Jonathan Stutzman / Isabelle Arsenault « La souris qui portait sa maison sur son dos » (Editions des Eléphants)

C’est un sujet très souvent abordé en littérature jeunesse, que celui du partage, de la générosité et de l’accueil. Quand il y en a pour un, il y en a pour deux. Ici, quand il y en a pour vingt, il y en a pour cent. Le traitement du récit par le support papier est lui aussi très familier, un découpage traversant tout le livre, depuis la couverture jusqu’à la fin de l’histoire, et un grand dépliage qui donne une double double page, polyptique précieux dont la prédelle serait la reliure du livre, et dont le dépliement promettrait l’infini de l’accueil et la richesse de la table. Table et retable. On visualise le monde installé à la table de l’amphitryon, d’un seul coup d’œil, le cœur et l’âme copieusement à la fête.

Ce qui singularise cet album, ce sont les dessins de la grande Isabelle Arsenault. Réalisé comme au crayon/pastel aquarellable, ou peut-être directement esquissé à la gouache, chaque personnage a une identité attachante. On avait jusqu’ici pris l’habitude de la voir utiliser plutôt le trait d’encre noire et l’aquarelle, et donc des couleurs vives, fortement contrastées. Pour rendre au mieux la personnalité de la souris Vincent, avec ses bottes en L qui-forme-un-coeur, l’artiste s’est donc adaptée. Le résultat est particulièrement tendre, la souris semble avoir la grâce et la bonté d’un curé de campagne, d’un dévoué prêtre, d’un Saint Vincent de Paul. Chaque animal a été peint dans des tonalités douces, puis découpé, et déposé dans chaque double page pour former un mouvement dynamique, parfois théâtral. Dans la minuscule immense maison de la petite Vincent, on fait à vingt et à cent bombance et la fête devient un soin donné à l’autre. Les douleurs morales et matérielles sont soulagées. Et puis, il y a autre chose qui distingue cet album des autres albums traitant de cette thématique familière : c’est l’apparition de la notion d’étranger, cet autre, cet inconnu dans tout ce qu’il a d’inquiétant, parce qu’il est différent, et parce que bien des choses (des croyances) sont dites sur lui dans son dos, depuis la nuit des temps. Angoisse sempiternellement d’actualité, on est toujours l’étranger de quelqu’un. Alors… pour ouvrir notre cœur à l’autre, ouvrons nos portes ? C’est peut-être ce que « La souris qui portait sa maison sur son dos » fera aussi entendre aux enfants. P.V.

 

 

Stéphane Servant – Nicolas Zouliamis « Monstres«   (Thierry Magnier)

On est tous le monstre de quelqu’un. C’est un peu cette idée qui parcourt le très beau Monstres dessiné par Nicolas Zouliamis et raconté par Stéphane Servant. Le jeune narrateur vit dans un village où lui-même subit régulièrement les brimades des ses cruels camarades, se moquant de sa douceur, non adapté à la fureur du groupe. Un jour il voit arriver un étrange cirque qui semblerait tout droit sorti de La Foire des ténèbres de Ray Bradbury ou de Cristal qui songe, de Theodore Sturgeon. De fait, Monstres s’inscrit clairement dans un héritage assez foisonnant nous conduisant d’abord vers ce fascinant fantastique forain à l’anglo-saxonne, pour mieux nous égarer vers d’autres origines, celles de la réflexion sur la monstruosité et la beauté d’où émergèrent tant de textes et œuvres d’art extraordinaires, de La belle et la Bête à Montaigne en passant par les portraits peints de portraits de Tognina et Petrus Gonzales ou le Freaks de Browning. Plus récemment, le formidable film Freaks Out de Gabriel Manetti exploitait cette idée de monstres de cirque bien moins néfastes que les humains qui les employaient. L’humanité dans le monstre, la monstruosité dans l’humain. Cependant, il apporte ici une nouveauté dans la perception, que nous nous garderons bien de dévoiler. Le jeune héros attend avec impatience l’attraction finale, ce monstre dangereux, que chacun est impatient de contempler avec épouvante. Mais quand il se retrouve face à lui, il rencontre quelqu’un de différent, mais du même âge, quelqu’un qui lui ressemble, et qui comme lui est rejeté de tous. Les mêmes douleurs de l’enfance, le même désir d’amour, la même mélancolie. De cette rencontre va naître une amitié et un désir de fuite. Monstres est construit autour d’un étonnant jeu d’inversion et de reflets, qui ne cesse de nous tendre symboliquement le miroir de notre cruauté. Par le biais du fantastique – et non sans une certain de naïveté assumée de la parabole – Monstres parle de nous, au point que le titre est lisible dans toute son ironie amère. Les références sont discrètement assumées, y compris celle des variations gothiques cinématographiques à la Frankenstein, avec cette foule avide de sang voulant se débarrasser de la créature… mais les apparences sont évidemment trompeuses.  Même s’il n’obéit pas spécifiquement à la définition officielle de « roman graphique », on serait tout de même tenté de définir Monstres ainsi, tant il confronte constamment le mot et le dessin, à la manière d’un Brian Selznick dont il s’inspire indéniablement, y compris dans ce portrait de solitude enfantine. En effet, les dessins de Nicolas Zouliamis constituent eux-mêmes un outil narratif, tout particulièrement lorsque le « petit monstre » raconte sa vie au héros : les phrases laissent à leur place à des pages exclusivement graphiques. Tout comme chez Selznick,  Monstres nous introduit dans un univers de clairs obscurs, d’ombre et de lumières, de nuit et de crépuscule. Dans une technique probablement similaire, mais avec le numérique comme outil ajouté à sa palette, il emploie des mines graphites de différentes valeurs, se promenant du plus clair au plus gras, du plus dur au plus tendre. Si le travail au crayon de Nicolas Zouliamis n’a pas encore l’ampleur de celui de l’auteur d’Hugo Cabret, il impose déjà une griffe qui laisse entrevoir l’envol à venir. Tel quel Monstres est beau, émouvant, poétique, parfois poignant, imposant une nouvelle fois la rêverie fantastique comme le meilleur vecteur possible pour parler de notre nature profonde.  Il incite à moduler notre regard, à installer la compassion en nos coeurs. Il incite aussi à se débarrasser des préjugés manichéens imposés par l’éducation depuis des millénaires. O.R.

