(Attention : cette critique contient quelques spoilers)

 

S’il y a quelque chose qui nous a intrigué et impressionné dans Dogman, c’est moins la prestation de Marcello Fonte – qui, cela dit, mérite grandement le prix d’interprétation masculine qu’il a obtenu au dernier Festival de Cannes – que le paysage urbain dans lequel se déroule l’action. Matteo Garrone a tourné à Castel Volturno, situé un peu au nord de Naples – province de Caserte. À Villaggio Coppola exactement. Un lieu parfois et assez justement présenté comme un décor de Far West (1). Un no man’s land apparemment habité, mais terriblement glauque et déprimant. La boutique de toilettage pour chiens où officie le héros, Marcello, est un lieu improbable, incongru en cette zone – de même que celle qui la jouxte et où le faux ami Franco fait du commerce d’or et de bijoux. On dirait qu’elle a poussé comme un rêve.

Marcello choie les toutous et les toutous l’adorent. C’est un pékin tranquille, quoiqu’il patauge un peu trop dans les bas-fonds. Un uomo qualunque débonnaire. Garrone a parfaitement raison de dire que son visage est « antique et semble venu d’une Italie en train de disparaître » (2). Qui ne cesse jamais d’être en train de disparaître, pourrait-on dire quand même, si l’on voit en lui quelque chose de légèrement pasolinien. Il est comparé dans l’Hexagone à Luis Rego. Pour notre part, nous avons vu transparaître la silhouette de Totò. Cette référence permet d’ailleurs de pointer du doigt le registre du film : la galéjade… tragique.

À la silhouette malingre de Marcello s’oppose celle de son ami et ennemi Simoncino. Simoncino a des allures de taureau massif et débile. L’acteur Edoardo Pesce fait également des merveilles pour composer son personnage : celui d’une sorte de skinhead aux sourires penchant du côté de Robert de Niro façon Jack La Motta.

© Le Pacte

On peut reprocher au film sa figure initiale : celle d’un American Staffordshire tous crocs dehors que Marcello tente de traiter aux petits oignons. On peut le lui reprocher parce qu’elle serait une « métaphore » trop évidente de Simoncino. On peut… Mais on peut aussi voir ce qui différencie cet animal finissant par jouir des soins prodigués par Marcello et la brute épaisse dénommée Simoncino qui ne jouit pas franchement lors de la fin sanglante du récit. Ce trope, la ribambelle de chiens qui entourent le toiletteur apportent à Dogman sa décharge surprenante : le guet-apens dans lequel le héros fera tomber Simoncino – qui lui a terriblement nui, l’a humilié et en a fait un paria chez les siens – ne prendra pas la forme que l’on imagine et que l’on attend – que nous avons attendu – tout au long du récit.
Plusieurs commentateurs parlent d’une « vengeance » mise au point par Marcello. Cela leur sert parfois à faire passer celui-ci pour un personnage qui devient significativement solide et fortement déterminé face au coups de boutoir de Simoncino – et après un séjour en prison. Ce n’est pas si simple que cela, et le film ne devrait donc pas être éreinté sous prétexte qu’il serait trop schématique – même si, globalement, l’accueil critique est positif. Manifestement, Marcello ne sait pas trop ce qu’il fait et ce qu’il doit faire quand il décide de s’en prendre à son bourreau. Nous ne sommes pas sûr qu’il organise une vendetta avec sang-froid. À un moment, on a même l’impression qu’il soigne celui qu’il pourrait avoir été obligé, malgré lui, d’assommer. Il s’agissait davantage pour Marcello de donner une leçon à Simoncino. Et la leçon tourne finalement mal.
Cette vision de la façon dont le protagoniste réagit après l’incident de la moto et les représailles de Simoncino correspond bien au final du film, assez impressionnant. Marcello ne sait quoi faire du corps de Simoncino. Le sacrifice purgatif de la Bête immonde par le feu est impossible. Le toiletteur est désespérément seul avec un cadavre qui n’est même pas dans un placard, son horizon et tous ses rêves se désintégrant lentement mais sûrement.

 


Notes :

1) « I luoghi di Dogman, il film di Matteo Garrone girato in provincia di Caserta », in Si Viaggia.it, https://siviaggia.it/idee-di-viaggio/dogman-luoghi-villaggio-coppola-pinetamare/204502/

2) Tiré de l’interview incluse dans le dossier de presse.

 

 

© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).

A propos de Enrique SEKNADJE

1 comment

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.