Roll up, roll up for the mystery tour
Roll up, roll up for the mystery tour
Roll up (And that’s an invitation), roll up for the mystery tour
Roll up (To make a reservation), roll up for the mystery tour
The magical mystery tour is waiting to take you away
Waiting to take you away

(The Beatles – Magical Mystery Tour -)

Et si les salles de cinéma étaient nos derniers temples obscurs? Et si Hollywood et ses avatars nous tendaient un miroir noir, nous parlaient d’apocalypse, de sacré, d’incendie permanent ?

Les sociétés secrètes de Jacques Rivette (Céline et Julien vont en bateau), les théories kubrickiennes vrillant au complotisme (Shining), le freak show de Tod Browning comme ancêtre du reality show (Freaks), les sorcières de Dario Argento (Suspiria)…personne ne manque à l’appel au sein du dernier rendez-vous de Pacôme Thiellement, pop exégète qui poursuit ici l’écriture de la magie, de l’âme et de l’Occident, telle qu’il l’envisageait déjà dans La main gauche de David Lynch et Les mêmes yeux que Lost. Le concept de l’ouvrage ? Envisager l’Histoire, notre histoire, celle de la culture populaire, de David Lynch à Frank Zappa, sans hiérarchisation aucune si ce n’est l’élévation de l’esprit comme finalité transcendante. Cinéma de (mauvais) genre, rock’n’roll – des Beatles aux Residents – poésie et Nouvel Hollywood sont alors décortiqués avec minutie sous l’angle du mysticisme, du vampirisme, du gnosticisme, voire même du sadisme. Chaque film devient alors une page blanche où tout peut encore s’écrire, à l’image du White Album des Beatles. La plume se balade et dérive jusqu’au cercle des 12 Sycomores, en un vertigineux « everything is connected » qui rappelle les orgies référentielles des Wachowski. L’exercice de style pourrait être envisagé comme l’avatar littéraire du cinéma de M. Night Shyamalan. Incassable, grande oeuvre exégétique, conjuguait comme pourrait le faire Thiellement l’iconographie des comics américains, le réalisme magique exotique, les hiéroglyphes égyptiens et les grandes figures du cinéma hollywoodien contemporain (Bruce Willis), en un tout implacablement cohérent. De même The Visit, réécriture du conte de fées façon Hansel et Gretel par les codes du found footage horrifique, est-il une farce carnavalesque assumée, rejoignant carrément les potacheries de la grossout comedy US ! Lire Cinema Hermetica c’est un peu comme se promener dans le cinéma de Shyamalan, d’un signe à l’autre, en une toile constituée de fils solides et disparates.

Au cours d’un entretien de 2007 titré « L’art secret », Jacques Rivette déclarait pour Les Inrockuptibles : « je déteste la formule “un film de”. Un film est toujours d’au moins quinze personnes. Je n’aime pas beaucoup “réalisation” non plus, qui me paraît très pesant, peut-être parce que sa racine est “réalité” ». De même, Cinema Hermetica, conception du cinéma en tant que langage (ou sauvetage ?) de l’âme, n’est-il pas « un livre de Pacôme Thiellement »…non, affirmera-t-on, c’est : « un livre d’Artaud, Robert Chambers, Damon Lindelof, Thomas Harris, Thomas Pynchon, Edgar Allan Poe, Stephen King, Baudelaire, René Guénon, Franz Kafka, Bram Stocker, William Shakespeare, Arthur Rimbaud, François Rabelais, André Breton et Gaston Leroux ». Tous ces génies d’un siècle se rejoignent en une sorte d’Instant Karma jubilatoire et lucide. Si Thiellement explose les barrières entre les âges et les cultures, c’est parce qu’à l’origine de sa passion pour l’écriture se trouve une explosion révolutionnaire. D’une part, l’image du Professeur Choron brisant un téléviseur dans l’émission Les raisins verts de Jean-Christophe Averty. Lui fait écho l’explosion fracassante du poste de télévision au début du long-métrage Twin Peaks de David Lynch. Comme traumatisé par ces deux images, Thiellement écrira généreusement à travers sa carrière d’auteur sur Hara-Kiri et Twin Peaks, deux oeuvres destructrices s’il en est. Cinema Hermetica nait ainsi de la destruction, un « chaos » carnavalesque comme l’est le Professeur Chaos de la série South Park. L’origine de l’analyse est l’Apocalypse. Le « Cinema Hermetica » dont nous parle le romancier/essayiste/vidéaste se trouve dans le désert du Sinaï, terre matricielle (la mère de l’auteur est égyptienne) : il s’agit du « cinéma au bout du monde », construit par un homme d’affaires français et photographié en mars 2014 par Kaupo Kikkas. Cette image de « cinema at the end of the world » évoque la Trilogie de l’Apocalypse de John Carpenter, et plus précisément la scène finale de L’antre de la folie. Lorsque la fin du monde aura lieu, nous serons dans une salle obscure, nous souffle à l’instar de Big John l’essayiste Thiellement. Et d’un rire hystérique nous contemplerons la chute de l’empire.

