Marcel Theroux – « Au nord du monde » (Prix de l’Inaperçu 2011)

Dans les rues froides, vides et sombres d’Evangeline, le shérif Makepeace fait sa ronde en attendant les quelques semaines de redoux. L’action se déroule en Sibérie post-coloniale, parmi les ruines d’une vie meilleure rêvée par une poignée d’immigrés américains. La neige y règne dans le cycle inexorable des civilisations perdues qui croyaient en un exil salvateur. Entre ces murs, résonne tristement l’échec de l’autarcie, de l’idéalisme, mais il faut pourtant survivre…Plantant avec talent une ambivalence entre désolation et souffle de vie, Marcel Theroux signe là son premier roman traduit en français. Son personnage, aguerri à l’instinct, emporte le lecteur dans une épopée solitaire qui tangue du réalisme à l’espoir : « Le monde n’est pas sentimental, il est sans pitié » / « J’ai beau essayer, je n’arrive pas à désespérer du genre humain ». Dans ces paysages désertés, on suit la trace de Makepeace qui tente de renouer avec le monde dans un soubresaut de foi en l’avenir : « Il y avait sans doute quelque chose de stimulant, après toutes ces années passées à m’entourer de précautions, à m’arracher de ce lieu par la grand route ».

Le climat, purement effroyable, perce dès les premières lignes et installe une atmosphère rythmée de feux de camp qui rappelle les sentiers enneigés d’Andreï Makine. Nature et culture s’affrontent dans ce monde à l’abandon où paradoxalement les hommes traquent pour se rassurer, comme dans le Malevil de Robert Merle. Se battre pour sauver sa peau, se débattre pour se sentir vivant, dans l’illusion d’un rebondissement : « Et pourtant, ce n’est pas parce que je ne sais pas me tenir à table, que je n’ai pas de scrupule à tuer quelqu’un, ou que je ne sais ni danser ni déchiffrer la musique, que je ne rêve pas du contraire ». La fuite des générations précédentes y est présentée comme un désengagement qui semble hanter leur descendance condamnée au même sort, l’utopie en moins et l’issue indiscernable : « Notre ville était comme l’épicentre d’un monde en perdition et non un endroit obscur et insignifiant à mille lieues du tourbillon de calamités sur lesquelles nous n’avions pas prise ».

Tour à tour récit épique et fable humaniste, ce roman d’une puissance atemporelle trace les contours d’un monde qui n’est pas tout à fait étranger. La ténacité de Makepeace, comme ses faiblesses, retentit dans chaque individualité, Au nord du monde comme au sud, pourvu que l’on se tienne physiquement sous le même ciel et qu’on ait la responsabilité du même univers : « Ce jour-là, […] j’ai eu peur de ce qui était arrivé au monde en mon absence ».

Paru aux Editions PLON, collection Feux croisés (traduit de l’anglais)

Ce roman a reçu le Prix de l’Inaperçu 2011 dans la catégorie Littérature étrangère : revoir la sélection.

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A propos de Sarah DESPOISSE

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