À l’occasion de la sortie de son premier long métrage The Ugly Stepsister, nous avons pu échanger avec la réalisatrice norvégienne Emilie Blichfeldt autour de la tyrannie de la beauté féminine ; du rapport au conte et à ses topoi ; du jeu avec les attentes et le processus d’identification empathique du spectateur ; du body horror et de la représentation sensationnelle de la douleur physique.
The Ugly Stepsister est ton premier long métrage, un Cendrillon revisité qui traite du rapport tragique à la beauté, condition sine qua non des femmes, qui n’existent qu’à travers le regard et le désir masculin. Pourrais-tu nous parler de tes précédentes créations, et nous dire dans quelle mesure t’ont-elles menée à ce projet ? Quel a été / est ton rapport aux contes, en tant que petite fille et à présent en tant que femme adulte ?
Je n’ai réalisé que deux courts métrages durant mes études de cinéma, où déjà je commençais à travailler sur des personnages de femmes qui ont du mal à se conformer aux idéaux de beauté.
Ce premier court, How Do You Like My Hair? (2014), est comme un confessionnal. J’y mets en scène un coup d’un soir que j’ai vécu moi-même. Ce projet a été une révélation pour moi : j’adorais le cinéma, mais je me demandais pourquoi je devrais en faire. En tant que jeune réalisatrice, on a peu de vécu, et on se demande quelle histoire raconter. L’anecdote du court métrage m’a paru convenir au format cinématographique, car lorsque je la racontais à mes amis, ils en étaient amusés et touchés. J’ai compris à ce moment-là que c’était ce dont je voulais parler, un sujet dont les femmes n’avaient peut-être pas l’occasion d’évoquer sans que cela soit immédiatement politisé, et qui résonnait en moi. Lorsque j’étais à l’École nationale de cinéma de Norvège, j’ai également réalisé Sara’s Intimate Confessions, qui raconte l’histoire d’une femme de 2 mètres, très voluptueuse, qui se croit trop grande et trop imposante pour avoir une vie sexuelle. Heureusement, sa vulve, très loquace – mais aussi très seule – essaie de la convaincre qu’elle mérite l’amour.
C’est en réfléchissant à Sara, lors d’une sieste créative, que l’idée de The Ugly Stepsister m’est venue. Sarah vit beaucoup dans son imaginaire, car les complexes sont aussi une construction mentale. Elle imagine sans cesse comment les autres la voient. Dans cet état entre veille et sommeil, je l’ai soudainement vue dans le rôle de Cendrillon, essayant la pantoufle. Puis, elle monte dans le carrosse, regarde son pied… et voit sa chaussure pleine de sang. Elle se rend compte qu’elle a coupé ses orteils pour que la pantoufle lui aille.
Quand je me suis réveillée, j’étais bouleversée. Pour la première fois, j’avais ressenti une profonde empathie pour la « vilaine » demi-sœur. Je savais exactement pourquoi elle avait fait ça, pourquoi elle avait honte, pourquoi elle avait peur d’être découverte, et me suis dit que ce renversement de perspective était inédit. Mais c’est une vérité depuis toujours : des femmes essaient d’être des Cendrillons, mais finissent par devenir les demi-sœurs. Et pourtant, nous n’éprouvons pas d’empathie pour ces personnages.
Quand j’était petite, j’avais un petit livre illustré de la version Grimm, où je pouvais voir l’image du sang dans la pantoufle. J’avais un livre de la version Disney, mais je n’ai jamais vu les films Disney jusqu’à mes 13 ans, car mes parents ne croyaient pas au cinéma.
Un des éléments les plus fascinants est le changement de ton du film. Je vois que pour simplifier les choses, beaucoup de gens qualifient le film de « comédie d’horreur », alors que pour moi aussi drôle qu’elle soit, le film est avant tout une tragédie. Comment as-tu travaillé ce subtil mélange des tons pour qu’on ne sache plus sur quel pied danser entre le drame et l’humour ?
Merci pour cette question, car c’est vraiment essentiel pour moi. Mes deux courts métrages ont souvent fait rire le public, et je me demandais pourquoi, car je ressentais profondément mes personnages. Mais j’ai compris que j’ai un regard ironique sur mes propres douleurs, c’est ma manière d’y faire face. Et ce mélange entre larmes et rires, j’y tiens beaucoup. Il permet à chacun d’entrer dans le film selon son vécu.
