Entretien avec Frédérique Kadjo pour "Le Soleil froid"

Sous son apparence de roman au style classique, Le soleil froid s’avère pourtant bien plus tortueux. Pour sa première oeuvre, Frédérique Kadjo se lance dans un véritable défi en livrant une histoire à tiroirs à la narration plus complexe qu’il n’y parait. Un jeune homme part sur une île rejoindre un couple d’ermites dans une cabane isolée. Il est à la recherche de sa mère. Dans sa quête, il va faire la connaissance de personnages étranges qui l’emmèneront sur des terres qu’il ne comptait pas visiter.
Le roman baigne dans une atmosphère lourde, faite de non-dits où les personnages sont quasi-fantomatiques. Le personnage principal n’a pas de nom, évolue comme une ombre au milieu d’ autres protagonistes qui, eux, ont comme atteint leur maturité. Dans ces lieux qui ne sont jamais nommés se dégage un étrange sentiment d’irréalité et une violence sourde imprègne chaque page, chaque ligne de ce roman à l’ambiance tendue. Le soleil froid est une énigme que le personnage principal tente de résoudre. Au fur et à mesure qu’il perd pied, sa confiance en lui vacille et l’auteure déconstruit son histoire. Le récit se met ainsi à jouer sur les répétitions, sur les notions d’échos. C’est une oeuvre exigeante que signe Frédérique Kadjo cependant, elle reste inaboutie. Pour autant, il serait dommage de ne pas saluer son initiative. Cette jeune étudiante en économie, pour qui l’écriture est un moyen d’évasion, est la mieux placée pour parler de son roman et en livrer quelques clés…
 
Pour un premier roman, vous optez pour une construction et une narration déroutantes, pourquoi ?
Lorsque j’ai commencé l’écriture de ce roman, j’avais envie de faire de la poésie, mais il fallait que le texte raconte aussi une histoire et ce qui m’a guidé ne suivait pas un fil directeur précis, avec un schéma assez simple à comprendre, ce qui m’intéressait, c’était ce que les émotions non descriptibles peuvent engendrées chez les êtres humains et je me suis laissé porter jusqu’à apprendre moi-même de mes personnages sur ce que cette rencontre peut réellement symboliser à l’échelle d’une vie. Même ici je me laisse déborder par le flot des mots, avec une longue phrase sans point.
N’avez-vous pas peur de perdre le lecteur ?
Parfois si, et c’est un risque assumé, parce que je voulais réellement que ce premier roman puisse être  authentique, décrire une partie de moi qui ne se révèle qu’au moment de l’écriture et surtout proposer une œuvre différente. J’ai écris d’autres romans avec un fil directeur et une fin claire et précise, mais c’est d’abord ce livre que j’ai soumis à ma maison d’édition parce ce cela m’a paru évident pour commencer.
Vos personnages sont presque fantomatiques, l’ambiance est lourde… Pourquoi ce choix ?
Là je ne peux pas réellement parler de choix, je me suis glissée dans la peau d’un jeune homme qui part à la recherche de sa mère et progressivement cette atmosphère s’est imposée d’elle-même, ce sont mes personnages qui sont restés enfermés entre guillemet dans leur monde isolé et froid et en même temps qui ont réussi à m’inspirer pour que je continue à passer des longues heures avec eux, donc comme je l’ai dit précédemment, c’est la poésie de la vie que j’ai aimé mettre en scène, et je pense trouver l’inspiration plus facilement dans ce genre d’exercice avec des personnages qui parlent peu, qui expriment peu de chose et donc c’est au narrateur de faire passer des émotions des images qui subliment, du moins il l’espère, la réalité froide. C’est plus facile au final de peindre un portrait poétique d’une jeune femme triste au bord de la mer, que d’une femme qui est belle et qui fête son anniversaire avec ses amis.
Pourquoi pour ce premier roman, le choix de la quête identitaire ?
J’écris depuis que je suis petite. J’ai fais des études en économie parce que peu de gens vivent de l’écriture, mais c’est vital. Je ne conçois pas le monde sans cette valeur ajoutée, mon côté économiste resurgi,  qui est l’interprétation de la réalité que les romanciers arrivent à nous transmettre. Dans cette quête de vivre sa vie de manière plus poétique, la musique aussi est un bon vecteur, mais je me sens plus à l’aise avec la mise en scène des mots, il me semble.
En tant que jeune auteure, avez-vous eu du mal à trouver un éditeur ?
Honnêtement, j’ai eu de la chance. Première demande premier oui.
Quelles sont vos références littéraires ?
Je dirais que la première grande claque que je me suis prise, c’est Toni Morrison et L’oeil le plus bleu, j’étais encore enfant, et je n’en revenais pas de pouvoir me perdre à ce point dans un roman et vivre avec la jeune fille les coups et les blessures comme si j’étais à sa place. C’était dérangeant, mais je n’arrivais pas à m’arrêter de lire. Ensuite j’ai lu beaucoup de livres d’auteures africaines, qui sont moins connues et j’ai aimé celles qui racontaient des histoires atypiques et envoûtantes tout en rajoutant une partie poétique et mystérieuse.
La construction était-elle claire dès le début ou est-elle venue au fur et à mesure de l’écriture ?
Comme je vous le disais, je me suis laissé guider, au départ j’avais un peu une idée très simple de la fin et ensuite je me suis dit que ça n’avait pas d’importance de savoir exactement ce qui s’était passé, chacun peut se faire son interprétation, moi j’en ai une, un peu plus compliquée et que peu de gens vont certainement voir dans le roman, mais ça m’est venu au fil de l’écriture, cette possibilité que la part d’imagination soit plus grande que prévue, mais en réalité même moi je n’ai pas réellement envie de pouvoir donner une fin et une seule qui m’empêche de pouvoir encore même après le point final, laisser libre cours à mon imagination et à la poésie.
Le soleil froid / Frédrique Kadjo (Éditions Kirographaires, 2011)

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