Lorsque vient l’heure de quitter lumière et contentement pour les ténèbres, fussent-elles de circonstances.
Lorsque sonne l’heure de s’enfoncer machette à la main dans les méandres du tumulte et de l’orage qui gronde sous le mince vernis.
Lorsque la colère est vaine car sans éclats et qu’il ne reste dés lors que la sourde peine.
Lorsque le gluant des sentiments nous tient sa merci et fait d’un simple trottoir le premier venu des sables mouvants.

Alors Sylvain Chauveau est la bande-son parfaite pour l’instant, l’enjolivure chancelante de l’émoi, la lourde pierre qui, gainée à vos oreilles, vous emmène voir de quel bois les profondeurs se chauffent.

Et c’est magnifique.

Un disque qui donne envie de faire des phrases et de devenir un véritable junkie de la dépression, un pur addict du spleen.

Simplement beau.

On connaissait le pianiste/chanteur Sylvain Chauveau par son sublime disque de reprises de Depeche Mode mais aussi pour son projet Arca et surtout ses albums originaux et exigeants, là où le spleen n’est jamais bien loin et où un puissant ascétisme se dégage; un cafard savant peut-être, une élégance du désespoir sans doute.

Ce « Black book of capitalism » est la réédition de son premier album « Le Livre Noir du Capitalisme » dans sa version remasterisée. Un piano, un violoncelle, un alto, de l’accordéon, une basse, quelques samples, voici la matière avec laquelle Sylvain Chauveau et les musiciens invités forge une œuvre noire et sombre, une musique à la lourde densité émotionnelle.

Il est rarement question de piano épuré et solo (uniquement sur le second morceau**), les mélodies étant pour la plupart enrichies d’orchestrations. Ces ensembles prennent tantôt une forme cinématographique, tantôt une forme plus en rapport avec la musique dite contemporaine (pour le peu qu’on la connaisse) :

Le tempo cinématographique c’est par exemple la lumineuse ouverture** qui semble convoquer la page de Deauville et le petit crachin qui va avec. C’est encore le poignant cinquième morceau** qui nous fait imaginer un enterrement à la Sautet filmé (joué?) de loin. Un enterrement il en est encore question sur le dernier morceau** de l’album où tout laisse à penser que c’est Peau d’âne qui est inhumée aux premières heures du jour.

Le côté contemporain c’est une impression quelquefois d’écouter certains programmes d’après-midis de France Culture. Ce mix de sons collés les uns aux autres, de boucles presque cérébrales comme par exemple l’incroyable troisième morceau** qui nous emmène au tréfonds des méandres de l’âme humaine, fusse-t-elle singulière. A d’autres endroits (comme sur la onzième piste**) c’est un collage de samples (toujours harmonieux cela dit, il n’est pas question de musique bruitiste ou retorde) sur lequel se greffe du piano.

 

Cet aspect-là du travail de Chauveau peut, dans une veine bien moins oppressante et pour tout dire bien plus touchante (une veine musicale quoi), rappeler celui d’un dénommé Dominique Petitgand qui colle sons divers et enregistrements audio de voix témoignant au final d’un réel inquiétant et sourd. Ici cela reste à dominante musicale (contrairement à Petitgand peut-être) et mélodique, tant chaque morceau se veut construit et centré sur la mélodie matrice et première.

Tantôt orchestré et tantôt lorgnant sur le collage, c’est quelquefois aussi un peu de tout ça avec un ingrédient plus ou moins fortement dosé. Il ne manquerait souvent que le chant pour faire de cette musique un diamant noir pop. Notons que quelques voix apparaissent ici ou là mais sous forme de chantonnements qui viennent se glisser au beau milieu du flot musical, comme un instrument de plus; et non en les dominant, debout sur la barque.

Notons aussi par endroit un parallèle à faire (c’était l’époque, les enregistrements datant de 1998 à 2000) avec les premiers albums d’Archive et plus encore d’Alpha mais en bien plus rigoureux et sombre (si si) et sans, de plus, la moindre once de rythmique ou de groove. C’est surtout vrai pour les pistes huit** et neuf** qui aident vraiment à nous souvenir de cette musique cotonneuse de la toute fin des 90’s, quand elle sonnait comme fraicheur et spleen élégant.

Il est beaucoup question de silence également. D’abord par certains titres de morceaux et aussi par quelques secondes sans le moindre son ajoutées bien souvent en fin de piste, histoire de veiller au grain et d’éviter les transitions trop rugueuses d’une ambiance à l’autre. Un travail méticuleux pour le coup.

C’est au final un disque sans artifices aucun et qui va même jusqu’à rogner les vôtres pour mettre votre véritable humeur à nu :

– Si la vie va bien et que le moral est sincèrement bon alors cette musique peut vous toucher le coeur sans trauma ni heurts.
-Si au contraire le vernis de la bonhomie est clinquant et cache un spleen tenace alors cette défense de fortune volera aux éclats dés les premières minutes d’écoute et le mal-être rongé jusqu’à l’os.

Il est certain que si d’aventure la pétillante Line Renaud (au hasard) était amenée à écouter l’album, elle subirait derechef un puissant retour de manivelle aux premières mesures et ferait instantanément et irrémédiablement son âge : soudainement perclue d’arthrose, raide comme un piquet de grève de 36 et fatiguée dés 10h du matin par les trois marches menant de la chambre au living, yoyotant sur son Loulou quand on lui demande si elle voudrait pas par hasard d une petite laine en mohair parce que le fond de l’air est frais. Toute éventée la pétillante.

Un véritable sérum de vérité.

« The black book of Capitalism » laisse à l’écoute une forte et durable empreinte. Il n’est pas question ici d’un disque à mettre en fond pour vaquer à quelques occupations mais bien d’un mini et ponctuel sacerdoce. Nombre de métaphores et de bruitages intégrés se rapportent à la mer, à l’eau et surtout à l’idée d’un naufrage passé, présent ou bien à venir. Une musique au 36è dessous, la bande-son des 40è lénifiants

** Le track-listing de l’album, précieux indice quand à sa teneur.

01. Et Peu à Peu les Flots Respiraient comme on Pleure
02. JLG
03. Hurlements en Faveur de Serge T.
04. Le Marin Rejeté par la Mer
05. Dernière Etape avant le Silence
06. Dialogues avec le Vent
07. Ses Mains Tremblent Encore
08. Ma Contribution à l’Industrie Phonographique
09. Géographie Intime
10. Je Suis Vivant et Vous Etes Morts
11. Mon Royaume
12. Potlatch (1971-1999)
13. Un Souffle Remua la Nuit

 

 

© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).

A propos de Bruno Piszorowicz

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.