Fin du XVe siècle : Adèle Karnstein est condamnée au bûcher, accusée de sorcellerie et du meurtre du comte Franz. Sa fille aînée, Helen, connaît le vrai coupable et tente de l’épargner à la dernière minute en accordant, contrainte et forcée, ses faveurs au comte Humboldt. Mais hélas, il est déjà trop tard. Adèle lance une terrible malédiction sur le peuple avant de périr sous les flammes devant le regard traumatisé de sa plus jeune fille, Elisabeth. Craignant que le secret d’adultère ne soit dévoilé, le comte Humboldt assassine de sang-froid Helen. Mais la malédiction prévue trace sa destinée. Une épidémie de peste frappe la population. Apparaît alors Mary, sosie troublant d’Helen, qui séduit Kurt, le fils du comte…

Copyright Artus Films
Toute la singularité paradoxale de La Sorcière sanglante s’affiche littéralement lors du générique d’ouverture, défilé de pseudos anglo-saxons, à commencer par celui de son metteur en scène, Antonio Margheriti, devenu pour l’occasion Anthony M. Dawson. La finalité de cette pratique, visant à tromper le public sur l’origine des productions de l’époque, est évidemment purement commerciale. Cet opportunisme ne permit pas, pendant longtemps, d’identifier les véritables géniteurs de ces œuvres, ces artisans brillants du cinéma italien. Même les plus connus d’entre eux, Mario Bava et Riccardo Freda, se dissimulaient respectivement derrière John Old et Robert Hampton à de multiples reprises. Les premiers plans sublimes de La Sorcière sanglante n’ont rien à envier à leurs modèles, les productions Hammer en tête : même soin apporté aux décors, à la reconstitution historique, aux ambiances gothiques, avec néanmoins une sensualité et un goût pour le macabre typiquement latins qui différencient le film de ceux réalisés par Terence Fisher ou Freddie Francis, plus rigoureux dans leur démarche.

Copyright Artus Films
Bouclant une trilogie entamée avec Danse macabre et La Vierge de Nuremberg, Antonio Margheriti poursuit son appétence viscérale du côté du fantastique, délaissant le dispositif de la logique des rêves et des boucles temporelles pour déployer un récit plus ouvertement romanesque, proche de certains grands ouvrages gothiques, ancrés dans un contexte social et historique crédible. En effet, le Moyen Âge n’est pas envisagé comme une simple toile de fond, il sert au contraire à donner une épaisseur tragique au scénario écrit par Tonino Valerii (et oui, le réalisateur de Mon nom est personne !) et l’incontournable Ernesto Gastaldi, évoquant la grande peste noire de 1347-1351 ainsi qu’une période contaminée par l’obscurantisme. Fascinante greffe entre drame historique éreintant le fanatisme religieux et pur film d’épouvante traditionnel, La Sorcière sanglante impressionne par sa beauté formelle, de sa somptueuse photographie noir et blanc à ses décors naturels génialement exploités. La luxuriance visuelle est au service d’un scénario solide, tragédie humaine doublée d’une histoire de vengeance, teintée de poésie macabre et d’un fantastique trouble et assumé. Le château (qui appartenait à un ami du cinéaste), avec ses longs couloirs, ses passages secrets menant d’une chambre à une crypte, ses dédales labyrinthiques brisant la cohérence topographique, incarne l’espace mental de Kurt dont la psyché se dérègle progressivement. Sa folie, ainsi que celle de son père, est représentée à l’écran par les apparitions/disparitions de spectres et ses décors mobiles, virant à l’abstraction.

Copyright Artus Films
D’ailleurs, le surgissement quasi irréel de Mary/Helen à l’église qui coïncide avec la mort du père de Kurt demeure le point de bascule du film vers le fantastique, le moment clé où le personnage masculin central – une fois n’est pas coutume – présenté comme négatif, prédateur sexuel atteint de mégalomanie, va sombrer. Cette séquence iconise à jamais la beauté indécente de Barbara Steele, dans l’un de ses plus beaux rôles. La grande originalité du film tient à ce mariage incestueux entre les éléments réalistes et le respect méthodique du genre avec son lot de fantômes, de malédictions qui frappent les antagonistes et de cadavres qui se recomposent. De plus, le réalisateur assume jusqu’au bout un climat mortifère : déliquescence d’une aristocratie en pleine décadence, omniprésence de la mort, obsession maladive de la faute. Les personnages sont rongés, non par la peste qui frappe le petit peuple, mais par un destin mort-né dont l’issue ne peut qu’être fatale. Le piège se refermant sur le comte se drape aussi d’un érotisme audacieux qui flirte avec la nécrophilie.

Copyright Artus Films
Classique incontournable du cinéma gothique italien, baignant dans une atmosphère envoûtante et inquiétante, La Sorcière sanglante impose Antonio Margheriti comme un des artisans majeurs du genre, sans doute moins doué que Mario Bava et Riccardo Freda, mais plus sincère, totalement en phase avec ses sujets.
(Italie – 1964) d’Anthony Dawson (Antonio Margheriti)
Avec Barbara Steele, Giorgio Ardisson, Halina Zalewska, Umberto Raho,
Le combo Blu-Ray/DVD reprend les bonus de l’édition précédente sortie également chez Artus en 2006.
Entretien avec Edoardo Margheriti (10 minutes) : Fils d’Antonio, Edoardo Margheriti a commencé très tôt dans le cinéma, en travaillant à de nombreux postes, dont celui d’assistant réalisateur, sur les tournages de son père. Il lui a dédié un site Internet. Il dresse un portrait de son père et évoque ses rapports intimes avec lui.
Mon ami Nini, par Luigi Cozzi (15 minutes) : Au cœur de la boutique culte Profondo Rosso, dédiée au cinéma de genre, Luigi Cozzi clame toute son admiration pour son ami « nini » dont il fut l’assistant sur quelques-uns de ses films. Autour de la sorcière sanglante, par Alain Petit (42 minutes) : Historien du cinéma, collectionneur, scénariste, comédien, Alain Petit revient sur l’ensemble de la carrière de Margheriti pour un entretien passionnant, riche en informations diverses.
La sorcellerie : culte des ancêtres et des forces de la nature par Anne Ferlat (17 minutes)
Conférencière, titulaire d’une thèse en sociologie sur le retour aux religions de la nature, Anne Ferlat a écrit des essais sur les traditions européennes (« Fées » aux éditions Pardès). L’exposé est intéressant et offre des pistes à explorer pour tous les passionnés du sujet.
La nouvelle édition, qui renvoie techniquement la précédente aux oubliettes, bénéficie, comme sur celle de Dans macabre, de l’intervention essentielle de Nicholas Stanzick qui livre une analyse pertinente du film. Enfin, un entretien avec le scénariste Ernesto Gastaldi complète cette édition indispensable, une de plus au catalogue d’Artus Films.
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).