Dans The Ugly Stepsister, je pense qu’il est important, et même cathartique, de pouvoir rire de ce rêve absurde qu’est celui d’épouser le prince. On comprend pourquoi ce rêve séduit, mais on peut aussi le critiquer. Je travaille avec des personnages plutôt dépressifs, et je les perçois avec tendresse, mais j’aime aussi ressentir l’humour et la catharsis en tant que spectatrice.
Avec The Ugly Stepsister, je voulais vraiment sortir du réalisme social pour plonger dans l’univers du conte de fées. Tant que c’est sincère, je pense qu’il ne faut pas avoir peur d’être théâtral et d’en faire trop. On ne voulait pas d’une reconstitution historique fidèle des années 1800, mais on souhaitait donner l’impression que les personnages appartiennent au conte de fées. Ce sont des archétypes, même si on les a incarnés.
Le pastiche du conte de fée est quelque chose d’extrêmement difficile. Or, tu ne te contentes pas d’inverser ses valeurs et de les pousser vers l’horreur et l’humour noir. Le film n’est jamais caricatural et mécanique. J’aurais voulu savoir quelle avait été ton approche d’écriture pour justement éviter le manichéisme, alors que par essence le principe originel du conte de fée et souvent du film d’horreur, qui sont des genres souvent assez liés – il n’y a qu’à voir Blanche Neige – est le manichéisme.
Quand j’ai eu cette idée de raconter l’histoire depuis le point de vue de la demi-sœur, Elvira, je ne la voyais pas seulement comme un personnage à qui on pouvait s’identifier —ce qu’on n’avait jamais essayé de faire auparavant—, mais je comprenais aussi pourquoi elle allait devenir méchante à la fin.
Elle n’allait pas épouser le Prince, même si, d’une certaine manière, c’était quelque chose que je voulais pour elle : mais cela aurait été une fin stupide. Épouser le Prince n’est pas une bonne fin. Mais il était important pour moi que Elvira devienne quelqu’un de jaloux, centrée sur elle-même, parce que c’est aussi la réalité de la dysmorphophobie corporelle et de l’objectivation de soi-même : cela pousse à voir les autres uniquement comme des points de comparaison.
Je ne voulais pas non plus faire du personnage de Elvira une nouvelle Cendrillon. Ce n’était pas l’histoire que je cherchais à raconter. Je savais aussi que j’avais trouvé une forme de vérité humaine, même à l’intérieur d’un archétype. Je ne voulais pas perdre les archétypes, car c’est ce qui fait le conte de fées. Je devais trouver ces vérités cachées derrière les archétypes, pour tous les personnages — y compris Cendrillon.
Cendrillon est sans doute le personnage le plus difficile, parce que je ne peux pas m’identifier à elle. Le déclic est venu quand j’ai compris qu’elle n’était pas vierge, et qu’elle ne pouvait pas être uniquement gentille.. J’ai dû trouver la qualité de Cendrillon : pour moi, c’est sa beauté naturelle, et son rapport fluide et naturel à tout ce qui l’entoure — alors qu’Elvira, c’est l’inverse : elle est maladroite, rien n’est naturel pour elle. Tandis que Cendrillon peut avoir des émotions, une sexualité, elle ne ressent pas de honte — elle est naturelle. Et je pense que c’est encore une qualité à laquelle on peut aspirer. La belle-sœur n’est pas le personnage qu’on rêve d’être… mais celui qu’on est.
Une des grandes subtilités de The Ugly Stepsister est sans doute de montrer la distinction entre le désir de beauté et le désir d’être aimé. Le culte de la beauté féminine est souvent représenté comme une lutte narcissique, là où la véritable quête est purement identitaire : Elvira aspire tragiquement à être aimé. Elle s’inflige la torture dans l’espoir d’échapper au rejet et au mépris qu’elle subit continuellement. Finalement, la seule personne qui aime Elvira est sa sœur Alma, personnage en arrière-plan tout au long du film avant cette fin salvatrice. Que représente le personnage de Alma pour toi ?
Dans la version des frères Grimm, il y a deux sœurs, mais dans la version tchèque, il n’y en a qu’une. Cela dit, je ne voulais pas montrer deux folles, l’une prenant le talon, l’autre l’orteil. En tant que jumelle moi-même, j’aurais pu faire un film sur des jumelles, mais ce n’était pas le sujet que je voulais aborder.