 

 

Odile Hennebert – « Sucrer les fraises » (CotCotCot éditions)

La vieillesse est une abstraction. Qui n’en est pas encore là semble la voir comme un passage lointain, une île inabordable, dont l’accès est prudemment défendu par la vie active. Que de férocités entendues ou lues partout à son propos. Férocité à la mesure de la peur qu’elle inspire. Avec « Sucrer les fraises », on se sent visiteur rassuré. On entre tout lentement dans un espace où le temps prend le temps qu’il reste. On sent sur sa peau les mouvements de lumière qui se jouent dans les arbres, chaque ombre portée cache un rire, chaque objet recèle un sillage de parfum. On se sent porté par une brassée d’amour en suspens, qui arrondit chaque encoignure trop saillante. La cotonnade du souvenir flou est l’allié le plus moelleux. La bienveillance douce d’Odile Hennebert est une caresse, on la perçoit dans chacun de ses dessins. Entre le noir et le rouge qui surgissent du blanc, il y a de grands espaces tendres, aux lisières affectueusement effacées, où se refont les confitures. L’enfance se love dans le fond des pots, les fruits sont sucrés d’elle. Les fraises particulièrement. Tout à coup on les sent phraises sur la langue. Puis phrases qui s’élancent, piquantes et singulières, ébauchant une liaison entre un monde englouti et un nouveau matin. C’est dans la vieillesse qu’on trouve l’amour le plus concentré. On en prend la vraie surprenante mesure avec cet album très sensible. P.V.

 

 

François David & Chloé Pince – « Larmes de rosée » (CotCotCot éditions)

Une collection « Matière vivante », un petit livre d’à peine 13 x 18 cm, du papier recyclé et relié par un atelier protégé (l’association l’Ouvroir), nous voilà dans la poésie de la nature, dans le coeur de ce qu’elle nous offre chaque jour sans grand tapage, mais avec tellement d’allant mystérieux. On connaît l’écriture délicate de François David, son inventivité à accompagner la vie, en particulier dans ses manifestations les plus discrètes, dans les petits riens qui font tout. On connaît le dessin au plus près de la nature, de Chloé Pince (voir *) et là, on découvre que sa maîtrise de l’aquarelle est toute aussi juste et pertinente que son dessin au crayon de papier. Avec « Larmes de rosée », on apprend ce que veut dire « prendre patience », la nécessité de l’attention, l’importance du soin. On devine que le jardinier qui prend soin de ses plantations saura prendre soin des siens, famille et amis. Et puis tout à coup, en goûtant la poésie de ce duo, on a envie de planter des graines et de dévorer de la salade ! P.V.

 

 

 

 

Michaël Escoffier / Ella Charbon – « Sous la glace » (Editions des Eléphants)

Un petit garçon, un petit poisson, juste au dessus de la glace, juste au dessous de la glace, des copains, des copains, un hameçon, une canne à pêche, un trou. Et hop, l’histoire se développe dans son petit format allongé (11 x 23 cm), entièrement cartonné.

