Dead Man’s Bones – Dead Man’s bones (archives)

Avant d’aborder cet album, avant même d’en commencer l’écoute, il convient de se remémorer la toute fin du film « Dead Man » de Jim Jarmusch, ces préparatifs puis ce départ du personnage de Johnny Depp vers son dernier voyage.

Vous y êtes ?

Et bien cet album atypique du groupe Dead Man’s bones commence précisément au moment où cette barque, que l’on voit s’étirer vers l’horizon à l’écran, parvient à sa destination. Contrairement au film il ne s’agit pas ici d’une barque individuelle mais plutôt d’un Huit-barré, avec deux hommes à son bord et puis un bateau gonflable qui les suit derrière, bateau lesté d’une chorale d’enfants.

La fin du voyage.

Et c’est là que tout ici commence…

« My suitcase is packed
With all your heartbeats,
So I walk to their sound
And head towards the sun.
So my shadow will cover
The tears on the ground,
I’m moving away from the place
Where you took your last breath
To find you my love
In the magic of Life…
After death « 

Ce prologue (superbe) narré pose le décor,  celui d’une musique désireuse de rendre compte de l’entre-deux du monde des vivants et des morts, celui qui sert de bande-son aux dernières ablutions faites dans l’estuaire des vivants avant de se jeter dans la mer morte, celui d’une musique souvent décharnée mais non dénuée d’énergie, celui d’une musique en mode cinémascope dans des tonalités sombres mais irradiantes.

Un disque très cinématographique en effet, d’abord (même si on l’apprend après l’écoute) parce qu’il est l’œuvre de deux comédiens : Ryan Gosling et Zach Shields. Deux jeunes préposés à la gloire Hollywoodienne et donc mondiale, deux outsiders dirons-nous. Ce disque est l’aboutissement d’un projet ancien, celui de créer une comédie musicale autour de la thématique des fêtes foraines, plutôt glauques et désertes que garnies et bruyantes. Le projet évolua ensuite vers cette musique, produite par leurs seules mains  ou presque (ils jouent de presque tous les instruments, même et surtout ceux qu’ils ne maitrisent pas, lesquels maitrisent-ils d’ailleurs ?) puis enrichie d’une chorale d’enfants ici omniprésente, faisant tantôt  la dictée la règle à la main, imposant son tempo aux chansons ou servant simplement de ponctuation aux titres. La pratique musicale est quasi-nulle, le cadre d’exécution drastique (des règles d’enregistrement et de composition à rapprocher du Dogme de Lars Von Trier et ses acolytes côté cinéma, oui encore le cinéma) et le leitmotiv gravé dans le livret intérieur du disque :
“Never get a lack of talent get you down”

Cinématographique toujours par les images que la musique inspire, celles voulues initialement par les deux musiciens : Ces ambiances arides mais menaçantes, le calme avant une prochaine tempête peut-être, un répit dénué d’illusions pour sur. Ces images nocturnes aussi, cette ambiance à la Carnival of souls, le film d’ Herk Harvey, ce mélange de vide et de malaise, rarement une musique aura provoqué pareille sensation de proximité, comme s’il était possible d’en palper l’épiderme. Le tracklisting exacerbe toutes ses sensations premières: Dead Hearts », « Buried in water », « Young & Tragic », « Lose your soul », « Werewolf heart », « Dead man’s bones » ou encore « FLowers grow out of my grave ». La musique de Dead Man’s Bones est décharnée mais aussi soignée, l’arrangement minimaliste est souvent plus proche du gimmick que de l’orfèvrerie mais il fait toujours mouche.  Une sorte d’ambiance générale, presque semi-hagarde avec des jaillissements purement pop (à leur manière certes) qui n’en prennent ainsi que plus de poids.
Il faut développer quelque peu le descriptif des trois pièces maitresses du disque :

– « Buried in Water » et ses airs de désabusion avec piano et sifflements décharnés comme (re)mis en chair par un chœur d’enfants bien vivant. L’impression en l’écoutant d’avoir affaire là à la musique d’un enterrement au sein du Nautilus, claustrophobie incluse.

– « My body’s a zombie for you » et ses faux-airs de prêche à mi chemin entre la ballade du early rock’n’roll et un air religieux du Bayou, le tout rythmé avec frénésie par cette chorale, géniale chorale en guise d’instrument rythmique, tantôt bruyante et tantôt caressante, tantôt geyser et tantôt gant de crin. Le révérend qui s’adresse à nous ici est désabusé mais reste digne (ambiance similaire ou presque sur le désossé « Paper Ships », superbe lui-aussi).

– « Pa pa power » et sa fulgurance pop, le titre le plus immédiat du groupe, leur cheval de Troie pourrait-on dire, le plus imparable aussi (quoique) avec sa mélodie qui ondule autour de la chorale, comme un boa autour de sa proie, par boa comprendre l’écharpe en plumes évidemment. Une pleine et belle réussite (ambiance similaire ou presque ici sur l’agité « Lose your soul », un beau moment également).

Et le disque a un peu de mal à se terminer, s’étirant un peu inutilement en longueur, si les derniers titres sont plutôt agréables, le dernier fait un peu retomber le soufflé (c’est bien dommage quand on connait l’importance de bien commencer et de bien finir un album de pop, disons ici que les Dead Man’s bones sabotent consciencieusement ce postulat de base) qu’importe finalement puisque le ver est dans le fruit. Cet album ovni (par le caractère complètement atypique du contenu et non par un côté expérimental ou je ne sais quoi) ressemble à ce que serait du Tim Burton (pas Dany Elfman attention, je parle bien de Tim Burton) unplugged. A vous d’imaginer la musique qui va avec cette image.

L’album de Dead Man’s Bones est de l’ordre de l’irréel, du tangible pourtant, l’œuvre de deux recalés au casting de Sleepy Hollow pourquoi pas. C’est de la sève musicale qui nous est proposée ici, la substantifique moelle d’un squelette musical, d’hommes morts ou pas, un singulier plaisir, un disque magnifique.

 

 

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