Arnaud Fleurent-Didier – Portrait d’un jeune homme en artiste (archives)

Cet album a 6 ans. Il est signé Arnaud Fleurent-Didier, auteur-compositeur-interprète français, un nom jusqu’ici inconnu. A l’exception de la flûte et de la clarinette il joue de tous les instruments sur cet album, guitare, piano, batterie & programmations, j’en passe encore. Nul minimalisme pourtant, bien au contraire, c’est la belle pop savante qui est au cœur et à l’ouvrage.

Cet album a mille vies. Ou plutôt mille écoutes, il ne s’use jamais, du moins pas encore. Le mode repeat fonctionne à plein, les oreilles vont et viennent au fil des chansons sans jamais perdre le fil et transformer l’écoute de ce recueil distinct de chansons en simple tapisserie sonore ou en musique de fond. L’oreille est toujours aux aguets, elle vibre au gré des arrangements de cordes, des volutes de piano, de la voix à la fois élégante et maniérée que l’on sent pétrie d’une rage contenue et maîtrisée.

Cet album, c’est 12 chansons dont au moins 1 chef d’œuvre, plutôt 2. « Vivre autrement » qui ouvre  le bal. Que serait en effet ce disque sans ce titre d’ouverture, cette introduction instrumentale mêlant piano et orchestration légère, cette basse linéaire qui vient fendre cette pièce orchestrale comme un coupe-papier (et non une vulgaire paire de ciseaux) viendrait trancher une feuille de papier-calque, cette voix qui évoque un Julien Baer qui chanterait en trottinant (si si), cette petite guitare qui vient enfoncer le clou, un clou qui brille sans que l’on sache s’il est doré ou bien simplement rouillé, oui cette gutare qui fait de cette valse revenue de tout une farandole exaltée à la fois fragile et résolue, violente et respectueuse.

Il y a « Emploi du temps » aussi, 6 minutes et 20 secondes belles à pleurer. Un crescendo qui épouse les pas d’un jeune désœuvré hagard, une musique qui virevolte au gré des rues prises un coup sur la droite et puis tiens allez, la troisième à gauche qui suit. Il faut certes se faire à l’idée de vibrer en écoutant une voix de traine parler du « Lycée Chaptal » sur un matelas frugal de clavecin  synthétique (l’occasion de parler de la voix, pour le moins maniérée, qui peut rebouter les plus sensibles) mais le résultat emporte toutes les réticences. Une sourde menace tonne derrière la beauté du propos, celle liée sans doute à une autre grande hébétude, celle de Jean-Claude Romand narrée dans le livre « L’adversaire » d’Emmanuel Carrère et dont l’histoire inspira Laurent Cantet pour le film qui porte le même nom que cette chanson, l’Emploi du temps, ce fil ténu entre la petite déprime oisive et le froid dérèglement. Un morceau étourdissant dont les derniers mots chantés de plus en plus doucement bouleversent tout autant qu’ils rassurent un tantinet; chichiteux oui, psychopate non.

Cet album c’est une vérité, une urgence. Chaque chanson ou presque tance la vie et le quotidien pour qu’ils s’accordent avec le dessein d’un musicien en soif de reconnaissance. C’est ainsi le presque daté « Rock critique » ou encore le très joli « Mon disque dort » et l’excellent « Les poètes ont quitté Paris ». Citons aussi les deux derniers titres de l’album et leurs textes en forme de manifeste à mettre en exergue en tête de deux chapitres d’une future biographie. Ambition certes mais non dénuée d’ironie et de recul, juste la mâchoire serrée et la certitude d’avoir à offrir.

Cet album c’est aussi du conter fleurette. L’ami Arnaud aime à lutiner la gueuse et à marcher dans les rues de Paris l’écharpe au vent et la jeune fille en jupette à son bras. C’est le ravissant « Je voterai pour toi », c’est aussi « le XXIè arrondissement de Paris » où une voix féminine (celle d’Ema Derton que l’on retrouve ici ou là au fil des chansons) vient poser sa pierre, sa douce pierre, à l’édifice. Dans ces moments l’univers d’AFD se rapproche lourdement de celui de Julien Baer, cette même élégance du dire, du jouer et du chanter.

Cet album c’est de la graine du meilleur Julien Baer (on le répète), Bertrand Burgalat (mais en moins distancié et délesté de ses gimmicks de synthés vintage) ou encore Florent Marchet (pour le talent de coller un « Je » omniprésent à une musique soignée et inspirée) sans oublier quelques effluves venues tout droit de la grande et belle variété orchestrale de la glorieuse décennie 1965-1975 (Polnareff par exemple), les deux dernières chansons en attestent.  C’est le haut d’un panier souvent percé, celui de la chanson d’expression française.

Cet album c’est une révélation. C’est une écrasante majorité de titres forts et une épatante consistance de bout en presque bout. Il rend d’autant plus impatient d’écouter le nouvel album du bonhomme qui est annoncé pour le début d’année 2010, il s’appellera « La reproduction ». Le vrai calendrier de l’Avent de cette fin 2009 c’est celui-ci.

 

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