Antonio Altarriba & Kim – "L’art de voler"

Voila désormais dix ans que l’Espagne se réapproprie son histoire. Le pouvoir politique via des lois assurant la reconnaissance des exactions du franquisme mais également la culture tendent à en finir avec l’amnésie collective autour du passé contemporain de ce pays. En choisissant comme support la bande dessinée, Antonio Altarriba et Kim avec « L’art de voler » s’associent à ce mouvement de fond de la société espagnole.
Tout débute par la fin…le suicide du père de l’auteur entraine ce dernier à vouloir retracer la vie de son géniteur pour soulager quelque peu sa peine et sa culpabilité. Né dans la province d’Aragon au début du XXe siècle, sa vie aussi singulière soit-elle va épouser les remous de l’histoire. La force de cet ouvrage se perçoit véritablement dans la mise en rapport de l’histoire des hommes avec la destinée d’un seul. En effet, la vie de son père n’est pas seulement un prétexte pour retracer l’existence de ces Espagnols défaits, par l’arrivée au pouvoir de Franco, et au travers d’eux leur pays tout entier. L’auteur montre un homme, sans fard, avec ses contradictions et ses rêves qui tout au long de sa vie ne cesseront de le poursuivre. Ses faiblesses ne sont nullement cachées et permettent de saisir la complexité de cet homme. Pour ce faire, la narration est émaillée de métaphores graphiques particulièrement réussies représentant les pensées du personnage.
Tantôt simpliste tantôt expressif, le dessin colle parfaitement aux situations et à l’état d’esprit des hommes. Le dessinateur n’hésite pas à s’attarder sur l’expression d’un corps d’un visage quand les occasions le suggèrent.
En outre, de nombreux points sombres sont évoqués venant ainsi écorner l’historiographie classique. De la duplicité des communistes dans le camp républicain à l’accueil indigne et passé sous silence des refugiés espagnols parqués dans des camps le récit met a nu les errements de l’histoire. Il souligne également combien se révèle ardue la situation d’étrangers dans un pays (en l’occurrence la France) et ce malgré la participation active des Espagnols dans la Résistance pendant la seconde guerre mondiale.
Son départ pour la ville, l’enthousiasme soulevé par les débuts de la République, l’engagement dans la colonne Durutti marquent la jeunesse de cet homme fuyant la campagne et l’esprit rétrograde de sa famille. A l’exil forcé, après la défaite des républicains, et ô combien difficile pour tout homme s’ajoute pour des milliers d’Espagnols la sensation d’avoir échoué à concrétiser leur rêve d’une société fraternelle. Ce sentiment ne le quittera plus et ce malgré les compromissions qu’il fera tout au long de sa vie. Hanté par ses vieux démons (« le mieux étant sans doute d’oublier qu’emporté par un idéal, il fut un temps où j’avais volé ») il n’aura de cesse de confronter sa vie avec ses idéaux perdus. Ainsi, lorsqu’il s’abandonne à Marseille dans des trafics pour le moins mafieux, ses scrupules sur la portée de ses actes le poussent à abandonner son activité. De retour en Espagne, il tente d’effacer son passé en menant une vie ordinaire. Cependant, l’homme trainera jusqu’à la maison de retraite les réminiscences d’un temps oublié. Sa lente dépression entrainera le divorce. Sa seule consolation sera désormais d’être libre à défaut d’être heureux. Son suicide témoigne d’un dernier souhait d’embrasser le ciel lui qui avait tant du mal à avoir « les pieds sur terre ».
C’est un hommage particulièrement poignant d’un homme pour son père qu’il n’a pas su ou voulu comprendre. Son ouvrage lui rend grâce pour la postérité.
Paru aux
Editions Denoël.

 

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A propos de Julien CASSEFIERES

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