Nous avons aimé, sans la moindre réserve et avec une passion débordante, Reflet dans un diamant mort, le quatrième long-métrage d’Hélène Cattet et Bruno Forzani que nous avions découvert lors de la dernière édition des Hallucinations Collectives. C’est pourquoi nous nous sommes entretenus avec eux avec plaisir non dissimulé lors du festival en avril dernier.
Bruno Forzani : En 2010, après Amer, le film a été diffusé à Bruxelles à Offscreen. Fabio Testi jouait dedans, il nous faisait penser à Sean Connery, habillé en panama, blond comme Dirk Bogarde dans Mort à Venise. En sortant de la salle, nous nous sommes dit : « ce serait marrant si on faisait une sorte de James Bond croisé avec Mort à Venise ».
Nous sommes donc entre votre premier et votre deuxième film au moment où vous avez cette idée ?
Hélène Cattet : Exactement.
B.F. : Nous avons aussi découvert une exposition sur l’op art dans laquelle il y avait tous les jeux visuels, les miroirs. Puis, nous sommes allés voir un opéra de Christophe Honoré qui mettait en scène la Tosca par le prisme de Sunset Boulevard.

Millenium Actress – Copyright Septième Factory
Comment transformez-vous toutes ces inspirations en un scénario ?
B.F. : Afin d’agréger tous ces éléments, nous nous sommes inspirés de l’écriture de Millenium Actress, qui était notre référence en termes de scénario. Nous avons choisi une narration stéréoscopique avec les différentes couches de narration.
H.C. : Différentes couches de narrations qui permettent d’avoir différentes couches d’interprétation selon comment elles s’entrecroisent.
B.F. : Ensuite, nous écrivons avec des couleurs pour que chaque couleur soit une temporalité.
H.C. : Voir comment cela se complète et s’influence…
B.F. : Jusqu’à présent, lorsque nous écrivions nos scénarios, afin d’obtenir un financement, nous les novélisions. Il se trouve que cette fois-ci, la personne que nous avons rencontrée nous a incité à assumer le côté graphique de notre cinéma. Nous avons donc accompagné chaque séquence d’une sorte de « Mood Board » (ndlr : outil visuel qui rassemble un ensemble d’éléments destinés à exprimer une ambiance, une esthétique ou une intention créative pour un projet) permettant au lecteur de comprendre et de visualiser ce que nous voulions faire.
Votre film cite notamment l’art cinétique dont Clouzot avait fait preuve dans L’Enfer et dans La Prisonnière. Il avait envisagé d’utiliser ce cinétisme pour faire ressentir la jalousie qui allait finir par contaminer la narration. Dans Reflet dans un diamant mort, vous vous en servez justement pour passer de la réalité à la mise en abyme … Vous aviez cela en tête dès l’écriture ?
H.C. : En général, nous avons toujours les images et les sons en tête dès le scénario. Le découpage permet ensuite d’affiner et de pousser plus loin. Enfin, nous précisons tout ça dans le storyboard et parfois nous faisons même des petites maquettes…

