Anatomie d’un couple
Nedra et Viri se marièrent, vécurent heureux et eurent deux filles. Le célèbre épilogue fait office de point de départ au récit, élégant décorticage d’une vie conjugale et de l’évolution personnelle des conjoints. Point de drames hollywoodiens ou de tragédies antiques, « seulement » l’impact du quotidien, des désirs qui évoluent, le temps qui passe et l’expérience personnelle de ce couple face à ces problématiques intimes, mais pourtant banales. Au point d’en devenir une lecture lourde sur le fond car parlante à tout un chacun, mais étoffée d’une écriture noble et sincère, qui l’en rend plaisir.
Etat de New York, 1958. Le foyer des Berland a parfaite allure : la famille vit à distance de la ville, leur maison est ouverte à de nombreux amis, les enfants s’épanouissent en découvrant la nature. Les parents sont des intellectuels et leurs talents sont multiples. Odeurs appétissantes et mobilier accueillant abritent amour, beauté, créativité et estime. Pourtant, « en réalité, il existe deux sortes de vie, selon la formule de Viri : celle que les gens croient que vous menez, et l’autre ». La citation est à nuancer dans la présentation du roman, car leur équilibre n’est pas une mascarade. Il est bien réel et solide, mais n’en reste pas moins exposé à de nouvelles aspirations et autres effets du temps, auxquels les personnages n’arriveront pas toujours à faire face.
La plume de James Salter nous fait habilement découvrir les coulisses de ce couple grâce à des changements de narrateur, des descriptions vivantes et une finesse caressante. La profondeur y cohabite avec la simplicité pour une lecture-fleuve et une appropriation distanciée des problématiques. Car si l’identification à plusieurs personnages est possible de façon ponctuelle, l’histoire reste celle des Berland en tant que fiction et évite avec style les conclusions sociologiques en mettant l’accent sur le personnel et les cheminements de chacun.
La réflexion est pourtant lancée à la fin du roman, sur la possible péremption de l’amour ou sa transformation, mais surtout sur la place de l’individu dans le couple, entre fusion et annihilation.Une lecture chaudement recommandée, notamment à ceux qui ont aimé Belle du Seigneur (Albert Cohen) dont le souvenir reste néanmoins incomparable, ou le film La Moustache (Emmanuel Carrère).

« La liberté dont elle parlait, c’était la conquête de soi. Ce n’était pas un état naturel. Ne la connaissent que ceux qui voulaient tout risquer pour y parvenir, et se rendaient compte que sans elle, la vie n’est qu’une succession d’appétits, jusqu’au jour où les dents vous manquent. »
Publié aux Editions Points, 396 pages.

 

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