Il faut l’entendre pour le croire !

Dans le film de 1933, on présente King Kong à la foule ainsi :
« Ladies and gentlemen, to see is to believe », avant d’ouvrir le rideau de la scène sur du Roi Kong. Quand on assiste à la représentation de ce film, par l’ensemble Télémaque, il convient de changer le script.

« Ladies and gentlemen, to hear is to believe »

De passage dans la sale de concert La Source[1], l’ensemble Télémaque, sous la direction de Raoul Lay avec la participation de l’école de musique de Fontaine en Isère, donne un ciné-concert du King Kong de 1933 réalisé par Merian Caldwell Cooper et Ernest Beaumont Schoedsack.
Une expérience radicale que nous propose Raoul Lay avec cette création musicale. Création car la partition d’origine de Max Steiner est oublié au profit de la composition du chef d’orchestre Raoul Lay.
Expérience radical puisque du néophyte à l’amateur éclairé, personne ne ressort indemne d’un voyage dans l’île du Crâne, où le Roi Kong s’est fait détrôner par ceux censé le servir : l’ensemble Télémaque.
Le générique installe comme il se doit l’atmosphère fantastique du voyage annoncé. Nous quittons le monde connu. Nous partons pour un voyage dans un autre espace temps, dont les portes s’ouvrent aux sons du code morse, noyé en bout de course par l’orchestre posant les termes de ce que nous allons voire et entendre.

L’ensemble Télémaque est fondé en 1994 par le compositeur et chef d’orchestre Raoul Lay, en tant qu’en semble de musique contemporaine de Marseille. Conventionné au début des années 2000, l’ensemble se distingue par son travaille sur les croisements. Il travail aussi bien avec Olivier Py[2], le Cirque Plume, la danseuse Nathalie Pernette, pour croiser la musique avec d’autres arts de la scène.

Raoul Lay : « Il n’y a plus une manière d’aborder la musique « savante », comme on disait à l’époque, au niveau de m’écriture, dans l’héritage, à partir de la musique classique et d’aller dans ce sillon là. Aujourd’hui on a la chance d’avoir toute une musique du monde in praesentia. On a accès à la fois à toute l’histoire de l’ère chrétienne jusqu’à nos jour, c’est inextensia (avec des partitions, des témoignages…) et nous avons aussi toutes les musiques de tous les pays. On n’est plus une musique ethno-centrée. Donc, à moins d’être fasciste, il n’y a pas de musique « pure » ou de musique « impure ». La création s’insinue du Jazz aux musiques actuelles, au rap, à l’électro, aux musiques qui viennent de la musique savante, etc… »

« La création musical quelques soient  ces exigences doit pouvoir être entendu par tout le monde et des amateurs doivent pouvoir s’en emparer. »

Tout cela crée un formidable mélange dans lequel on peut être extrêmement libre et choisir ses supports. Les  ciné concerts sont venus assez tard dans ma pratique. Ainsi quand j’ai commencé à parler des ciné-concerts à des directeurs de salles, on me disait que ça ne marcherait jamais, trop d’écart entre les deux types de publique, musique/cinéma. Or je dirigeais déjà pas mal de musique de films, comme celle du Pierre et le Loup de Suzie Templeton (Oscar du meilleur court-métrage d’animation[3]) et le très beau film de 1928 de Jean Epstein, la Chute de la maison Usher[4] dont Claude Debussy a fait une version. Une pièce sur Fantomas avec le National de Bordeaux, j’ai travaillé sur Max Linder, le précurseur de Chaplin.  Je dirige aussi un lieu à Marseille le PIC[5], qui est un lieu où on élabore tout, situé dans le 15ième et le 16ième, des quartiers « difficiles ». Nous avons la chance d’y être depuis Marseille Capitale de la Culture en 2013. J’essaie d’associer à mon travaille les gens qui sont là.  Dans une autre vie j’étais professeur de musique et je travaillais avec une intention culturelle délibérée envers l’éducation populaire. La création musical quelques soient  ces exigences doit pouvoir être entendu par tout le monde et des amateurs doivent pouvoir s’en emparer.
En 2014 à la demande du cinéma d’Art et d’Essais l’Alhambra  j’ai travaillé dur la musique de King Kong. J’avais vu le film à 11 ans, j’en garde une mémoire forte, il m’avait fait très peur. »

17797435_10155091244798116_860886466_o

Soudain l’orchestre fait silence et une étrange tension s’installe en effet avec cet orchestre présent, mais muet, dans l’ombre des images noires et blanches projetées sur la toile. La première partie du film se fait sans musique, dans la bande son d’origine avec les dialogue. Soudain la musique prend le dessus, et le film devient une autre langue, plus absolue, presque primitive. L’ensemble Télémaque est alors le véritable Roi de l’île du Crâne, faisant de Kong SA créature.