La Prisonnière – Copyright StudioCanal
Travailler le sens via les sens par le découpage ?
H.C. : Oui, nous souhaitons que la forme raconte le fond, et via, si possible, quelque chose de sensoriel.
B.F. : En fait, l’écriture stéréoscopique est l’illusion de la narration, du fond, et l’op art devient ainsi la forme.
En abordant les déclinaisons de James Bond, les premiers super-héros, vous avez déclaré avoir l’envie de retrouver la jouissance du premier visionnage de ces films-là tout en y amenant une réflexion. Comment ne pas altérer cette jouissance, avec le temps et tous les films vus ?
B.F. : Nous essayons de transmettre la jouissance dans les séquences que nous écrivons. Dès l’écriture, nous apportons un rythme, une espèce de paroxysme afin de faire jouir le spectateur. C’est le premier but, c’est du plaisir pur. Bien sûr c’est subjectif, des gens vont être réceptifs, d’autres non.
H.C. : C’est intuitif. Si jamais nous jubilons un peu en l’écrivant, c’est déjà cool.
B.F. : Nous travaillons un univers qui est hyper balisé : les super-héros, James Bond ont toujours la même narration. Nous nous sommes dit que nous pouvions essayer d’aller ailleurs. Puisque les gens connaissent tous ces trucs-là, il fallait proposer autre chose. Quand j’étais petit j’adorais les James Bond, ils ressortaient en salle chaque été, les Roger Moore et les Sean Connery. J’allais toujours les voir et ça me faisait rêver. Certains spectateurs nous disent retomber en enfance lorsqu’ils découvrent le film, nous étions dans cette position-là à l’écriture, Yannick Renier disait qu’interpréter ce personnage était un jeu d’enfant… C’est très amusant et intéressant car nous pensions faire un film sur la vieillesse et nous nous apercevons qu’il est très lié à l’enfance et aux rêves, notamment celui de sauver le monde, mais aussi sa désillusion.
Est-ce que vous avez justement eu l’intention d’intégrer un commentaire sur le cinéma et sur la façon dont il se pratique ? La mise en abyme de cet acteur qui finit par être remplacé était-elle votre point de vue sur la manière de faire des films ou sur la façon dont le cinéma a évolué ?
B.F. : En fait, le diamant mort ça peut être plusieurs choses… C’est notamment un cinéma artisanal qui n’existe plus. Ces films Eurospy étaient tournés à travers le monde. Fabio a débuté dans les films de récupération. Des producteurs avaient des rushs en trop et faisaient des Zorro avec ces trucs-là. Lui, il tournait des plans supplémentaires où il était masqué et pouvait doubler le personnage. C’est un cinéma qui n’existe plus.
H.C. : En Italie, ils ont fait beaucoup de films en trichant et avec peu de moyens.
B.F. : Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais les deux derniers plans du film sont en numérique alors que tout le reste du film est en pellicule.

Reflet dans un diamant mort – Copyright UFO Distribution
Au-delà de l’illusion, c’est aussi un film sur le temps qui passe et celui qui est déjà passé. En le voyant, j’avais l’impression qu’il y avait aussi, d’une part, une réflexion sur votre propre cinéphilie, et une mise en parallèle du « temps cinématographique » et du temps réel. La manière dont le cinéma amplifie les choses, ce que vous projetez de personnel à travers lui notamment ce cinéma qui vous a possiblement construit ou bercé…
H.C. : Oui effectivement. Il incarne un cinéma, une image que nous avions quand nous étions petits et qui vient se mettre à côté de l’image maintenant que nous sommes grands.
B.F. : Il y a quelque chose de défaillant dans la mémoire, au niveau de la temporalité. Tout se mélange. La fiction, le réel. C’était le noyau du film.
H.C. : C’est là que nous avons pensé à The Father. Nous avions vu le film peu après l’écriture et nous avons été marqués par la manière dont est représenté le vieillissement des personnages où la frontière entre ce qui est vrai et faux s’estompe.
Fabio Testi c’est aussi bien L’important c’est d’aimer de Zulawski que Castellari dans Big Racket ou Les Quatre de l’apocalypse de Fulci. Il incarne des types de cinémas très différents qui n’attirent pas forcément le même public d’ailleurs, de la même manière que vous avez voulu mêler Mort à Venise et James Bond.
H.C. : Nous voulions synthétiser tous ces cinémas et ces visages extrêmement différents puisqu’il les avait en lui. Il incarnait ce dialogue entre les films.
Au-delà de Fabio Testi, qu’est-ce qui guide vos choix de casting ?
B.F. : De fait, Fabio Testi a guidé notre choix pour Yannick. Ce n’était pas évident de se projeter dans un James Bond francophone parce que ce sont plutôt des acteurs anglo-saxons qu’on imagine dans ce genre de films ou personnages. Lorsque nous avons rencontré Yannick, nous avons fait des essais avec lui et il était vraiment parfait au niveau de la palette de jeu… Néanmoins, il sortait d’un rôle où il était en fin de vie, donc il était très aminci et n’avait pas la dimension physique que nous recherchions.
H.C. : Il nous a dit : « Faites-moi confiance, en quelques mois je vais prendre 10 kilos de muscles. » C’était un pari, car nous étions à quatre mois du tournage.
B.F. : Et il l’a fait ! Il s’est complètement transformé !
H.C. : On était assez halluciné.
B.F. : Pour Maria de Medeiros c’est purement l’aspect graphique du personnage que nous cherchions.
H.C. : Elle a un côté vraiment intemporel et mystérieux. Elle est parfaite pour ce rôle. Mais à l’écriture nous avions Fabio Testi et Laura Gemser en tête…

