Clotilde Perrin – Dans sa valise (seuil Jeunesse)

Il était une fois, derrière les collines, un petit homme qui remplit sa valise. Le temps de tout boucler, et c’est parti pour un voyage qui l’emmènera de l’océan à la montagne, vers un monstre effrayant ou un gâteau appétissant, un trésor qui donne envie de s’en saisir et des ombres inquiétantes, et des…

Vous souvenez-vous du plaisir qu’il y avait à relancer une histoire, enfant, avec un « et après ? ». Clotilde Perrin s’empare de ce principe narratif à tiroir infini pour le détourner dans une drôle de « Et dedans ? », qui prend la forme, ici, de plus de 35 flaps (quel vilain mot), ces petits éléments à soulever qui masquent une partie de la page, et relancent l’intrigue.

Sauf qu’en les superposant, jusqu’à parfois 4 ou 5, voire en les intriquant, elle transforme son action en un tunnel frénétique et sans respiration, qui amène à une épopée échevelée et fantastique avant de relâcher le lecteur et son adulte dans un home, sweet home bien mérité, la valise vide et le sentiment d’avoir vécu une aventure.

Si on peut questionner le graphisme de l’ensemble (on aime ou pas), si la narration se révèle finalement assez classique voire décousue (la faute à ce système du « et après » qui donne un sentiment de zapping) et si on s’inquiète franchement dès les premières lectures de la durabilité de l’ensemble, vu la complexité des manipulations parfois nécessaires (le trésor, casse tête à ouvrir même pour les parents), il suffit de voir l’excitation de l’enfant à tourner chaque page et à ouvrir systématiquement chaque volet, à chercher la suite, pour comprendre comme, à la manière d’un flipbook, l’objet crée le mouvement, presque en lui-même.

Et dans une littérature dont on ne cesse de vanter les expérimentations, réussir aussi clairement à lier forme, fond et expérience globale de lecture mérite toute notre considération. (JNS)

 

Daniel Mar / Kiko – Voyage d’une goutte de pluie (Tourbillon)

Un long livre épais comme une tranche de gâteau, une portion de cake, au cartonnage épais donnant à la tranche l’illusion gourmande du mille feuilles. Et annonçant par là-même la diversité des paysages et des sols que la goutte de pluie va traverser. Car il est bien question de cela, dans ce livre à manipuler. La goutte d’eau emprunte tous les cycles de la ville et de la nature, allant de la prairie à l’abreuvoir, du lavabo à la station d’épuration, du fleuve à la mer.

Très éducatif, le petit lecteur visualisera enfin ce mystère abstrait qu’est le parcours de l’eau, son utilité, élément vital dont il entend les adultes dire et redire qu’elle est précieuse. La petite bille de métal incluse dans le livre, bien contenue dans une gaine transparente, comme une goutte en suspension au-dessus du précipice, vaut son pesant d’or. A déloger peut-être en présence seulement d’un adulte à cinq ans. Car forcément elle est lourde et petite, ces objets s’avalent vite, et roulent plus vite encore sous les lits et les meubles.

En présence de l’adulte, à cinq ans, il développera sa concentration et son attention. Tout seul, dès 6 ou 7 ans, la bille sera probablement détournée. On pourra alors la remplacer par autre chose, une bille ou une perle. Et pourquoi pas une boule en chocolat pour les parcours sans fautes et les records battus. Ici on a essayé avec une bille en bois, ça marche aussi très bien et fait un joli bruit. Un bruit avec un petit écho, surtout quand elle se promène entre deux vallées, au milieu des vers du texte et des verts de la prairie. Un joli bruit quand elle s’achemine entre les flamboyantes fleurs jaunes des prés, dans ce trou de verdure où chante une rivière, où les bleus célestes de la mer s’accrochent au cou des nuages.

C’est un joli livre au dessin clair et simple, aux couleurs pures, un livre à manipuler et à revisiter sans fin. (PV)

 

Isaure Fouquet – L’oiseau bleu (Editions Memo)

C’est l’histoire d’un oiseau bleu qui voulait voler. Incapable de retrouver les messagères dans les cieux, il s’approche de Terre sous une pluie battante pour interroger du regard Escargot, chenilles, fleurs et mille-pattes qui le guideront tout au long du jour vers les hirondelles et le ciel infini.

Nouvel opus des Editions Memo, éditeur toujours aussi attentif à ce que fond et forme communiquent dans une proposition plastique dynamique, ce beau livre d’Isaure Fouquet, aux parfums de contes intemporels, se déploie aussi bien dans le visuel que dans le sonore.

