Patrick Mosconi – « Nature morte »

Si l’on s’en tient à une définition basique, une « nature morte » est une « peinture qui représente des objets ou des êtres inanimés ». On peut dès lors supposer que Patrick Mosconi va nous narrer les aventures de personnages déjà morts ou en voie de réification.

David Detmer est un chauffeur de taxi atypique, solitaire et misanthrope. Il n’a pour seule compagnie que sa chatte Prune. A côté de ses occupations légales, il exécute des contrats de tueur à gages. Un beau jour, on lui confie la mission de supprimer un homme d’affaires en relation avec les pays de l’Est (en ce milieu des années 80, le mur de Berlin tient toujours et l’URSS est encore une réalité), un certain Thomas Pradel. Or il se trouve que cet homme est le fils du capitaine Pradel avec qui Detmer s’était lié pendant la guerre d’Algérie…

Nature morte est le troisième roman de Patrick Mosconi, d’abord connu pour avoir créé les éditions Phot’œil et la collection Sanguine qui regroupa de nombreux auteurs de romans noirs et de néo-polar (Jonquet, Fajardie, Pouy…) avant de passer lui-même à l’écriture. Ce récit épuré et sec comme un coup de trique se place d’emblée au-delà du Bien et du Mal pour aborder des thèmes comme la loyauté, l’engagement et la violence.

Pour la société, Detmer est assurément un criminel froid et sans conscience. Mais les liens qui l’unissent au commandant Pradel complexifient les choses puisqu’au fond, il fait le même sale boulot que l’ancien para à qui l’on demanda également d’exécuter des Algériens pendant cette guerre sans nom. La force du roman de Mosconi est d’éviter les jugements de valeur. On imagine bien qu’il est plus proche de son héros anar (son père a lutté contre les franquistes, les Allemands et les staliniens au cœur de la Colonne de Fer espagnole) que de l’officier pro-OAS mais il parvient néanmoins à tisser des liens entre les êtres par-delà leurs divergences idéologiques. Pradel a fait le mauvais choix au mauvais moment mais les individus qu’exécute froidement Detmer indiquent surtout qu’ils participent tous les deux au même monde absurde.

Nature morte est le récit d’une cavale sanglante inéluctable, un compte à rebours que traduit parfaitement l’agencement des chapitres en ordre décroissant (Mosconi débute par le chapitre 71 pour arriver au zéro). Pendant ce laps de temps limité, l’auteur fera cohabiter deux mouvements : d’une part, la tentative folle de sauver le fils Pradel en souvenir du passé et d’une certaine loyauté qui semble être la dernière des valeurs à laquelle s’accroche Detmer. De l’autre, une toile de fond de roman d’espionnage où se trouvent mêlés services secrets et barbouzes. Là encore, si les « engagements » de Pradel père et de Detmer peuvent paraître criminels, ils ne sont finalement que les pâles reflets de crimes d’Etat plus occultes mais non moins réels.

Patrick Mosconi est devenu par la suite l’éditeur de Guy Debord. On ne s’étonnera donc pas de trouver dans Nature morte des échos aux réflexions du contempteur de la « société du Spectacle ». Non seulement sur le fonctionnement des démocraties mais également sur cette manière dont l’individu se trouve « réifié », spectateur de sa propre vie. Si Detmer manifeste de l’affection pour un para qui représente pourtant tout ce qu’il déteste, idéologiquement parlant, c’est qu’il lui a permis de retrouver une certaine attache à la vie : « Moi, curieux de tout, mais concerné par rien, intéressé par ce monde sans jamais pouvoir m’y sentir partie prenante, j’avais, pour la première fois, le sentiment d’appartenir à l’espèce humaine. »

Dans cet univers de pantins masculins en mal d’action et victimes de rouages qui les dépassent, Cécile, petite amie de Thomas et lectrice de Malcom Lowry, détonne. Peut-être parce que c’est le seul personnage vraiment vivant. Un espoir qui échappera à Detmer : « Ceux qui vivent l’amour à moitié ont dans le cœur un cadavre. J’étais devenu une nature morte. ».

En dépit de la noirceur du roman, sera passé ce petit frémissement de vie indiquant qu’au fond, tout n’est peut-être pas perdu…

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Nature morte (1988) de Patrick Mosconi

La Table ronde, collection « La petite vermillon », 2019

220 pages, 7,30€

 

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A propos de Vincent ROUSSEL

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