Iain Forsythe et Jane Pollard – « 20 000 jours sur terre »

24h démesurées de la vie de Nick Cave, le leader emphatique des Bad Seeds.
Quelques belles idées pour un film inégal…

C’était quitte ou double. Il fallait un peu d’insouciance à ce couple de réalisateurs anglais pour se lancer dans une telle entreprise, originale mais hasardeuse. Solliciter Nick Cave, la célèbre « rock star » australienne, le visage tiré par la cinquantaine, pour reconstituer avec lui une journée de son quotidien : lever, labeur de l’écriture, répétitions avec les musiciens, et ce, jusqu’au concert du grand soir, homérique. Mais ce volet « documentaire » devait s’accompagner d’un pendant plus poétique : un voyage simultané dans la subjectivité de l’artiste, narré par la voix off du chanteur, nuit et jour confondus dans une temporalité incertaine. La 20 000ieme journée donc : triviale, factuelle et prophétique ; rêvée comme une petite allégorie individuelle. En somme, l’hyperbole d’une vie de « créateur » : une journée fantasmée qui les contiendrait toutes.

Le film, largement mis en scène, d’un montage élaboré, n’est donc pas, à proprement dit, un documentaire musical. C’est davantage un autoportrait, tourné en « cuisine » ou dans l’antichambre des moments de bravoure, mais cette représentation, contre toute attente assez retenue, n’échappe pas à la complaisance, ni à quelques travers formalistes…

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Le générique est presque un condensé du projet : un kaléidoscope d’images d’archive s’emballe tandis que le volume sonore enfle démesurément. C’est un compte à rebours, la somme métaphorique d’une vie passée dans la création, chaotique et excessive. Passé ce zapping médiatique, le nombre sensationnel des jours vécus ici bas, digne d’un grimoire archaïque ou d’un butin de loterie, s’affiche sur l’écran pour composer le bandeau titre. Contrepied immédiat : un homme sort du lit en toute banalité, précédé d’une voix off, la sienne, qui s’emploie à décrire le rituel matinal. S’obliger à composer quotidiennement ; forcer une inspiration écornée ; produire nécessairement, mais sans trop regarder. Une routine de travail comme une autre. Seule différence, l’activité, créative. Cette entame, distanciée, introduit une pointe d’auto-ironie salutaire qui évite au film de sombrer dans la grandiloquence et l’égo manie. C’est Nick le quinquagénaire qui enquête sur son double iconique, et qui, dans un monologue emprunté aux films noirs, tord le cou au mythe de l’inspiration. La suite est à l’avenant. Nick Cave et ses musiciens (la formation actuelle des Bad Seeds), tentent de développer les idées issues des images précédentes, jusqu’à ce que l’un d’eux, goguenard, sape l’élan du leader en comparant sa ligne harmonique à celle d’un tube de très grosse variété. Une talent donc, mais désacralisé, qui recherche dans les quolibets.

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Dans le film, il sera beaucoup question de cela : des instants de grâce qui transcendent la condition, toute humaine et parfois grotesque des chanteurs-musiciens. C’est Nina Simone qui sidère son public après l’avoir méprisé, ou Jerry Lee Lewis, le « Killer » bien usé, qui retrouve son éclat au hasard d’une performance improvisée… Pas une mystique caricaturale du génie et de l’inspiration, mais quelque chose d’occulte que l’on peut approcher fortuitement, à force de persévérance, sans pouvoir le convoquer à l’envie pour autant. Ce sont aussi les fraternités avec quelques compagnons de route qui composent l’autoportrait de la star entre ses laïus et ses interrogations. La plus centrale est la relation qui court entre Nick Cave et Warren Ellis, son alter-égo compositeur dans le groupe actuel. Il y a aussi les résurgences du passé, des personnalités invoquées par le chanteur ; elles continuent à l’accompagner sur la banquette de son automobile. Ce sont les spectres de Blixa Bargeld, le leader d’Einstürzende Neubauten, membre historique des Bad Seeds, et de Kylie Minogue, la grande vedette populaire, une « muse » pourtant aux antipodes de Cave.

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Malgré sa manière souvent habile et insolite de mettre en scène cet auto-fiction imaginaire, le film commet quelques fautes de goût détonantes : un entretien improbable avec un psychanalyste anglais dans une série de champs contrechamps, et de flous alternés avec les mises au point, d’une saveur télévisuelle ; une visite des archives personnelles avec des techniciens gantés dans une mise en scène artificielle ; des ciels d’orage en interlude, des surimpressions de pluie et de buées en forme de clips musicaux ; un montage aux transitions sonores très appuyées. Le finale succombe aussi à l’exigence d’un point d’orgue scénique avec, dans le contrechamp du chanteur, une foule rougie d’admiration. On se demande s’il faut regarder ces choix paradoxaux comme des gestes intentionnels, ou comme de simples conventions dénuées d’ironie ? Le mélange indistinct, de distanciation et d’autocélébration, pose un problème semblable dans le fond : découdre le mythe et en même temps, le glorifier par une série de clichés. La question restera ouverte mais l’impression, elle, assez mitigée.

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A propos de William LURSON

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