Mark Haskell Smith – « Coup de vent »

Drôle de dilemme : se retrouver riche à millions, mais crever de faim gentiment sur un voilier qui dérive sans mât.

C’est ce qui arrive à Neal Nathanson, bien embêté, qui va devoir se résoudre à l’impossible : brûler un sac pour attirer l’attention de ce bateau qui passe au loin. Recueilli in extremis par une navigatrice en solitaire, il se réveille attaché au mât, et, façon mille et une nuits, espère obtenir la clémence de son bourreau potentiel en lui contant sa galère. Comment en est-on arrivé là ?

Des loups de wall street à une improbable course-poursuite humide et chaude dans les paradis fiscaux des îles Caïman, Neal déroule alors une impossible histoire, mêlant un yuppie en mal de sens, Bryan LeBlanc, qui aurait détourné ces fonds, une experte en finance coréenne frustrée sexuelle, Seo-Yun, qui s’apprête à découvrir le priapisme d’un nain détective privé nommé Piet. Le tout assaisonné de banquiers un peu trop stressés, de plats douteux, d’alcool et de brutales scènes torrides.

Cette galerie de personnages improbables et hauts en couleurs, mi-Coen-Brothers mi-looser, est la belle qualité de ce drôlatique polar, Coup de Vent de Mark Haskell Smith, paru chez les élégants Gallmeister.

  • Le blé a les dents acérées / Et les hyènes vont le dévorer /Le môme deviendra banquier /Ou le môme sera lessivé, lessivé

Une comédie douce-amère, qui pourrait se résumer par sa première image : un sac de billets brûlants.

Le constat et la cible est claire : le capitalisme et son appât du gain qui tournent à vide.

Mais, détournant l’attente de lecture, Coup de vent nous tricote une drôle d’équipée pas si sauvage, qui tout en étant dans les clous du genre (poursuivants, poursuivis, complots et retournements) se plait à laisser traîner son action dans une ambiance lascive et mollement dépressive, qui rappelle un peu le surplace insulaire d’un film comme The descendants.

Etonnante situation pour un polar, que de donner ce sentiment de surplace sur les chapeaux de roue (des meurtres ont lieu, des filatures, des avions sont pris, pourtant), infusant cette sensation qu’une fois échappé de la folie Wall Street, l’action se met au diapason marin en baignant dans un rythme un peu faux, drôle parce que déroutant : Relax, relax, on va faire avancer l’action. Tu l’auras, ton bateau, mais relax, on va d’abord aller manger et pourquoi pas baiser dans une chambre.

Cette ambiance lascive et mollement dépressive, si elle offre les plus beaux sourires du roman et en constitue le moteur narratif, fait sa force autant qu’elle apparait a priori comme sa limite : à force de jouer sans cesse de cette dichotomie surplace/pirouette qui relance l’action, le récit s’embourbe un peu. Il étire ses scènes de discussions, perce le tissu du récit d’un retournement absurde ou burlesque (l’arrivée de vrais faux espions, un banquier trop gourmand, un coquillage meurtrier), puis retourne à de lents préparatifs ou de cocasses scènes sexuelles ou de libations.

  • money money money

Cette frilosité à s’échapper de son système, si elle finit par lasse un peu le lecteur, est pourtant au diapason du projet intime du roman.

Sous le polar, une fable politique et aquoiboniste, qui plonge ses personnages en quête de sens dans une course sans fin : celui qui vole, celle qui vole celui qui est volé, celui qui cherche à redonner à celui qui est volé ce que l’autre a volé tout en se faisant voler ce qu’il a volé, etc.

L’argent, dans son moteur et dans ses échanges, du plus abstrait (les chiffres de finance, imbitables) au plus concret, comme dans la séquence érotique où l’un des protagonistes séduit une superbe femme qui, après de lancinants moments de jouissance, tapote au matin pour réclamer son pourliche.

En confondant désir et argent, les personnages se perdent, comme leur roman : d’où l’amertume assez belle de la séquence finale, suspendue de silence. Si l’argent ne fait pas le bonheur, il n’efface surtout pas le chagrin.

Editions Gallmeister, 256 pages, 22 euros. En librairie.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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