Xavier Bouyssou – « Toonzie »

Le toonzviez-vous ?

Toi, moi, nous, vivons avec, au-dessus de notre tête, un Toon invisible, sorte d’incarnation toonesque de notre âme, reflet de nos aspirations, de nos peurs, de nos potentiels. Cela peut être un petit oiseau, un gros cochon, un Woodywood pecker sous acide, un canard Disneyesque, Pépé the pew, etc.

Et, Toon merci, un homme, un seul, a le pouvoir de les voir, flottant au dessus de la bassesse des Hommes : Gloire à toi, Toonzie !

Ainsi démarre la pétaradante et étonnante œuvre de Xavier Bouyssou, tout juste paru aux Editions 2024 (belle maison, dont le travail de défricheur impeccable nous a livré, dans un passé si proche, le superbe « Le Grand vide » par exemple).

« Les toons n’existent pas », confie Toonzie, dans un bref instant de faille, dans le prologue, avant sa chute métaphorique, cœur de l’ouvrage.

Sorte de délire fanzinesque de prime abord -on sent que Bouyssou a été biberonné à ce milieu, mélangeant les styles, colorisations, les scan parfois troubles-,  le livre semble conter, à traits mouvants le parcours final de ce drôle de Rael, variation Biglebowskienne du gourou de secte, enfermé avec ses derniers pratiquants dans un manoir à San Bernandino, Coolifornia, en 2069, attendant bêtement sa propre mort qui seule, a-t-il prophétisé, permettra la révélation ultime.

Dans ce futur percé de soleil, on observe donc s’enchainer les scènes au rire pincé, bourrés d’archétypes assumés, entre les vieux beaux dragueurs espérant pécho, les investisseurs italiens façon Mario, les jeunes filles perdues et les vieux hommes dépressifs, la jeune fille de Toonzie espérant échapper à l’emprise, l’inspecteur du FBI, le nouveau gourou à venir, cérémonials absurdes et veillées en chansons, etc. Et au milieu, Toonzie, silencieux dans son fauteuil roulant, attendant la mort.

  • Vers la mort.

Si Toonzie n’était que cela, il serait déjà une épatante variation autour de son thème, abusant des clichés pour les pousser à leur point de combustion, grincant et jaune. Mais Bouyssou, brillant, déjoue chacune de nos attentes de lecture.

D’abord par son incroyable travail de l’espace, du huis clos (si on excepte le prologue et les voyages psyché, tout se passe dans le manoir), qui génère une quantité de potentiels. Car dans ce manoir, il est déjà trop tard, tout a déjà eu lieu.

Il y a quelque chose de profondément glauque, et tout à la fois ancré dans notre culture pop, dans ce « Boulevard du crépuscule » (un accident d’ailleurs, signera la chute du maitre dans une piscine-fontaine roccoco), où les feuilles mortes s’accumulent sur le culte.

Toonzie est un théâtre, où la scène doucement se vide : les heures de gloire sont passées, les chairs sont amollies et tristes, les gens bizarres et fuyants (on pourrait parler des paragraphes entiers de l’incroyable travail des corps et du défilé de visage freaks que contient le livre). Et on attend la mort.

On voudrait voir alors dans cette veillée funèbre ou cette mise au tombeau une farce sale, un pamphlet, au pire une caricature tirant sur l’absurde, dénonçant par l’humour la looserie absolue de ces organes de contrôle que sont les cultes, en appuyant avec force pochade et jeux de mots le risible du gourou et la naïveté des croyants.

Mais le livre, perpétuellement drôle et étonnamment doux, se montre plein d’une humaine tendresse pour cette chute.

 

  • Nostalgie d’un monde.

S’il suscite d’abord le rire par son outrance, Toonzie se creuse doucement, se jouant de nos désirs moqueurs en déployant (au moins) trois axes, tous trois imbibés d’une certaine douloureuse nostalgie.

Il y a le plus évident, d’abord, celui d’une autobiographie mégalo déguisée : Toonzie, c’est Xavier Bouyssou, déguisé en gourou, heurtant sa sensibilité et sa vie de galérien dessinateur avec la toute-puissance qui lui échappe autant qu’il la moque. Il est l’observateur silencieux, handicapé, contant ses emmerdes de RSA autant qu’imaginant un succès incroyable, pansant ses plaies d’artiste dans une mégalomanie émouvante qui cache une fragilité extrême.

Par lui (avec lui et en lui, à toi, Dieu le Toon tout puissant…), arrive alors une étonnante et bizarroide réflexion sur le medium et ses potentiels.

Peuplé d’images détournées, tordues ou boursouflées, le récit de Bouyssou se perfuse aux références plus ou moins discrètes à ceux qui l’ont bâti en tant qu’auteur : Matt Groening autant que Beavis et butthead, Donald et Carl Barks, Tex Avery et Hannah Barbera, les Looney Tunes, aussi (on ne compte plus les itérations de Titi, Marvin le Martien, etc), la BD indé américaine, bien sûr, Cartoon Network ou Tintin quand ce n’est pas un Sponge Bob sous crack envahissant les plans de Prison Break, etc.

Cette contamination du médium et du réel, tout à la fois dynamique et malaisante trouve son point d’acmé (ACME ?) dans les cases d’une extatique et délirante BD dans la BD (« Le toontastique voyage ») où Bouyssou plonge carrément facon Michael Jordan dans Space Jam, se transformant jusqu’à devenir lui-même progressivement Toon, contant à la fois ce qu’il gagne (il devient dieu des toons inachevés, laissés à l’état de croquis, et une divinité pour tous) et ce qu’il perd de plaisirs de l’amour et de la chair.

  • Mélancolie.

Jouant sur le sens, perpétuellement sur un fil, ce rapport à l’imaginaire devient poignant, quand, peu à peu, ces références deviennent ceux d’une époque, enfin, où la nostalgie devient mélancolie : en reliant le toon à l’enfance, et en laissant chaque personnage s’exprimer sur ce qu’il a perdu, il nous raconte notre monde à la dérive.

Capitalisme galopant, vieille star de tiktok, enfermement dans la sexualité ou le virtuel, dérèglement climatique, remplacement des dirigeants par des intelligences artificielles avec spectacle de mise à mort, technologique téléphonique jusque dans le creux de la main. Dans ces traits en pointillés où pénètre l’extérieur on finit par se demander si le dehors, au fond, n’est pas meilleur que le dedans.

Jamais donneur de leçons, s’échappant sans cesse, autant fable que comédie, récit intime que nostalgique, autobiographie que fanzine délirant, Bouyssou signe, au fond, avec élégance, entre humour et malaise un conte des dérèglements successifs. Des effondrements successifs : celui du monde, celui de nos croyances (à l’exterieur, en Toonzie), celui de nos fidélités à l’enfance.

Drôle, émouvant et profondément brillant : gloire à Toonzie.


Elegance de l’éditeur, vous pouvez découvrir le prologue du récit en suivant ce lien : https://fr.calameo.com/read/003720038d53267ac9d74?page=1


Editions 2024, 294 pages, 26 euros.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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