Avec son dessin dont les personnages sont réalisés dans un pur style ligne claire, aux couleurs numériques et bien cloisonnées, Ella Charbon donne tout sa densité visuelle à cette petite histoire qui joue sur les mots. Une histoire qui attrape comme un poisson insaisissable l’ambiguïté possible des mots. Plus que montrer la diversité des points de vue dans le récit d’une histoire, d’un événement, ce petit livre donne l’occasion aux petits enfants de prendre conscience de la richesse d’une langue, et de ses doubles sens possibles. C’est non seulement l’écoute de l’enfant qui peut changer imperceptiblement à la lecture de « Sous la glace », mais aussi son attention à accueillir la parole, avec ses divers degrés de compréhension. Une initiative très intéressante. P.V.

 

 

Sara Lundberg – « Une maman si pressée » (Seuil Jeunesse)

Dans une maison comme il y en a tant, une maman s’occupe, seule, de son petit garçon. En même temps qu’elle s’occupe de lui, elle gère les tâches ménagères et organise l’intendance de la maison. Elle doit gérer également la journée de son fils, et la sienne. Alors quand dans son planning surchargé viennent s’ajouter des événements imprévus, il y a des chances pour qu’un trop-plein bouscule tout.

Avec « Une maman si pressée », (qui fait un peu écho à « Une maman trop pressée », publié il y a bientôt 25 ans chez le même éditeur, par Béatrice Alemagna), on retrouve avec plaisir la patte de Sara Lundberg. Avec l’orange fluo de son titre, le très sage Seuil Jeunesse fait un petit pas vers la modernité picturale de l’autrice. Des portraits réalisés à la gouache et à l’acrylique probablement, où les transparences ont parfois la beauté des maîtres classiques. Comme ces femmes en premier plan dans la scène du bus, celle de la casquette perdue. On y voit une aisance du geste et une justesse de tonalités qu’on ne retrouve que chez les peintres expérimentés.

En se rappelant son précédent titre paru aux éditions La Partie « L’oiseau en moi vole où il veut », destiné à des enfants plutôt grands (voir article OR) évidemment le contraste est fort entre le récit de cette maman, et celui de la vie de Berta Hansson. L’un traité légèrement, comme du quotidien finalement anecdotique – une maman débordée, sujet on ne peut plus universel ; l’autre, le récit d’une peintre restée méconnue, est développé avec une gravité perceptible à chaque page. Et même que la nature du traitement est sensible dans la réalisation des illustrations. Dans « Une maman si pressée », les compositions semblent parfois réalisées à main levée, voire de manière approximative, et le jeu des valeurs moins concentré, moins pertinent. Comme si l’album jeunesse induisait un exercice graphique moins soutenu.

Le livre se prolonge et se termine par une petite histoire illustrée au crayon, qui nous donne des nouvelles du diadème oublié, dont la destinée rebondit, dans une sorte de marabout visuel. Avec cette conclusion désopilante, on se pose la question suivante : mais quelle sorte de parallèle l’autrice a donc voulu faire entre la maman et son petit garçon, et la famille accueillant le diadème ? Mystère. P.V.

 

Pierrick Bisinski – Alex Sanders – « Le gâteau surprise de POP » (L’Ecole des Loisirs / Loulou et Cie) de 0 à 3 ans)

Comment faire un gâteau avec une autre gâteau qui n’est pas tout à fait un gâteau, mais le deviendra ? Voilà le sujet de « Le gâteau surprise de POP ». Une enthousiaste collaboration pour les fournisseurs de farine, d’œufs et de lait et de sel, un peu de lecture, une pincée de savoir-faire et de patience, et hop, Pop est pâtissier et chacun des invités devient son apprenti passionné. En carton solide et bien brillant, le petit enfant pourra savourer l’avancée de la recette, et même apporter son livre dans la cuisine, sans risque de l’abimer, pour faire son gâteau avec ses parents. Une gourmandise aux couleurs vives, avec une police de caractère manuscrite facile à lire, et un chef cuisinier très pimpant. P.V.

 

Joe Tadd-Stanton –« La comète » (L’Ecole des Loisirs) à partir de 3 ans

Mila et son papa habitent au bord de la mer, dans une maison où ils sont heureux et ne s’ennuient jamais. Mais un jour, le papa de Mila doit changer de travail, et le déménagement est inévitable. Il est très difficile pour Mila de quitter son lieu de rêve. Quand elle se retrouve dans son nouveau logement, tout lui paraît sombre et impossible. Mais bientôt une comète va apparaître, et les choses vont être bousculées. Un album au dessin très classique, dans une mise en forme proche de la BD, qui plaira aux enfants créatifs et imaginatifs – c’est à dire à tous les enfants. P.V.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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