Jim Cummings – « Thunder Road »

Thunder Road fait partie de ces exercices épineux consistant à transformer un court métrage en un long. L’homme orchestre Jim Cummings (ici réalisateur, scénariste et acteur principal) intègre le film original en ouverture du film… et dit déjà tout en un plan-séquence très maîtrisé, où Jim Arnaud, jeune père divorcé, prononce un discours décalé à l’enterrement de sa mère. Après quelques anecdotes sur la bonté de la défunte, grande danseuse et fan de Bruce Springsteen, il se lance dans une audio-description chorégraphiée de la chanson Thunder Road (le magnétophone ayant décidé de ne pas lire le titre), devant l’assemblée de l’église, médusée.

Après la séduisante désinvolture de ton de cette ouverture tonitruante entre rire jaune, drame social et coup de pied dans la fourmilière des conventions, la dramédie s’étiole, faute de présenter un contenu vraiment original. Le personnage a beau pousser tous les curseurs de l’hystérie subtile, le film ne décolle jamais. L’histoire ressasse les thèmes du père célibataire, policier par défaut, en froid avec son ex-femme, et des relations de travail tendues. Jim est en quelque sorte un clown triste dans un costume de policier, avec le physique d’un personnage moustachu de Quentin Dupieux. Là où ce dernier innove grâce à l’absurde ou le surréalisme, Cummings ne dépasse jamais la banalité, bien que gentiment efficace, malgré le côté borderline du héros qu’il incarne.

© Vanishing Angle

On espère régulièrement que les situations sortent des frontières balisées. Hélas, le récit suit son cours presque sans anicroche. C’est d’ailleurs en tirant trop sur le ressort de la tendresse père-fille que le film s’égare. Le loser aux failles émotionnelles se heurte à deux conceptions de l’amour : celui qu’il vit ou croit vivre (sa famille, ses sentiments intacts envers la mère de son enfant, qui s’est réinstallée avec un autre), et celui dont il est témoin (le foyer parfait formé par son collègue et ami Nate Lewis). Le manichéisme naïf accompagne le scénario et nous fait vivre les peurs du personnage sous la forme d’une succession de scène splus propices au théâtre qu’au cinéma. Jim aimerait se mesurer à John Wayne, cet homme idéal qui consolide la société américaine dans laquelle il se reconnaît. Or, il n’a ni la stabilité psychologique ni le charisme pour se poser en égérie morale. Thunder Road aurait pu creuser les oppositions entre les faits et leur interprétation par le protagoniste ; le long métrage se contente de suivre un sentier tout tracé sans faire de hors-piste. Une fois cerné, Jim ne suscite plus aucun étonnement : il demeurera le gentil illuminé « normal » seul contre tous.

Le déséquilibre de Thunder Road vient de son incapacité à renverser les modèles qu’il prétend dénoncer. L’éloge de la légèreté aurait plus d’impact sans la chronique sociale répétée en boucle sans trop de nuances. Le scénario le montre impuissant à trouver le juste milieu dans ses relations aux autres au lieu de montrer ses attentes constamment déçues. Les sauts d’humeur de Jim ne constituent que les ressorts d’un comique de répétition éculé. Le réalisateur et scénariste choisit de ne pas dévoiler son mécanisme psychologique, mais l’opacité mentale du personnage systématise le jeu de l’acteur (par ailleurs impressionnant de justesse).

© Vanishing Angle

Le film confronte également l’autorité et l’injustice dès la première scène : à un enterrement, qui, mieux que la filiation directe, peut parler de la défunte ? Pourtant, ce sont les mœurs et les commentaires YouTube de la vidéo filmée en direct qui auront raison de Jim. Au tribunal, pour son cas de divorce, Jim ne parvient pas à trouver les mots adéquats pour plaider sa cause face à un juge que son avocate hait, mais ne cherche pas contredire. Le patron de Jim ne cesse de lui lancer des reproches à la première occasion, devant les autres policiers. Tout revient à la notion de l’électron libre contre la communauté silencieuse. On en revient donc à John Wayne, figure du héros œuvrant pour la justice. Le Texas de 2018 reste peuplé de leaders d’opinion, mais les espoirs s’en sont allés. La perte de l’innocence s’est assortie d’un repli sur soi. L’âme d’enfant de Jim s’accroche à sa fille pour qu’elle ne soit pas victime des mêmes maux collectifs que dans sa future vie d’adulte. L’éloge de la névrose expressive serait la solution miracle pour sortir vainqueur des obstacles à répétition : tout ça pour ça, la ligne de front dans l’ « école de la vie », et un dogme contredisant la démonstration opérée auparavant dans une gentillette tragi-comédie. Ou comment argumenter contre les mythes iconiques des États-Unis à l’aide de citations de la Silicon Valley…

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