Je voulais raconter l’histoire d’un seul personnage, en dehors d’une rivalité entre sœurs. Mais Elvira avait besoin d’une amie, parce qu’elle est terriblement seule. Et en écrivant ce personnage d’amie, je me suis rendu compte que c’était peut-être plus intéressant si ce n’était pas juste une amie, mais sa sœur — quelqu’un qui pouvait observer toute cette folie, un peu comme une sorte de repère pour le spectateur. Parce que tout le monde est tellement fou dans ce film, et Alma, elle, est la seule qui reste lucide, et qui n’est pas impliquée dans ce drame.
Je me suis dit qu’Alma pouvait être là pour le spectateur et le faire se sentir moins seul. Et peut-être ressentir ma présence, à moi, la réalisatrice, à travers elle. Sentir que tout ça est maîtrisé, que quelqu’un les guide. Alma est aussi le personnage qui montre qu’il y a d’autres chemins possibles.
La fin du film m’est venue assez tard dans l’écriture, mais lorsque l’idée a surgi, j’en étais très heureuse : je savais qu’Elvira devait se débarrasser du ver solitaire. On ne pouvait pas finir le film en la laissant avec le ventre qui gargouille. Mais je savais aussi qu’elle ne serait pas assez forte, ou que ça ne serait pas crédible, qu’elle abandonne spontanément le rêve du Prince. À la fin, Elvira est presque prête à lâcher, et sa sœur est là pour la sauver, pour lui tendre la main et lui dire : « Je vais m’occuper de toi. ».
Pour moi, le ver solitaire est une métaphore de l’auto-objectivation. Jusque-là, Elvira est passive et subit ; elle est victime. Mais quand elle prend l’œuf, elle est face à un choix —comme dans Matrix, la pilule bleue ou la rouge. Elle peut choisir sa réalité. Si elle prend l’œuf, elle accepte la vérité qu’on lui a imposée : « Tu n’es pas assez belle, ton devoir est de le devenir, coûte que coûte. » Elle l’avale, elle l’intériorise, et elle commence à s’auto-objectiver. Et ça la ronge de l’intérieur. Moi qui ai beaucoup souffert d’auto-objectivation, j’en suis arrivée à un point où j’avais perdu mon propre regard sur moi-même. Je ne savais plus à quoi je ressemblais, comment j’étais perçue, si j’étais aimable ou si j’étais si laide que les gens me trouvaient répugnante. J’étais complètement manipulée. Et j’ai eu besoin de mes « Alma » pour m’en sortir.
C’est un message puissant pour moi, parce que quand on vit ça, on se sent très seul.e. Et on a peur que personne ne comprenne, que ce soit de notre faute et à nous de réparer. Mais en fait, la dysmorphophobie ou la tyrannie de la beauté ne sont pas des problèmes personnels. C’est quelque chose qu’on doit affronter ensemble. On ne peut pas en faire une souffrance individuelle. Il faut qu’on soit là les uns pour les autres, qu’on se prête nos regards.
The Ugly Stepsister provoque une empathie et un phénomène d’identification troublés : on a tout d’abord tendance à vouloir s’identifier à Cendrillon (Agnès) ; puis à Elvira (douleur, processus de changement physique) ; pour ensuite rejeter le personnage de Agnes (la plus belle, parfaite, et désobligeante avec Elvira) ; puis rejeter progressivement —avec une certaine pitié— Elvira lorsqu’elle plonge dans cette sorte de démence haineuse et enragée ; puis s’identifier à Alma, sa sœur qui la sauve. Au second visionnage, l’empathie est entièrement tourné vers Elvira, troublée lors de la scène du bal et de la pantoufle de vair…C’est un personnage profondément tragique. Ce qui est terrible, c’est qu’on a presque envie que Elvira vive enfin ses fantasmes de mariage, puisqu’elle n’a d’aspiration que pour ça et tout le reste n’est que souffrance et rejet. Mais en même temps, le film nous montre à quel point ces fantasmes sont vains et tout aussi tragiques. Elvira est un personnage qui ne pourra finalement jamais être elle-même, entière, et aimée inconditionnellement. Peux-tu nous parler de ce jeu troublant sur les phénomènes d’identifications aux personnages des trois (belles)-sœurs ?
