Kilian Redhof – « Stella, une vie allemande »

Auteur de l’embarrassant – et raté – Vous n’aurez pas ma haine, drame introspectif sur les événements tragiques qui ont eu lieu au bataclan en 2015 avec Pierre Deladonchamps, l’allemand Kilian Redhof, de retour dans son pays natal, revient sur une page sombre de l’histoire sous le régime nazi pendant la deuxième guerre mondiale. Il s’en sort nettement mieux, sans doute plus en phase avec le sujet, ayant le recul nécessaire pour traiter objectivement  le parcours édifiant et terrifiant  de Stella, une jeune femme juive, sous l’occupation dans le Berlin des année 40. Présentée d’emblée comme pleine de vie, joyeuse et déterminée, opportuniste mais pas antipathique, Stella rêve d’une carrière de chanteuse de jazz, évoluant dans une bulle, dans le déni de la menace qui pèse sur elle, malgré toutes les précautions à son égard prises par ses parents et son entourage. Mais les arrestations augmentent, les déportations vers Auschwitz menacent ses proches. Contrainte de se cacher avec ses parents en 1944, elle finit par se faire arrêter, puis torturer. Afin de survivre, elle commet l’innommable, dénoncer ses connaissances juives, ses ami(e)s avec qui elle faisait de la musique en tout insouciance. Mieux que survivre, elle goûtera même, au prix fort, à une vie, non pas de luxe, mais plutôt aisée, jouissant de certains plaisirs de l’existence.

Stella, une vie allemande: Paula Beer

Copyright Majestic/Christian Schulz

Ce drame historique, inspiré de la vie de Stella Goldschloag, est le portrait ambigu et troublant d’une belle juive au physique d’aryen, qui fut l’une des plus importantes collaboratrices de la Gestapo. La  première partie, montre Stella persécutée par les lois antisémites, la plaçant du côté des victimes avant de devenir elle-même une sorte de bourreau, une traitresse constamment animée par la culpabilité. Écrit avec une certaine finesse, préservant l’ambivalence du personnage, Stella une vie allemande n’est pas une peinture à charge d’une figure effrayante dénonçant les siens. Le basculement est subtilement amené, par de légers changements de comportements, des attitudes équivoques n’indiquant pas pour autant le point de non-retour dans lequel Stella s’est engouffré.

Stella, une vie allemande: Paula Beer, Bekim Latifi

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La part la plus réussie du film  tient à son personnage central, et donc à l’interprétation habitée de Paula Beer, tantôt fiévreuse, tantôt glaçante, qui vampirise l’écran de la première à la dernière image. Elle éclipse tous les protagonistes et antagonistes qui l’entourent, finalement pas des plus intéressants. Ils traversent l’écran dans une indifférence polie, réduit à leur fonction -militaires, nazis, juifs, musiciens – et non à ce qu’ils sont réellement. Ils évoluent, non pas comme des êtres de chair et de sang, mais comme des silhouettes qui font avancer l’histoire.  Ce manque d’épaisseur de ces  personnages qui gravitent autour de Stella, sacrifiés à l’autel du récit, pointe les faiblesses d’un scénario passionnant mais mécanique. Le film manque d’incarnation pour captiver totalement, jamais à la hauteur de son actrice. Il est par ailleurs assez curieux que l’on craigne pour la vie de Stella alors que, par exemple, le départ abrupt de ses parents dans les camps de concentration ne provoque pas de sentiment d’indignation, et très peu d’émotions. Ce manque d’empathie, révèle davantage la maladresse de certains  arcs que d’un propos idéologiquement douteux.

Stella, une vie allemande: Paula Beer

Copyright Majestic/Christian Schulz

Ce positionnement, lié à une écriture un peu lâche, qui évite néanmoins tout discours programmatique, est heureusement compensé par une mise en scène dynamique, constamment inspirée, laissant sur le bas-côté, l’éternel pseudo-classicisme sur fond de reconstitution historique rutilante. Tourné caméra à l’épaule dans un scope écrasant, le film est porté par un montage énergique, des figures de style rentre-dedans comme les zooms intrusifs et des mouvements de caméras insufflant un sentiment de vitesse. Cette stylisation, opposée à l’académisme de rigueur, parvient à palier un manque de moyen évident avec panache et intelligence. Elle épouse aussi le caractère bouillonnant, complexe et pas vraiment aimable de Stella, figure fascinante et exécrable, portrait ambivalent d’une fille banale se frottant à l’horreur et l’immoralité.

Si le film peine à démarrer, installant un faux-rythme, enrobé de séquences inutiles dans sa première heure  (les frasques amoureuses de Stella), Stella, une vie allemande demeure le témoignage indispensable d’une époque, un devoir de mémoire d’autant plus nécessaire que resurgit dans l’Europe actuel des réflexes identitaires à travers une montée de l’antisémitisme et de l’extrême-droite. Il nous renvoie également à notre propre responsabilité, interrogeant notre libre-arbitre de façon très radicale, posant l’éternelle question : « Qu’aurait-on fait à sa place ? »

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A propos de Emmanuel Le Gagne

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