Karel Zeman – « Le trésor de l’île aux oiseaux »

Quelle drôle d’aventure ce fut, souffle Ali aux oiseaux à peine revenus d’hivernage sur la belle île aux oiseaux. Tout a démarré avec un rêve éveillé, celui d’un bateau de richesse passant au loin. Il n’en fallait pas plus pour donner au bon Ali, jeune pêcheur plein de bienveillance et de malice, l’envie d’une vie de pacha loin des tracas du quotidien harassant.

Si une première tentative naïve de pêche à la perle s’avère assez désastreuse, le destin se chargea de mettre sur son chemin un vieux pirate à la dérive qui, comme dans tout bon conte, lui révéla la cachette d’un trésor. Mais l’homme étant ce qu’il est, de bavardages en pépiements, tout le village finit par connaître l’information et, socialisme oblige, en partageant les richesses, l’oisiveté gagna tel un cancer le petit bourg, au point qu’apparait la famine. Comment Ali peut-il réussir à réparer sa faute ?

Malavida

Nouvelle pépite au catalogue de l’éditeur Malavida, spécialisé dans les films du patrimoine, nouvel opus dans la saga du maître avec ce Le trésor de l’île aux oiseaux, premier long métrage de Karel Zeman (les autres titres sont déjà au catalogue de l’éditeur), génie tchèque de l’animation, vénéré entre autres par Tim Burton ou Terry Gilliam dont il influenca le style par son travail sur les mélanges de prises de vues réelles et d’animation.

Si la technique qui l’a rendu mondialement célèbre prendra son envol dès 1955 et son film suivant, Voyage dans la préhistoire, puis dans ses déclarations d’amour à Jules Verne (comme dans un de ses chefs d’œuvre, Aventures fantastiques (1958)), nous sommes encore ici dans la premiere période d’un jeune créateur sautant enfin le pas du long métrage pour se retrouver face à un mur de refus : on ne lui confie pas de pellicule, qu’il finit par obtenir en quémandant auprès du labo. Mais il tient bon.

Bref rappel des épisodes précédents : s’autorisant enfin de s’adonner à la passion des marionnettes de son enfance lors d’un passage en école de commerce (que l’on peut le comprendre), le jeune Karel s’exile quelques années à Marseille comme dessinateur puis revenir au pays pour réaliser ses premiers films animés pour Bata et les automobiles Tatra. Il entre alors aux studios de Zlin, puis atteint une renommée internationale grâce à des courts-métrages, allant jusqu’à être primé au premier festival de Cannes (Un rêve de Noel, 1946, mélangeant déjà marionnettes et acteurs). Pardonnez du peu.

© Malavida

Si on est touché par ce conte moral très socialism approved où la richesse ne fait pas le bonheur (même partagée), on savoure dans cette aventure touchante, toute en rimes, une maitrise narrative déjà impressionnante, puisant dans les 1001 nuits, les romans de mer comme ceux d’aventure (le pirate, la carte au trésor, le secret, etc), reconstituant avec minutie les miniatures persanes et éclatant en des couleurs chaudes sa chromie.

On s’étonne et on apprécie son jeu avec le rythme du récit, jouant et dansant avec le spectateur et son regard, organisant des moments de pure suspension (la séquence où le bateau du riche est observé par le pêcheur, passant lentement, infiniment lentement, complètement inutile dans le déroulé de l’action, mais synthétisant toute la quête à venir et la poésie du film) comme d’action, avec la séquence du trésor ou du pillage du pirate, où le son jouera un rôle prépondérant.

Le tout avec un humour burlesque aujourd’hui encore efficace, comme lors d’une superbe scène de commérages : le secret du trésor y passe d’oreille à oreille dans une gradation cartoonesque où on se glisse de femmes chuchotantes en hommes oisifs, on soulève avec précaution un turban trop large pour entendre, puis on enfonce carrément avec violence les fenêtres de celui qui ne veut pas entendre la rumeur.

© Malavida

Surtout, Le trésor de l’île aux oiseaux émeut par son jeu avec la technique. Une technique qui, en bon fils de Meliès (Karel Zeman sera surnommé le « Mélies tchèque »), se montre, s’amuse, se joue de ses limites et n’existe que parce qu’elle génère de l’émerveillement.

Et pour cela, tout y passe : jeu avec les profondeurs où animations et fond plat se mélangent, montagnes uniquement fait de morceaux de cartons, jambes qui s’étirent ou qui lorsqu’on court sont de papier et non plus de marionnette pour générer une nouvelle fluidité, mer en verre dépoli et surimpression de casque de plongée pour les séquences sous marines, …

© Malavida

Ce plaisir ludique du médium éblouit encore aujourd’hui, par sa richesse et son invention, allant même pour le plaisir par mettre en scène son propre médium.

Une marionnette manipulant une marionnette : afin de détourner l’attention des villageois des richesses qui les rendent fous, Ali imagine avec son ami le pélican de découper un faux serpent dans un tapis. Scotché à même l’oiseau, ils jouent ainsi par le masque à faire un petit numéro bricolé.

© Malavida

Faire spectacle : comme dans la séquence où le temps se suspend pour laisser passer le bateau, tout cela, semble dire Zeman, est pour un spectacle et surtout pour nous spectateurs.

Comme lorsque l’on allait au théâtre et que l’on voulait y croire, malgré les fils, les bricolages et les intrigues limpides, retrouvons ce qui fait de nous des enfants dit aussi ce conte. Retrouvons ce regard, ce merveilleux. Et plongeons en poésie.

Sortie DVD le 25 Septembre 2019 chez Malavida Films. 15 euros.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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