Dès le départ, en réalisant The Ugly Stepsister, on est tombés amoureux d’Elvira. On savait ce qu’elle allait traverser, alors on voyait déjà sa beauté, sa vulnérabilité. Mais le public, lui, ne sait pas à quoi s’attendre lorsqu’il voit le film pour la première fois. Il peut la trouver un peu stupide ou ridicule au début. J’aime beaucoup que certains spectateurs, en revoyant le film une deuxième fois, éprouvent une empathie immédiate. Parce qu’ils savent ce qui va arriver. Ils peuvent revoir les signes, les blessures, la solitude, et s’y identifier différemment. C’est un jeu avec l’ironie dramatique. Je ne voulais pas faire un film où l’on est coincé dans les chaussures d’Elvira — jeu de mots intentionnel — tout au long du film, enfermés dans son esprit. J’aime les films qui jouent avec l’ironie dramatique, où le spectateur en sait plus que le personnage, ou bien où il est avec le personnage puis voit les choses changer. Ces basculements sont très intéressantes pour moi.
En tant que conteuse, je deviens très présente chaque fois que je change de point de vue. Le spectateur se souvient alors qu’il y a quelqu’un qui raconte cette histoire — on n’est pas juste collé à un personnage, on se souvient qu’il y a un récit, une narration. Et comme c’est un conte de fées, il y a toujours cette voix puissante du conteur. On ne suit jamais vraiment un seul personnage. Je savais aussi que le public aurait beaucoup de questions : que devient Cendrillon ? Est-ce que l’histoire se poursuit ? Si je laissais trop de zones floues, ce ne serait plus une relecture du conte. Donc c’était mon petit jeu : à certains moments, on regarde Elvira de l’extérieur, on est avec un autre personnage, et cela change notre compréhension de Elvira — parce qu’on sait ce que les autres font.
J’adore ce jeu parce qu’il rend le spectateur plus actif dans sa perception des personnages. Et les sauts de point de vue créent des vides, des espaces que le spectateur peut remplir. Si vous êtes toujours coincé dans les chaussures d’un personnage, vous devez sympathiser avec lui, ce qui peut devenir très étouffant. J’aime beaucoup jouer sur les identifications.
The Ugly Stepsister relève du registre du film d’horreur, en particulier du body horror. Le gore et le sanglant sont paradoxalement spectaculaires (on pense à la scène du pied) et pourtant assimilables, cohérents. L’horreur sanglante et démesurée devient identifiable et naturelle dans The Ugly Stepsister : la véritable horreur est peut-être justement là, du côté de cette identification du spectateur à des sacrifices et mutilations extrêmes de son propre corps. ; et le body horreur devient un langage émotionnel plus qu’un effet stylistique. Comment as-tu apprivoisé ce genre dans le processus de création de ton film et à quelles fins l’as-tu envisagé ?
Oui, du bouton d’acné qu’on éclate à l’amputation du pied, ce sont tous des actes d’automutilation. Il était important pour moi que l’équipe et les acteurs comprennent cela : ce sont des actes sombres. Mais encore une fois, il y a cette ambivalence que j’adore : c’est tragique, mais je pousse tellement loin que ça devient aussi drôle, parce que c’est exagéré.
Il s’agit d’un équilibre très délicat. Le rire et l’exagération permettent de prendre de la distance par rapport à sa propre douleur. Ce n’est pas du réalisme cru, c’est théâtral, presque camp, mais sincère dans l’intention. C’est mon premier film de body horror, et j’adore ça. Je savais que je ne devais pas me décevoir, et j’ai vraiment pris plaisir à le faire. J’ai écrit les scènes en pensant qu’elles devaient avoir un sens ; une portée symbolique. On devait comprendre ce que le personnage faisait à son propre corps, pourquoi. Je les ai toutes storyboardées. J’ai été très inspirée par David Cronenberg, bien sûr, mais aussi beaucoup par Dario Argento. Chez eux, l’horreur est intégrée à un langage esthétique.
