Ulu Grosbard – « Sanglantes Confessions » (1981)

Tourné en plein âge d’or du Nouvel Hollywood (Voyage au bout de l’enfer, Apocalypse Now et Raging Bull viennent de sortir au cours des derniers mois), Sanglantes Confessions arrive sur les écrans au crépuscule de la période, après le fiasco de La Porte du Paradis. Tout comme la fresque maudite de Michael Cimino, on retrouve United Artists à la production et si son budget est nettement plus raisonnable, il connaîtra également un échec en salles. Adaptation du roman homonyme de John Gregory Dunne, scénarisée par ce dernier en collaboration avec son épouse Joan Didion (ensemble, ils ont déjà rédigé les scripts de Panique à Needle Park ou Une étoile est née version Barbra Streisand), il s’agit de la première fiction évoquant l’affaire du Dahlia Noir (bien avant James Ellroy). Initialement, Paul Schrader devait réécrire le script et assurer la réalisation, mais ce sont finalement les auteurs initiaux qui ont effectué les retouches et le cinéaste d’origine Belge, Ulu Grosbard qui prend les commandes. Grand nom de Broadway, bien qu’aujourd’hui partiellement tombé dans l’oubli, il a, à l’instar d’Elia Kazan (qu’il a assisté sur La Fièvre dans le sang) et Mike Nichols, un solide passif sur les planches au moment de s’essayer au cinéma. En 1965, il met en scène Vu du pont d’Arthur Miller et contribue à lancer les carrières de Robert Duvall, Dustin Hoffman, Gene Hackman et Jon Voight. Un an plus tôt, il avait reçu une nomination au Tony Award pour la pièce The Subject Was Rose (signé Frank D.Gilroy, dramaturge et réalisateur de C’est arrivé entre midi et trois heures) avec Jack Albertson, Irene Dailey et Martin Sheen, qu’il adaptera en 1968 en reprenant la distribution d’origine pour son premier long-métrage. Il retrouve alors Dustin Hoffman sur son film suivant, Qui est Harry Kellerman ? avec qui il va ensuite retravailler sur Le Récidiviste. Tiré d’un roman d’Edward Bunker et d’après un script sur lequel a travaillé un certain Michael Mann, l’acteur envisage un temps d’assurer la mise en scène avant de mesurer la difficulté à cumuler les deux casquettes. Sanglantes Confessions est donc le deuxième projet consécutif dont Grosbard n’est ni l’instigateur, ni le premier choix, ce qui ne l’empêche pas d’imposer sa patte. L’un de ses grands atouts de réalisateur, hérité de son passif théâtral, est à chercher du côté de son rapport aux comédiens et sa capacité à en tirer le meilleur. Il entreprend de confier les rôles principaux à deux hommes qu’il a dirigés une quinzaine d’années plus tôt, Robert Duvall et Gene Hackman. Si l’interprète de THX 1138 reste, il accueille finalement un nouveau venu dans son univers afin de camper Monseigneur Desmond Spellacy, tout juste sortie de sa performance monumentale dans Raging Bull, Robert De Niro. Dans un esprit de troupes, se mêlent aux têtes d’affiches des visages connus (Burgess Meredith, l’inoubliable Mickey de Rocky) et d’autres plus confidentiels (Rose Grégorio, l’épouse d’Ulu Grosbard). Pourvu d’un banal DVD datant d’il y a près de vingt ans, le film était totalement inédit en haute-définition, L’Atelier d’images est venu corriger le tir et le proposer en combo Blu-Ray/DVD.

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Copyright 1981 Metro-Goldwyn-Mayer Studios Inc

Policier intègre et pugnace, Tom Spellacy (Robert Duvall) enquête sur le meurtre d’une jeune prostituée. Au cours de ses investigations, il tombe sur la piste de Jack Amsterdam (Charles Durning), bienfaiteur de l’église et ami de son frère Desmond (Robert De Niro), chancelier de l’archidiocèse. Pour découvrir la vérité, les deux frères que tout semble opposer, vont se rapprocher. La vérité pourra-t-elle éclater malgré la force du secret de la confession ?

