d’ouvrages de référence, se poursuivant avec quelques merveilles comme les Goblins ou Le livre des fées séchées de Lady Cottington, chefs d’œuvre mainte fois imités mais jamais égalés. La mode de ces compilations du bestiaire de l’imaginaire, notamment menées par Pierre Dubois et ses études du petit peuple, suit souvent de manière médiocre une veine régionaliste (la Bretagne en tête) plutôt laborieuse, à l’image de ces elfes vendus un peu partout dans les boutiques de souvenirs. Ces deux nouveaux opus de la collection « Encyclopédie du merveilleux » dirigée par Benjamin Lacombe se révèlent d’excellentes surprises, car à contre-courant du regard habituel porté sur les dragons et les monstres, bien que symptomatique de notre époque, de l’évolution des mentalités et des sensibilités. Ils visent notamment à une démythification de la mythologie, sans pour autant sombrer dans l’opportunisme bien-pensant. Aussi monstres et dragons sont ici bien moins des créatures négatives tel que le folklore nous l’a appris, que des êtres vivants pleins de souffrance et de ressentiment. S’ils sont toujours dangereux, il convient de réfléchir aux raisons de ce mal devenu LE Mal, de cette monstruosité terrifiante. Et la réponse est courte : L’homme.

Dans Les Dragons et Les Monstres, les inventaires sont intégrés à l’intérieur d’une histoire mettant en scène un enfant en proie à son imaginaire et ses craintes : un enfant rejeté par les autres et confronté à son double-monstre dans sa chambre dans Les Monstres, et un petit gamer quelque peu abandonné à lui-même dans Les Dragons. Chacun va donc parcourir son moi à travers son rapport intime à l’imaginaire. La classification typologique par variété de créatures est interrompue par des annexes thématiques (Les Dragons d’orient, Dragons et début du monde, les bruits, les traces de monstres, les remèdes aux monstres…). Les deux ouvrages sont entrecoupés de contes intenses mettant en scène un dragon ou un monstre, et démontrant l’idée reçue qu’on peut avoir vis-à-vis de ces créatures. Il s’agit quasiment d’un travail de réhabilitation, car monstres et dragons y suscitent moins la peur que la sensation d’une animalité apprivoisée et contemplée.

C’est certes quasiment un cliché contemporain, mais la monstruosité appartient désormais à l’humain plus qu’au monstre lui-même, devenu sa victime avant de se transformer en vengeur. Bon nombre de livres fantastiques ont intégré la mythologie pour en modifier les valeurs, à commencer par la saga Harry Potter, citée désormais dans Les Monstres comme une référence, au même titre que la mythologie grecque. Certes, c’est encore un peu tôt pour juger véritablement de l’héritage de ces romans, mais force est de reconnaître que J.K.Rowling a réussi (au même titre que Tolkien) à remettre un certain imaginaire au goût du jour et à imposer un univers qui, bien que nourri lui-même de multiples références littéraires, appartient bien à elle. Les dessins de Stan Manoukian optent pour un esprit bd qui créent une distance humoristique : une légèreté à la Monstres & Compagnie qui séduira les enfants, alors que nous aurions sans doute préféré que le sujet soit totalement pris au sérieux. C’est un parti pris que nous ne partageons pas forcément, mais le trait – dessin à l’encre et au crayon, et la mise en lumière numérique sont particulièrement efficaces.

On sent l’œil affuté du dessinateur dans ses jeux d’ombre et de lumière très subtils, et des couleurs peu vives parfois presque effacées. Il crée l’émotion dans certaines scènes comme dans cette vision du Yeti et de ses enfants dans Neige, avec ses regards apeurés, cette nuit dans la neige et ses fondus picturaux, servant à merveille le remarquable texte de Sébastien Pérez. Pérez met en effet sens dessus dessous les légendes. Ici, de La méduse à Dracula, les monstres, aussi meurtriers soient-ils, inspirent la pitié : émouvants, presque tragiques, apeurés, cachés et tuant pour se protéger ou se venger. Il y a notamment dans ces mini contes des moments d’une force et d’une mélancolie qui laissent pantois : on ne croyait pas pouvoir lire des textes sur Cthulhu, le monstre du Loch Ness ou le Yeti aussi enveloppants, portés par la peur de la mort et l’amertume métaphysique, sans pour autant éloigner le public jeunesse. Sébastien Perez entremêle à merveille tous types de références, qu’elles soient cinématographiques ou littéraires, suggérant l’idée que certaines créations de l’imaginaire sont rentrées au panthéon du fantastique aux côtés d’une mythologie séculaire : le Kraken y côtoie le Cthulhu de Lovecraft ; Max et ses maximonstres sont de la fête et même Freddy Krueger a sa place.

S’il ne cherche pas à être exhaustif, il parcourt le monde, à la rencontre des monstres asiatiques scandinaves, perses…, aquatiques ou terrestres, géants ou minuscules allant même jusqu’à intégrer nos virus contemporains au bestiaire. Car là où Perez se révèle particulièrement culotté, c’est dans ce choix d’entremêler réalité et fiction, passé et modernité. C’est d’autant plus flagrant lorsque la galerie intègre également les vrais freaks, les monstres de foire : Joseph Merrick l’Elephant Man, Antonietta Gonzales, les frères siamois Chang et Eng. Et même tel un jeu de mots, « les monstres sacrés » nous parlent des divas, des stars et des virtuoses. L’air de rien, les mots de Sebastien Perez poussent puissamment à la réflexion.