Je voulais que les effets soient réels, concrets, tout en laissant parfois transparaître qu’ils sont faux, pour que le spectateur doive suspendre son incrédulité. Il faut une petite distance, une ironie, sinon c’est trop. J’aime jouer avec les attentes du spectateur et aller de plus en plus loin. Je savais que je voulais faire un film où le public ressentirait de l’empathie pour ce geste, sans y voir uniquement un acte de folie. C’était tout le défi de l’écriture : construire cela progressivement. Je voulais aussi que le film commence comme un rêve rose, girly, puis que cela se transforme en horreur. C’est une forme de manipulation, comme le fait l’industrie de la beauté : elle enrobe la souffrance de rose et de paillettes, alors que ce qui se cache en dessous est parfois monstrueux.
Dans le film, le body horror répond à mon goût, mon ton spécifique, un équilibre entre l’horreur, l’humour, l’empathie et l’exagération. Entre conte de fées et film d’horreur : car les contes de fées et l’horreur, c’est un peu la même chose, au fond.
La douleur physique est particulièrement palpable dans ton film. On souffre avec Elvira lorsqu’elle se fait arracher son appareil dentaire, puis casser le nez, puis coudre des faux-cils sur ses paupières…La douleur s’intensifie dans un crescendo presque physiquement éprouvant pour le spectateur. Peux-tu nous parler de ton rapport à la douleur, de sa représentation et sa signification ?
C’est surtout grâce à l’actrice Lea Myren, qui est incroyable. Mais aussi parce que, en tant que femme, j’ai eu une expérience très corporelle de la vie. Beaucoup de femmes se sentent presque enfermées dans leur corps, réduites à un objet de désir ou de rejet, définies par leur apparence. Voir les films de David Cronenberg, ça m’a permis de ressentir et voir cette vulnérabilité du corps, qu’on considère souvent comme vain et encombrant. Il montre le beau, le monstrueux, l’intérieur du corps — et après ses films, j’ai souvent envie de prendre soin de mon corps, car il me rappelle que je ne suis pas qu’un cerveau.
Faire un film sur la dysmorphophobie corporelle et la tyrannie de la beauté, c’est aussi parler de ces douleurs qu’on n’exprime jamais en tant que femmes. Cette déconnexion avec notre corps, cette souffrance qu’on lui inflige, parfois comme une punition. Parce qu’on n’est pas « assez belle ». Mais on n’en parle pas. On dit juste « il faut souffrir pour être belle », sans aller au bout de cette douleur. Moi, je voulais montrer cette douleur réelle.
Les séquences de rêve d’Elvira, notamment celle qui ouvre le film, sont à la fois magnifiques et très tristes. Comment les avez-vous conçues ? Et pourquoi ce choix musical ?
Le film est assez camp, et rêver d’un prince, c’est camp aussi. On voulait quelque chose de théâtral, un peu kitsch, mais toujours beau — un équilibre où on ne sait plus si c’est du premier ou du second degré. Au montage, on avait d’abord mis de la musique des années 70, très belle et sincère, mais on se demandait si les gens allaient comprendre que c’était un pastiche. Avec le monteur, on a donc décidé de chercher quelque chose de plus moderne, pour créer une ironie dramatique. On a découvert The Village, une compositrice norvégienne, et son album Melting Songs. Sa musique est passionnée, sincère, mais aussi drôle — exactement comme mon film. En l’écoutant sur la scène, on a soudain senti qu’Elvira pouvait être une fille d’aujourd’hui, pas juste une héroïne de film des années 70.
As-tu d’autres projets cinématographiques ?
Oui ! Je travaille sur deux projets très différents de celui-ci. Personnellement, je ne me considère pas comme une réalisatrice de genre. J’admire la manière dont Kubrick a fait Shining, Barry Lyndon, 2001… — il utilisait les genres pour raconter des histoires, sans s’y enfermer. C’est ce que j’essaie de faire aussi. Le premier projet est un film d’anticipation avec deux jumelles qui vont dans une fabrique de pop stars pour devenir célèbres. Il y aura un peu de body horror, mais aussi beaucoup de réflexion sur la musique pop. Le deuxième est un film qui se passe dans les années 1920, sur une île norvégienne. Une journaliste britannique vient enquêter sur ce qu’elle pense être une utopie féministe… mais il n’y a presque que du hareng. C’est un peu une blague, mais aussi un film très différent.
Mais tous ces projets resteront des films à moi, avec ma sensibilité : humour et tendresse.
Merci infiniment à Emilie Blichfeldt pour sa spontanéité, sa sincérité et son engagement. Merci également à Blanche Aurore Duault pour avoir rendu possible cet échange.
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