Jacques Julliard – "Les gauches francaises 1762-2012 : Histoire, politique et imaginaire"

S’atteler à la lecture d’un livre de près de 1000 pages consacré à la gauche française peut paraître, aux premiers abords, rebutant. La politique n’a pas bonne presse : éloignée des aspirations du peuple, impuissante face au déchaînement de la finance. De semblables critiques à l’égard du personnel politique reviennent telles une litanie, assommante, confirmant le désintérêt croissant des citoyens et favorisant, par la même, le repli individualiste. Dés lors, débuter la lecture de ce livre tient au mieux de l’héroïsme au pire de l’inconscience.

A vrai dire, cette gageure est infondée tant la plume de Jacques Julliard se révèle être aussi passionnante qu’animée par un souffle romanesque remarquable. Syndicaliste, historien, journaliste au Nouvel Observateur, proche, entre autre, de Pierre Mendes-France, un temps sympathisant du PSU, adhérent au Parti Socialiste en 1974, il a, durant sa vie, montré une fidélité sans faille à la gauche. A l’image de l’ouvrage « Les Droites en France » de René Rémond, la parution de son essai est à marquer d’une pierre blanche pour appréhender cette notion aux contours flous de « gauche ». S’il existe déjà de multiples études, elles demeurent dans leur grande majorité limitées dans le temps et les faits (voir par exemple Patrick Rotman et Hervé Hamon pour « Générations »). Celle de Julliard embrasse les siècles, des prémices philosophiques du XVIIIe siècle pour finir à l’élection à la présidence de la République de François Hollande.

Évitant de répertorier la pléthore de partis et autres groupuscules jalonnant son histoire, il se focalise sur les idées et les hommes qui les incarnent. De la Révolution Française à la IIIe République en passant par la Commune de Paris, il va discerner les idéaux cardinaux tels le combat pour la République dans un premier temps, la défense de la laïcité et l’émergence de la question sociale dans un second temps avec toujours un style accessible et saisissant pour le lecteur. Cette mise en perspective rend compte des combats idéologiques mais également des continuités et des ruptures. De plus, la construction de majorité pour accéder et se maintenir au pouvoir nécessitera des concessions. Il en est ainsi, par exemple, du ministère de Jules Meline (1896-1898) issu du camp progressiste mais gouvernant grâce aux voix de la droite catholique.

L’attrait de son essai réside dans la multiplicité des exposés. Outre la chronologie, son essai est jalonné de « duels » particulièrement bien restitués de personnages illustres liés à l’histoire de la gauche. Jacques Julliard met en relief les dissensions au sein de ce mouvement éclectique et parfois contradictoire en se focalisant sur des individualités : Voltaire/Rousseau, Blanqui/Thiers, Camus/Sartre pour donner des exemples. Ces oppositions laissent transparaître les débats de fond ainsi que les personnalités de chacun avec, le plus souvent, en toile de fond, la confrontation entre éthique de conviction et responsabilité.

En s’appuyant sur des cultures (centralisation, libéralisme, nationalisme…), Jacques Julliard distingue quatre familles politiques : la gauche libérale, jacobine, collectiviste et libertaire. Ces familles sont perméables, aucun parti n’est le représentant exclusif d’un courant. Selon les époques, l’influence de l’une ou l’autre varie. Le mérite de distinguer ces familles, à l’instar de René Remond pour les droites françaises, apporte un éclairage méthodologique essentiel dans l’histoire des sciences politiques. En effet, son analyse ne s’articule pas sur un mode binaire, souvent utilisé, entre « gauche de gouvernement » et « gauche de contestation ».

Seul bémol, l’absence notable de référence au mouvement écologiste ainsi que l’omission d’un penseur tel qu’Andre Gorz, précurseur d’une réorientation de la pensée progressiste vers une critique du Progrès. L’auteur termine son essai en exposant ses opinions (discutables) sur l’avenir et les voies possibles des gauches.

L’ouvrage de Jacques Julliard reste un livre indispensable pour qui veut comprendre les racines, l’essor et les apports de la gauche à la société française. L’auteur retranscrit admirablement les symboliques véhiculées, durant des générations, par cette grande famille politique. Manifestement, le passage de l’utopie au réel, de l’impossible au réalisable demeure une constante entretenant une espérance toujours vivace.

Les gauches francaises 1762-2012 : Histoire, politique et imaginaire
un essai de Jacques Julliard
Aux Editions
Flammarion

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