Raoul Lay : « J’ai réinventé complètement une musique dans un dispositif assez particulier  avec des instruments « classiques » et une contrebasse électrique qui est un instrument très particulier avec des pédales d’effets. Un Dj performeur sonore, Philippe Petit,  intervient sur les séquences de Kong[6]. C’est une œuvre qui a beaucoup de succès. Nous parton en Argentine, un peu par hasard, puisqu’elle n’a pas été pensé au départ, pour tourner autant. La présence d’amateurs dans le projet est essentielle, autant pour les Chœurs que parfois pour les percussions. J’ai travaillé sur des images particulières du film que je connais par cœur. L’obligation que les tempi collent à l’image donne une vraie précision à l’écriture. Je déclenche mon chrono au démarrage du film et je travaille à la seconde sur tout l’ensemble. J’ai utilisé des matériaux bien précis pour puiser dans une espèce d’Afrique et d’île imaginaire. Rythme du Cameroun, Marimba, superposition de polyrythmies, pentatoniques, sur toute la première partie de l’arrivée dans l’île. »

Dès lors on guette chaque apparition de l’orchestre comme s’il était le véritable Roi de la soirée.
L’étrangeté des images surannées sur une musique composée à notre époque, donnent au récit toute sa dimension prophétique.
Car King Kong est une prophétie.

Comment peut-il en être autrement aux vues des nombreuses adaptations du mythe. Provoquant ainsi un étrange mélange, parfois proche du malaise, quand la créature apparait, et rendant ainsi à Kong son caractère monstrueux et ambigu, là ou d’autre, Peter Jackson en tête en avait fait un spectacle de foire émotionnellement  inoffensif, dans lequel la monstruosité n’est qu’une attraction parmi tant d’autre. L’ensemble Télémaque propose de rétablir les équilibres avant de les faire chuter du haut de l’empire state building. C’est un Ed Wood qui aurait pu ouvrir le film et souhaiter la bienvenue aux amateurs de l’étrange, pour l’ordalie du Roi Kong.

Quand le film sort en 1933, l’être humain ne vaut guère mieux que les monstruosités présentées sur l’île du Crâne. La première Guère mondiale a fait environ, 18 Millions de morts. Le chiffre provoque le vertige de la nausée.
L’indifférence de la nature dans le film, envers la vie humaine, est loin d’être pire que celle des hommes. Au final, ils peuvent se taire pour essayer un autre langage, celui d’une musique.

Raoul Lay : « Tant que l’histoire de passe à New-York pendant la crise (de 29 ndlr)  j’ai repris le silence musicale du film de 1933. Dès que le bateau est sur l’eau, dès que Fay Wray (Ann Darrow)  pousse son cri, la musique arrive. Chaque fois qu’il y a des dialogues qui servent l’intrigue, elle s’efface. Mais parfois elle les remplace si le dialogue n’est pas essentiel à l’intrigue. Le performeur sonore, lui, est lié à King Kong et n’apparait qu’avec lui. »

L’effet est surréaliste  et rend à Kong, d’autant plus avec son animation surannée, saccadée et antinaturel, tout son caractère de monstruosité.     

Raoul Lay :«  La musique à ce moment n’est plus seulement une illustration, mais un prolongement. De la même manière pour la musique sur l’île j’ai utilisé les modes et les rythmes issus de l’Afrique quand il rencontre sa population mais aussi à la fin à l’opéra de New York où King Kong est présenté comme une bête. Ainsi la société New Yorkaise est présentée comme la sauvagerie de l’île.On ne sait plus qui sont les « sauvages ». Ceux qui ont enchaîné Kong le sont tout autant finalement. J’ai voulu faire complètement autre chose que la musique de Steiner.  D’abord parce que la musique est sur scène avec les musiciens et nous jouons « d’égale à égale » avec les acteurs.  La musique est l’image ont un lien bien plus direct. Cela permet de voire un chef d’œuvre du cinéma, avec la présence physique de la musique, comme un objet total produit par cette hybridation. Il n’y a plus d’effort intellectuel à fournir et c’est un spectacle sans doute plus totale que le cinéma lui-même.  La présence de l’orchestre rend le spectacle plus vivant. »

Le Roi Kong se fait soudain entendre de la jungle en démence, sur la montre du chef d’orchestre. Tous ses musiciens, ainsi que l’ensemble des chœurs de l’école de musique de la Source qui participe du projet, ne peuvent le faire attendre. Il faut monter sur scène pour se spectacle total et inhabituel.
Un travail exigeant des grandes qualités, car au service d’une véritable mission d’éducation populaire avec toutes les lettres de noblesse que cela implique. Pour ne pas le rater, il suffit d’éteindre sa télévision, sortir de hors, pousser la porte de l’ensemble Télémaque et partir dans son Odyssée, qui est la nôtre à tous.

Les projets futurs de l’Ensemble Télémaque : un concert avec Brigitte Fontaine et Nathalie Dessay à la Criée à Marseille, l’écriture d’un opéra circassien sur le Baron de Münchhausen et le festival Grandes musiques pour petites oreilles[7].

Pour assister aux prochaines séances : https://www.ensemble-telemaque.com/index.php/concerts-et-spectacles/en-cours/276-king-kong-2

Merci à Raoul Lay pour sa disponibilité, et Ludivne Bosc pour son travail à la Source.


[1] http://lasource-fontaine.eu/

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Olivier_Py

[3] Magnifique film de 30 minutes…

[4] D’après Edgard A. Poe

[5] https://www.ensemble-telemaque.com/index.php/component/content/article/109-infos-pratiques/261-ouverture-pic

[6] Provoquant ainsi un étrange mélange, parfois proche du malaise, quand la créature apparait, et rendant ainsi à Kong son caractère monstrueux et ambigu, là ou d’autre (Peter Jackson au paroxysme) en avait fait un spectacle de foire émotionnellement  inoffensif.)

[7] https://www.ensemble-telemaque.com/index.php/concerts-et-spectacles/en-cours/295-grandes-musiques-pour-petites-oreilles

© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).

A propos de Vasken Koutoudjian

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.