Le texte de Cécile Roumiguière pour Les Dragons est plus sage, mais toujours intéressant, extrêmement instructif et précis dans ses sources. Le travail est un peu plus compliqué, le Dragon étant lui-même un monstre, il s’agit de lui consacrer intégralement un ouvrage, de lui trouver de multiples histoires et de la variété, de maintenir l’attention du lecteur sans sombrer dans la répétition. Comme pour Les monstres, on remarquera que de nombreux dragons modernes sont désormais rentrés dans l’Histoire et que Games Of Throne, Star Wars, Bilbo Le Hobbit, Harry Potter, et les jeux videos y ont gagné leur place aux côtés des dragons immémoriaux d’Europe, d’Orient et d’Asie… etc., et que la frontière entre fantastique et Science-Fiction est désormais assez poreuse. Il n’est d’ailleurs pas anodin que le héros de l’histoire que l’on suit soit un petit gars du XXIe siècle féru de jeux vidéos.

Cécile Roumiguière aborde bien entendu les origines cosmogoniques de ces créatures, leur essence mystique, leur rapport à l’élémentaire, à l’eau et au feu, ce qui en fait des créations symboliques fascinantes propres à traduire les grandes peurs humaines, celles des cataclysmes, des tempêtes et des volcans. Le dragon est bel et bien une figure universelle, que l’on trouve partout à travers le monde, dialoguant avec toutes les terreurs de la terre. Là encore, l’autrice procède à une véritable réhabilitation. Tous les petits contes mettant en scène les dragons sont particulièrement émouvants et renvoient souvent aux valeurs éternelles de la protection de la progéniture, la manière dont la créature se venge, la manière dont les humains l’ont traité. Le monstre ou le dragon n’agit jamais de lui-même comme un animal néfaste, mais en réaction à la violence humaine.

Ces monstres possèdent en eux une beauté dont l’humain semble être dépourvu. Les illustrations se révèlent très surprenantes. Le travail d’Yvan Duque, très stylisé, intégralement peint à la main, à la gouache, parvient, avec un très beau sens des couleurs, à donner la sensation d’un retour aux sources, aux origines, à une forme d’art primitif où toutes les origines se rejoindraient dans un rendu très homogène, une unité intense et émouvante. Yvan Duque fait des peintures préparatoires déjà très abouties, en petit format, puis refait à plus grande échelle. Peintre autant qu’illustrateur, son travail est précieux et rare à l’heure où palette graphique et numérique ont tendance à envahir les albums jeunesse. Le résultat possède une identité et une authenticité toutes personnelles, presque ésotériques (on pense parfois à la peinture populaire d’Amérique latine) qui s’adapte bien à la dimension ethnique de son sujet. On y ressent plus que jamais ce rapport étroit entre le symbolique et le légendaire, avec des frontières perméables d’une culture à une autre.

Les Monstres et Les Dragons sont deux albums passionnants : ils ne se contentent pas d’illustrer leur sujet, ils libèrent une expression créatrice totalement transcendée. (OR)

 

Et aussi.

Libby Deutsch et Valpuri Kerttula — Comment ça marche (Casterman)

 

La préface nous plonge immédiatement dans le bain : au réveil, on a allumé sa lumière, fait quelques pas, un petit pipi (ou caca), tiré de la chasse, consulté internet, mangé une banane, puis commandé un colis pour l’anniversaire du petit et… mais au fait comment ça marche ?

 

Livre qui porte finalement bien imparfaitement son nom puisqu’il devrait s’appeler « Ça vient d’où ? » ou « Comment on fait ? », s’attachant avec pédagogie et précision sous la forme d’un jeu de piste fléché à retracer 20 grands parcours d’objets ou usages quotidiennes, passant de la nourriture (la banane, le chocolat, le lait) à la technologie (le web, le téléphone portable) en faisant un détour vers les moyens de transport (les énergies fossiles, les bagages à l’aéroport) ou la culture (comment on fait un livre, un film, un enregistrement de son), etc.

 

Même si comme à chaque fois, on a du mal à saisir ce qui a pu déterminer un choix plutôt qu’un autre, et si certaines évolutions semblent plus complexes à expliquer aux petits que d’autres (l’internet, le fonctionnement de la monnaie), difficile de ne pas tomber (comme à chaque fois ?) sous le charme de ces larges doubles pages dessinées révélant pas à pas les magies qui se cachent sous ce que nous utilisons. Et si, pour les parents comme enfants, il peut surprendre (bien malin celui qui adulte sait tout du stockage des bananes ou du raffinage du pétrole brut), il vaut surtout pour son plaisir à renouveler le regard, et à observer, avec émerveillement, ce que nos habitudes ont trop user de magie quotidienne.

Point noir, toutefois, assez impardonnable : à aucun moment (exception faite, et encore, du verre et a minima pour le papier), dans les petites vignettes qui accompagnent le cheminement, est évoqué la question écologique. Ce qui, bien que voulant préserver la fascination joyeuse, gâche un peu la fête quand on sublime la création d’un jean (catastrophe planétaire en eau etc) ou qu’on explique à quel point le parcours d’un colis est cool dans les locaux de la vente par internet, ou qu’on souligne l’aspect peu cher des centrales électriques fossiles sans en pointer la nocivité… (JNS)

 

(A suivre)

 

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