Car de l’aventure du petit oiseau, ce n’est bien sûr pas le résultat qui compte, mais le chemin : à travers une série de collages et de dessin s’ouvre un périple sensoriel, où de chaque onomatopée s’extraient des bruissements, des écoulements, des échos, comme autant de murmures parfois microscopiques de la Nature.

Et si on se perd parfois dans ces pages chargées, délaissant bien vite le sens pour la sensation plastique, c’est sans doute parce qu’il est bien question du microscopique ici, du petit oiseau qui deviendra grand, à ces petites gouttes d’eau qui plic ploc formeront rivière et dont le cycle donnera la vie : « il vole maintenant comme l’eau s’écoule ».


De sa course effrénée nait le sentiment d’une épopée minuscule : « comme l’eau des rivières, l’Oiseau bleu a parcouru la Terre ». Heureux qui comme l’oiseau, a fait un beau voyage. (JNS)

 

Julie Bonnie – L’internat de l’ile aux cigales : la maison cachée (Albin Michel Jeunesse)

Les Tigres sont de retour : Marguerite la fragile violoncelliste, Caleb le matheux au piano, Nordine le sportif poète de la derbouka, Agostino l’artiste et guitariste, sans oublier Cerise, la chanteuse.

C’est que le groupe revient, en ce froid matin, pour une nouvelle année de cinquième, dans l’étrange et fantastique Internat de l’île aux Cigales, sorte de lieu rêvé perdu dans la mer de Cherbourg, créé pour l’expression des talents sous le chapeautage d’une étrange vieille dame surnomme la Cigale. Mais sur le port, en attendant le ferry, quelque chose cloche : une unique élève semble avoir été recrutée pour la sixième, contre cinq habituellement. Elle est d’ailleurs étrange, avec son silence, sa limousine noire qui l’accompagne, son air distant.

Ce serait déjà suffisant si, en plus, la Cigale ne venait pas à disparaitre après un retentissant malaise et que d’étranges ombres vertes ne se mettaient pas à errer dans les jardins à la nuit tombé. Ni une, ni deux : l’aventure appelle la bande. Les Tigres, délaissant pour quelques semaines leur studio de rêve, vont devoir dénouer ce mystère.

Toujours quelque part entre le Club des Cinq et un Harry Potter où l’unique pouvoir magique serait le talent (on a vu pire patronage), on retrouve avec délectation l’univers poétique et artistique de Julie Bonnie, dans cette seconde année aventureuse de ce que l’on espère une série, où l’historique laisse place au gastronomique.

Si le premier tome était celui de l’ouverture (pour paraphraser le domaine musical si cher à l’écrivaine), ce second mouvement est celui de l’envol.

On plonge avec délices dans le plaisir des retrouvailles, des personnages comme de l’univers, preuve s’il le faut de la solidité de la proposition, et les menus défauts qui plombaient le premier tome (des phrases un peu trop courtes, sans doute volontairement, une présentation des personnages beaucoup trop longue qui menait à les confondre et une intrigue réduite finalement à la portion congrue de sa deuxième moitié) s’évaporent ici.

A la manière d’une partition, les phrases s’ouvrent, s’équilibrent, le tempo emporte, comme si la fluidité et la force du lien des personnages offraient une aisance renouvelée à la narratrice/autrice, dont on retrouve par ailleurs ici de nombreux thèmes qui traversent sa littérature, adulte comme jeunesse : le rapport à la musique, elle qui fut membre de Cornu et qui perpétue notamment aujourd’hui son amour musical auprès des enfants (Chansons d’amour pour mon bébé, dont nous vous parlions ici), la question de l’existence sociale et de la construction de soi, du rapport à l’histoire (C’est toi, maman…, ou Barbara), à l’enfance et la colère aussi (Chambre 2), le son de la vulnérabilité, enfin, avec cette jeune Annie qui ne peut plus prononcer un mot depuis la mort de sa mère.

Certes, au-delà de ce plaisir de lecteur -ce n’est pas rien-, l’île aux cigales se perfuse aux topiques classiques de la littérature jeunesse (le lieu clos, exacerbé ici par les relents de Poudlard, la bande de copains, les adultes tout aussi inquiétants (car autoritaires) que fascinants, le mystère qu’il s’agira de ramener au rationnel, l’éloge de l’entraide et de l’amitié).

