Rascal – « Pablo » (L’Ecole des loisirs – Petit Loulou)

Il y a toujours quelque chose de profondément touchant dans les petits livres précieux qui constituent les premiers pas en littérature des tout-petits : leur esthétique simplifiée pour coller à la vision des bébés, leurs accumulations et répétitions…

Et de premiers pas, il est question au cœur de ce joli ouvrage de Rascal qui compte une histoire toute simple : celle d’un œuf qui devient poussin.

A chaque page, le même cadre, œuf noir sur fond blanc. Certes, on a vu plus palpitant, dira-t-on, mais l’intelligence de Rascal est de faire de ce livre qui se déroule chacune des étapes de ce que le dessinateur fait pour transformer l’œuf en poussin : démarrant de manière amusante par le hors-champ (un simple ovale noir, mais où peinard, nous dit le texte, le poussin prend un dernier petit dej), puis, poussé par la curiosité du petit, creusant un œil pour voir le monde, puis l’autre, voulant l’écouter puis y marcher (des trous et traits à nouveau), puis y voler…

Dans cette itération, le narratif, le dessin et l’objet se font ensemble, dans un geste unique, rappelé avec amusement par la première et dernière page, où le livre tout entier s’imagine comme les yeux et le bec du petit Pablo. Venir au monde, venir au livre : joli programme, non ? (JNS)

 

Pierre Alexis – « Règlobus » (La Partie)

Tous à bord : c’est Rainette qui conduit. Mais quand on embarque un cerf, un lynx, une taupe, un ours et j’en passe (dont un étrange animal qui ressemble à une patate sur pattes et qu’on suivra en fil rouge), il y a quelques règles à suivre.

18 pour être exact dans cet exaltant album étrange de Pierre Alexis qui, s’amusant à détourner la plupart des règles plus ou moins tacites des transports, fait swinguer les tailles, les perspectives, les situations burlesques d’animaux tout au long de cet album quasi muet (à part lesdites règles, donc, faut suivre).

C’est l’ours qui prend un demi étage à lui seul, des écureuils et belettes qui font des cerceaux au lieu de rester calme, un serpent qui propose de troquer l’escalier contre un tube de descente de pompier, des rongeurs gourmands qui dévorent les sièges, mais attention au frein ! et voilà, les crottes volent de partout.

On pourra, si l’on veut, voir dans ce titre un précis un peu détourné des règles du vivre ensemble. On pourra. Mais c’est triste.

On préférera savourer cet étrange univers de gouache, osant même le biscornu ou moche, et qui trace peu à peu un étrange bestiaire, sorte d’Arche de Noé dans un bus à impérial, jouant d’un humour étrange et bizarre, pour mieux transmettre son joyeux foutoir.

Transmettre le foutoir de la vie en semblant édicter des règles, n’est-ce pas le plus beau des pieds de nez ?

(et n’oubliez pas, « Qui va à la chasse perd parfois son chien »). (JNS)

 

 

Stéphane Servant et Emilie Sandoval – « Jacadi » (Editions Didier Jeunesse)

Que c’est bon, le pouvoir : un simple tamis retourné, et hop, voilà que le petit blondinet se transforme en monarque Jacadi. Et quand Jacadi, on obéit ! Alors toute la cour (tiens, amusante analogie), jouant de la fiction, œuvre à corps perdu dans la création d’un château, s’attire les bonnes grâces du monarque en offrant son goûter, châtie les traitres, etc.

C’est cet amusant crescendo que s’amusent à raconter avec malice et théâtre Stéphane Servant, soutenu par le trait très Sempé d’Emilie Sandoval, un crescendo qui, sous le couvert de l’humour, finit par distiller, avec force, un drôle de petit précis : celui du despotisme.

Car le jeu bientôt va trop loin, et à l’adulte de s’amuser de recenser ce qui n’est que le quotidien de trop d’Histoire : séduction des foules, homme providentiel, confiscation des pouvoirs, emprisonnement injuste et forcé, tentation guerrière et grégaire…

Mais dans le monde des enfants, au moins, de l’espoir : à force de colère, le roi se trouve dans le pire des mondes. Celui où il est seul. Et quand le peuple se soulève, il détruit les apanages et symboles du tyran, façon 1789. Vive la liberté, la démocratie. Que c’est bon, une révolution. (JNS)

 

Shin Sun-Jae et Emilie Vast – « Quelque chose de merveilleux » (Editions Memo)

Un arbre. Sur la page de gauche, les saisons passent, d’abord les bourgeons, puis les fleurs et le pollen, les feuilles, l’été, les glands de l’automne puis la neige de l’hiver.