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Début 70, deux œuvres sont venues chambouler le film noir contemporain, Le Privé de Robert Altman et Chinatown de Roman Polanski. À certains égards, Sanglantes confessions peut s’inscrire dans la roue de ces prestigieuses références (envers du décor hollywoodien, face cachée de milieux fantasmés), invoquer leur spectre, alors même qu’il a pris le soin de s’en écarter dès ses premiers mouvements. Dans ce néo-noir trompeur où l’enquête se met tardivement en place et tend à rester partiellement au second plan, Ulu Grosbard s’intéresse davantage à pénétrer les rouages de l’ordre religieux et scruter les rapports complexes entre les deux frères. L’introduction est d’ailleurs assez claire sur ce dernier point, elle ouvre le récit tel un long flashback à l’issue d’un échange entre les deux hommes vieillissants dont l’un est mourant, loin des projecteurs et de la grande ville. La musique douce et mélancolique de Georges Delerue évoque plusieurs années avant, celle que composera Clint Eastwood pour L’Échange. Un motif empreint de regrets embrase ainsi immédiatement le long-métrage. Retour en arrière, au cœur d’un Los Angeles post-Seconde Guerre mondiale, Desmond et Tom apparaissent alors chacun en action dans leurs activités respectives. Un fastueux mariage pour le premier (la présence de Robert De Niro nous rappelle implicitement à l’exposition de Voyage au bout de l’enfer), une « visite de courtoisie » en maison close pour le second, nous immerge dans les bas-fonds qui constituent une partie de son quotidien. Découverte, d’une figure religieuse « star » aux ambitions de carrière à peine dissimulées et d’un policier au passé trouble, en quête de rachat, obsédé par un certain idéal de justice. Charismatique et cynique, le chancelier fait l’objet de piques incessantes (et savoureuses) de Monseigneur Seamus (Burgess Meredith) très critique à son encontre : « c’est plus un comptable qu’un chancelier », « avec lui on aura bientôt des toilettes payantes »… Individu apparemment en rupture avec les valeurs qu’il est censé incarner, il rythme sa vie entre parties de golfs, restaurants luxueux et collecte de fonds (de provenances loin d’être nettes), son activité initiale semble bien secondaire. Sur bien des aspects et avec la complicité de son interprète, il inspire plus le mafieux scorsesien que le bienfaiteur au service d’une entité supérieure. Tom à l’inverse se refuse à faire des vagues, rattrapé dans sa discrétion par une affaire d’une ampleur médiatique inédite. Deux individus en errance, en proie aux doutes, peu à peu confrontés à leurs responsabilités. Une idée que la mise en scène symbolise par un enchaînement de plans évocateurs judicieusement situé en amont d’une séquence pivot. L’homme de la loi, seul chez lui, perdu dans ses pensées, arpente sans passion les différentes pièces tandis que l’on peut entendre son frère à la radio. Ce dernier occupe ensuite l’écran, isolé, à genoux, au centre du cadre face à l’autel de sa paroisse avant de passer laconiquement au milieu des quelques fidèles présents pour rejoindre le confessionnal.

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Derrière un titre français accrocheur, se cache une fausse promesse, Sanglantes Confessions est surtout un film d’acteurs et de personnages, où les silences et dialogues (tantôt cryptés tantôt cinglants) sont les premiers leviers d’action et de suspens, bien avant l’enquête en elle-même. Toile de fond à l’issue rapidement connue, l’intrigue policière intéresse moins le réalisateur, que le rapprochement entre les deux frères et la lente rédemption qui s’impose à Desmond. Ce choix désarçonne autant qu’il interpelle et trouve sa pleine puissance à travers la fameuse confession, qui intervient à la moitié du récit. Un échange, rythmé par les respirations, où chaque mot semble revêtir plusieurs significations, une confrontation à proximité et pourtant tenue à distance, condensant formellement les enjeux principaux. Discussion douloureuse et salvatrice, filmée dans un mélange de discrétion et de précision (durée, cadrages) témoignant d’une maîtrise sobre mais totale, laissant définitivement exploser le talent de ses interprètes. Robert Duvall, trop souvent cantonné à l’image d’un second rôle de qualité dans les grands films, prouve (si besoin était) qu’il a l’étoffe et l’envergure pour porter un projet sur ses épaules. Juste et sensible, il incarne un héros à échelle humaine, faillible et sincère. Face à lui, Robert De Niro, célébré à juste titre pour ses performances spectaculaires, bouscule son registre son registre de prédilection, avec une composition duelle, entre figure publique séduisante (et un brin cabotine) et une personnalité beaucoup plus renfermé, introvertie dans la sphère privée. Ce duo au sommet, justifie en soi les partis-pris du réalisateur, consistant à concentrer son attention sur ses acteurs, nerfs de la réussite de son long-métrage. A posteriori, Sanglantes Confessions apparaît tel l’un des derniers balbutiements du Nouvel Hollywood, délesté de sa flamboyance passée, tout en traitant d’un fait divers ayant en son temps sonné la fin de l’innocence hollywoodienne. Une œuvre saisissante qui méritait assurément de sortir de l’oubli. L’édition concoctée par L’Atelier d’images, se pare d’une copie de très bonne facture et de deux suppléments, la bande-annonce originale et surtout un long entretien en compagnie de Samuel Blumenfeld. Très riche et nourri des grandes connaissances du journaliste, le document révèle la dimension intime du film lorsqu’il est question des rapports d’Ulu Grosbard avec son propre frère. Il s’avère tout simplement captivant, quand Blumenfeld évoque la différence d’approche dans le travail entre Duvall et De Niro. Le premier ultra instinctif, quand le second fait preuve d’un investissement démesuré (collaboration étroite avec un prêtre plusieurs mois durant, apprentissage du latin, nécessité d’un minimum d’une dizaine de prises). Il voit l’interprète de Desmond, ni plus ni moins que comme son propre metteur en scène, nous apprenant qu’une séquence cruciale a été ajoutée à sa demande.

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A propos de Vincent Nicolet

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