Reflet dans un diamant mort – Copyright UFO Distribution
Et pour Serpentik, vous cherchiez une actrice qui soit aussi cascadeuse ?
H.C. : Nous voulions une personne qui pouvait faire ses propres cascades et en même temps incarner le rôle.
B.F. : Nous avions rencontré des cascadeuses mais le problème, c’est qu’elles sont prises très longtemps sur des projets parce qu’elles ne font quasiment que des films américains, elles sont prises pendant six mois à l’étranger… C’est hyper compliqué donc nous n’avons pas pu pousser plus loin cette piste là.
H.C. : Nous avons repensé à un spectacle que nous avions vu il y a vingt ans et où une des danseuses nous avait vraiment marqués. Nous l’avons retrouvée, il se trouve qu’elle était assez familière avec les arts martiaux, elle n’a eu aucun problème pour faire les cascades.
Combien de temps dure le tournage puis de montage d’un film comme celui-ci ?
H.C. : 39 jours de tournage, puis 3 mois de montage image et 3 mois de montage son.
Le film fourmille de références au-delà des genres et des sous-genres qu’il revisite, la robe Paco Rabanne, le morceau de Christophe tiré de la bande originale de La Route de Salina, le look du tueur qui est inspiré de Six femmes pour l’assassin, des choses qui se ramènent à différentes époques. Comment on arrive à créer un melting-pot cohérent ?
H.C. : J’ai l’impression que ça se fait naturellement, il y a une grande part d’intuition.
B.F. : Il y a des choses que nous avons malheureusement dû couper, notamment une scène aquatique, par manque de temps et d’argent.

Reflet dans un diamant mort – Copyright UFO Distribution
Comment avez-vous trouvé le titre du film ?
B.F. : À la base le titre de travail c’était Les Diamants ne sont pas éternels. Et puis il y avait deux livres dont nous adorions les titres : Reflet dans un œil mort, et L’homme qui jouit, sur Alfred Hitchcock. Nous avons simplement remplacé œil par diamant, ce qui allait avec la thématique du film. Et comme le diamant mort pouvait être plusieurs choses dans le film.
H.C. : De même que le côté reflet était parfait pour les différentes manières de voir le film.
Lorsque Bruno était membre du jury au Festival d’Annecy en 2018, vous avez confié avoir un projet de Pinku Eiga qui était déjà plus ou moins avancé. Qu’en est-il ?
B.F. : En fait, le Pinku Eiga est un projet d’animation qui s’appelle Darling qu’on a développé pendant quasiment dix ans. C’était censé être notre quatrième film, après Laissez bronzer les cadavres mais l’animation prend beaucoup de temps. Nous sommes allés au Japon, nous avons rencontré des gens en Amérique du Nord, en France…
H.C. : Nous avons cherché avec qui travailler et au final, nous nous sommes dit que ce serait bien de rapatrier ce projet en Belgique. Malheureusement, entre-temps, il y a eu le COVID…
B.F. : Le développement prenait tellement de temps que nous nous étions dit qu’il fallait faire un autre film pour pouvoir quand même gagner notre vie d’une certaine manière. Et donc, à l’été 2019, nous avons commencé à écrire Reflet dans un diamant mort. Le COVID a bloqué tout le système de financement pendant quasiment deux ans. Pendant cette période, nous avons continué à développer simultanément Darling et Reflet dans un diamant mort, puis Reflet a pris son envol en termes de financement. Nous allons maintenant repasser sur le film d’animation.
Le projet n’est donc pas abandonné ?
H. C. : Non, il existe deux minutes de film pour le moment.
On vous a souvent associé au giallo en raison d’Amer et L’Étrange couleur des larmes de ton corps mais est-ce qu’on peut dire que Satoshi Kon, que vous citez très souvent, est votre influence numéro 1 ?
H.C. : Il nous a accompagnés sur tous les films et même sur l’animation il est hyper présent avec Perfect Blue.
B.F. : Je dirais numéro un mais à égalité avec Dario Argento !
Propos recueillis le 21 avril 2025. Un grand merci au cinéma Comœdia, aux équipes d’Hallucinations Collectives, au journaliste Guillaume Gas d’Abus de ciné dont la majorité des questions ont été reprises ainsi qu’à Hélène Cattet et Bruno Forzani.
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