Certes, on pourra reprocher à Julie Bonnie un certain angélisme, dans ces personnages finalement tous bons, sa clique United Color of Benetton, ses incidents sans conséquences, ses adultes finalement peu effrayants et sa croyance dans le pouvoir de la musique comme baume pour les cœurs.

Mais ça serait oublier que l’internat, comme la fiction, sont des îles, et qu’il faudrait au contraire souligner leur force : celle d’utiliser les thèmes et genres attendus (le mystère et l’enquête dans le premier tome, le fantastique ici) pour mieux les ramener avec finesse et simplicité à des thèmes nécessaires et finalement assez frontaux, voire brutaux. C’est la Shoah, la guerre et la Résistance, la filiation et le deuil, aussi, dans le premier tome ; c’est, sans révéler l’intrigue, le rapport à l’Autre, à l’Etranger, à la différence, à la solitude, ici.

Sa « naïveté », toute feinte, apparait alors comme une lutte : celle, sans jamais céder un pouce de l’élan d’aventure, de repousser la violence (au-delà des thèmes, chaque enfant semble trimballer sa propre histoire familiale, même tue), tout en éduquant, non, mieux, en sensibilisant par la fiction les jeunes au monde qui les attend, dans une littérature qui s’adresse à ceux qui ne sont plus encore tout à fait enfant, et qui doucement, trop vite, glisseront vers l’âge adulte.

Pas étonnant, alors, que la jeune Annie ne puisse bégayer (dire, écrire, en somme) qu’à l’instant où le danger s’éloigne et qu’elle renoue avec la vie. Leur angélisme à eux, les Tigres, loin d’être un abêtissement, est celui du geste Humain : protéger l’autre, réparer à échelle d’enfant cet univers qui ne tourne pas vraiment rond. Grâce à l’action, et grâce à l’Autre, qu’importe celui qu’il est.

Pour sa capacité à transmettre, en sensibilité, ce bruissement violent du monde tout en lui offrant une issue aussi évidente que mélodieuse, ce beau conte touche juste. Et nous devrions, adultes cyniques car blessés, écouter le chant des cigales et les rugissements d’amour des Tigres. (JNS)

 

Et aussi…

Rachel Stubbs – « Le chapeau rouge » (Editions Sarbacane)

Papi a un joli chapeau rouge. Et un jour de partage, il l’offre à sa petite-fille. Mais pas sans pouvoir traverser avec elle tout ce que recèle ce joli petit chapeau (à défaut de chaperon) : une protection contre les saisons, bien sûr, un joli accessoire de mode, aussi, mais surtout un fidèle compagnon dans toutes les étapes de la vie et de par le monde

Dans cette ode à la transmission et à l’affirmation de soi signée Rachel Stubbs (dont c’est le premier ouvrage)et rehaussé de jolies peintures intemporelles comme du Sempé qui en font la poésie, l’utilitaire (le soleil, la pluie) devient à travers les mots et la tendresse du grand-père peu à peu magiques, et ce simple accessoire, à la manière des Bottes de sept lieues, un univers des possibles : le lieu des aventures à rêver, des lieux secrets à inventer, des découvertes à expérimenter, un éloge au potentiel et au récit.

Car alors que l’un touche doucement au soir de sa vie, sa petite-fille peut lui offrir le plus beau : du « fond des vallons » au « sommet des grands monts », des souvenirs communs et des histoires à partager. Le lien, comme acte d’amour. (JNS)

 

Tristan Mory – « Le livre qui sait tout faire » (Editions Milan)

C’est l’histoire d’un drôle d’objet : un livre avec deux jambes, des yeux, et un chapeau malicieux. Sait-il cligner d’un œil ? des Deux ? Sait-il dessiner ? Lire ? Faire des grimaces ou tirer la langue ?

C’est l’histoire d’un drôle d’objet, le livre, à laquelle nous convie Tristan Mory, qui ouvre au fil des pages un espace ludique : si le livre cligne des yeux, est-ce que le jeune enfant le peut aussi ? Peut-il grimacer, etc. ?

D’un évènement qui peut être impressionnant ou rituel (la lecture), il rejoue ici pour les tout petits l’idée au contraire d’un objet à apprivoiser, à détourner, à s’amuser. Aussi léger que limité, anodin qu’efficace, il suffit pourtant d’attendre la dernière page, qui demande à l’enfant de manipuler directement le livre, pour le faire s’animer et en saisir toute l’acuité. (JNS)

 

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