Les saisons passent, et sur chaque page de droite, comme un zoom, elles passent aussi pour les bêtes qui s’abritent dans l’arbre : un écureuil qui bien vite fondera une famille, un papillon qui y passe un instant, une pie qui picore les baies à ses pieds, un escargot qui doucement passe…

Et même sous terre, où vers, tapirs, loirs et taupes préparent la terre pour l’avenir : bientôt, au cœur de l’hiver, un simple gland va germer, et l’histoire, recommencer.

Il va falloir l’avouer : nous avons parfois un peu peur d’Emilie Vast. Tant l’illustratrice, fantastique, semble parfois propulser son talent immense dans une répétition des formes et du style qui confinent au gimmick.
Mais il se niche, ici, comme dans l’arbre, une belle rencontre, avec la poésie du texte de Shin Sun-Jae, qui revitalise le systématisme de son trait, et vient l’emporter, à travers cette confrontation entre le temps micro et macro, l’échelle d’un arbre, d’une saison, d’une vie minuscule ou immense, dans la douceur, vers ce joli tempo qui est son credo : dans le temps qui passe, vers cette ode à la nature et à la sensibilité de la vie, il y a définitivement quelque chose de merveilleux. (JNS)

 

 

Moment séries – « L’épopée d’Yido » (Amaterra)

Encore une histoire d’échelle, encore une belle manière d’exploiter l’objet-livre avec ce chouette « L’épopée d’Yido », dont les traits colorés et ronds rappellent un Charles Schultz ou un Chris Ware géométrique (et on ne parle même pas, dans les thèmes, du célèbre Little Nemo, nous allons le voir, jolie paternité).

L’histoire en est, à nouveau, extrêmement simple : dans sa chambre, en pleine nuit, Yido se réveille. Son doudou a disparu. Ni une ni deux, il mène l’enquête dans la pénombre, s’interrogeant à voix haute, se lamentant, farfouillant et remuant ciel et terre.

Ciel et terre : c’est bien de ces extrêmes dont il sera question, dans l’ensemble des pages de droites.  A la noirceur relative de la « réalité », chaque page de droite oppose un univers coloré, foisonnant, fascinant, toujours aussi géométriques et aux formes simples mais aux proportions décuplées.

Un aquarium devient un océan, un lit à barreaux un baobab, un rangement à jouet une piscine à balles, une simple escalade sur un meuble une odyssée vers les nuages, une voiturette par terre une autoroute torrentielle… « We are not in Kansas anymore”, dans cette chambre où comme une ode à la rêverie et à nos fictions, un simple coup d’œil à une bibliothèque d’enfant devient une balade dans la bibliothèque d’Alexandrie.

Et si le texte n’est malheureusement pas toujours à la hauteur, on ne pourra qu’applaudir ce voyage immobile, ludique célébration de nos imaginaires enfantins, les seuls à mettre des couleurs dans un monde parfois trop sombre. (JNS)

 

 

Michaël Escoffier et Clotilde Perrin – « La toute petite maison » (Kaléidoscope)

Arsène et Bartoli sont deux petits oursons inséparables. Ils passent leurs journées à jouer dans les bois, sans se préoccuper des fleurs et des petits animaux qu’ils piétinent involontairement. Les ours et petits d’ours sont grands et forts, c’est leur constitution, c’est leur nature à eux. C’est pourquoi ils se croient les plus forts et les plus importants. Arsène et Bartoli ne se posent même pas la question, ils sont comme ils sont, grands et dominants, point à la ligne. Un tel état d’esprit conduit à considérer que le monde autour de soi n’existe pas et n’invite pas à la curiosité.

Mais par bonheur, un matin, Arsène mange un gâteau aux pommes… et rétrécit… rétrécit… un peu comme Alice au Pays des Merveilles rétrécit avant de découvrir un monde mystérieux et caché. Car il s’agit bien de cela, la modification de taille d’Arsène lui fait apparaître le monde en entier, ou plus exactement le monde à sa mesure à lui. Tout ce qui l’entoure prend une nouvelle dimension, au sens propre comme au figuré. Le voilà enfin prêt à se connecter à ce qui n’est pas lui, à ce qui vit en dehors de lui. Le voilà prêt à découvrir mille choses jusqu’ici ignorées. Bouleversé par ses prodigieuses trouvailles, il sera très heureux de les faire découvrir à son frère Bartoli.

On entre dans ce petit album à la conception très soignée comme dans la toute petite maison. Les personnages sont dessinés avec tendresse, tels que Clotilde Perrin les représente souvent, avec des grands yeux pleins de candeur. Son trait doux et précis fait tout autant vibrer la nature que les personnages, en en représentant les éléments essentiels, tels un végétal, une fleur, un papillon – tout est identifiable au premier coup d’oeil, et donne l’envie d’y revenir. Au cours de la lecture, Michaël Escoffier introduit quelques notions de sciences naturelles, comme par exemple l’utilité des vers de terre.

Le papier est légèrement ivoire ou bleuté, le format (18 x 23 cm) facile à tenir dans des petites mains. Et puis, très bonne idée, le texte est comme manuscrit, ce qui peut aider l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. La reliure en textile fait de ce livre cartonné un objet précieux à lire, relire pour revisiter tous les détails qu’il recèle. Des redécouvertes qui ne manqueront pas d’en initier d’autres, tout autour de sa lecture. (PV)

 

 

Et aussi.

Eric Battut – « La petite mémé futée » (Didier Jeunesse)

C’est l’heure, pour Mémé. La Mort arrive, avec sa grande faux. Sauf que Mémé n’a aucune envie de partir sans avoir fait tout ce qu’elle avait à faire : étendre le linge, ramasser des fruits, faire le repas. Et comme mémé a passé l’âge des politesses, elle fait bien vite de la Mort sa compagne et son commis.

Amusant présupposé que l’album d’Eric Battut, qui démarre comme une blague à la Terry Pratchett, tant la Faucheuse se retrouve comme deux ronds de flan, créant un décalage amusant entre l’obsession de la mort, qui devient douceur, et l’obstination de la vieille femme, qui ne semble même pas se rendre compte de sa présence avant de lui offrir ce qu’elle a de plus beau, jusqu’à faire regretter au Croque-mitaine de l’avoir dérangé et vite, vite, espérer se revoir.

Et très vite, dans ce joli album fait de couleurs naïves à la gouache, la Mort finit par bizarrement adorer la vie. (JNS)

 

Elle van Lieshout et Erik van Os, Marie Tolman (adapté du neerlandais par Emmanuèle Sandron) – « Hermelin, lapin et le potager » (La Partie)

Il souffle décidément un vent d’injustice sur les contes de notre été : dans cette fable grinçante, que n’aurait pas reniée la Fontaine, un gentil lapin, qui se voit offrir des plants au marché, se lance dans la création d’un magnifique potager, pour tout partager avec son ami lapin.
Lequel, en bon bourgeois profitant des revenus du travail, se décide à l’encourager et regarder le tout pousser. Mais cela serait on ne peut plus innocent, si en plus, n’en pouvant plus, il ne profitait pas du silence de la nuit le butin d’Hermelin. Lequel pauvre, ne pouvant soupçonner en cœur pur, accuse de tous maux taupes, pucerons, limaces.

Avec des amis comme ça…

C’est un joli conte limpide, de gouache et de pastel au milieu de paysages colorés, que voilà. Une variation, certes déjà lue, mais joliment tendre et crispante à la fois, sur l’égoïsme.
Etonnant traitement qui ne verra jamais le méchant châtié, au contraire (le lapin, quand après une nuit de veille Hermelin cueille la première fraise, se servira la plus grande part), laissant ce pauvre Hermelin dans l’ignorance des malheurs de celui qui est trahi.

C’est dans cette capacité à ne pas rétablir l’équilibre du monde que ce récit trouve sa force : en refusant de prendre en charge la résolution, il laisse au jeune lecteur le droit de réfléchir à la complexité du geste de lapin. Et, par une belle pirouette, de ressentir, au fond, toute la bonté du bel Hermelin. (JNS)

 

Kimiko / Christine Davenier – « Minusculette, des bruits dans la nuit » (Ecole des loisirs)

C’est la nuit. Minusculette ne dort pas. La petite fée du jardin entend des bruits étranges au-dessus de chez elle. Inquiète, elle va chercher ses amis Gustave le tamia et Maurice le muscardin. Tous trois vont partir à la recherche de ce qui se trame dans le grand chêne.

Dans ce nouvel album de Minusculette, le décor est planté au coeur de l’angoisse des petits : la nuit. Un petit peu de suspens, beaucoup de surprise et de gaité, voilà les inquiétudes dédramatisées. En quelques coups de crayon, ou plus exactement de fusain, l’environnement mystérieux de la nuit est en place. Le bleu choisi pour la représenter est profond et doux. Il y a quelque chose d’Ernest et Célestine chez Minusculette. C’est sans doute aussi pourquoi les images créées par Christine Davenier nous sont si familières. Christine Davenier accompagne son trait classique d’une vigueur virtuose et de couleurs affirmées. Les teintes numériques sur le crayon noir donnent à l’aquarelle imitée une profondeur captivante. Un joli moment à passer avec les plus petits. (PV)

 

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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