Le style volontiers transversal, graphique et impactant, l’entremêlement des phrases étant celui des images, rappelle que Thiellement est également metteur en scène et monteur…mais avant tout, c’est son passif de critique rock (pour Rock’n’Folk) qu’illustre cet opus. Effectivement, l’imagerie spiritualisante qui englobe chaque analyse se rapproche très sensiblement de l’oeuvre d’Yves Adrien, cet autre explorateur d’une « apocalypse rock » que d’aucun expédieraient en des termes à demi-méprisants (« déjanté », « illuminé » et autres rigolades). L’écriture de Pacôme Thiellement est profondément rock’n’roll, elle est celle du no future, épinglant télé-réalité et politique-vérité. On perçoit en lisant Cinema Hermetica son amour pour la culture underground (rappelons que le premier fait d’armes de Thiellement est un fanzine de bande dessinées à l’âge de treize ans). Artiste underground, Thiellement s’empare de ce qui imprégène l’inconscient populaire pour en faire du subversif mystique.

Evoquant les « vies brisées de Gene Tierney, Rita Hayworth, Marilyn Monroe » et leur combat contre les démons de la Mecque du cinéma, Thiellement rejoint par sa sensibilité mythologiste Edgar Morin (Les stars) mais surtout Kenneth Anger, ce grand nom du cinéma expérimental qui immortalisât l’usine à rêves comme un « Hollywood Babylone ». Quand le Chinese Theater est devenu le nouveau temple sacré offert à des milliers de fidèles, « nous adorions alors des idoles, que nous associions aux étoiles, et nous observions leur action sur le monde des hommes ». Anger et Thiellement nous parlent tous deux, avec un ton à la fois désenchanté et lucide, de l’Inland Empire. Et aux ravages de Charles Manson, imprégnant le papier angerien, répond l’Apocalypse contemporaine, l’indignation nationale. Car « l’identité française est une hallucination » et que nous vivons dans un monde, plus yuppie qu’hippie, plus effrayant que les fantasmagories inconscientes de Dario Argento ou de Kubrick. Ce monde c’est le  Temps de la Rigueur, « annoncé avec trompettes par les prophètes de la crise, puissances financières, industrielles, militaires, politiques et journalistes, ces engeances démoniaques qui ne sont elles-mêmes que les instruments d’un cycle touchant à sa fin. C’est le moment où la Terre n’est plus qu’une prison de mort ». Cette prison de mort, nous devons en exploser les murs, en une fulgurance explosive à la Zulawski. La culture populaire définit notre identité, bien plus que cette carte dérisoire que nous conservons précieusement dans notre portefeuille. En nous invitant à ressortir du placard les dessins de Topor et à contempler le visage grimaçant d’un Jack Nicholson tonitruant (qu’il relie au corps de notre Gégé national), l’auteur insiste sur la dangerosité de la culture consensuelle, de la mollesse réflexive, de l’état d’esprit généralisé d’une France tranquille et endormie. A n’en pas douter, Emmanuel Macron est le véritable Killer Bob. A ce constat glacant, Thiellement réagit par un salvateur « la culture populaire nous appartient » chantant comme le « Paris nous appartient » de Rivette. Ce que nous devons envisager, c’est que la pop culture est à la fois le reflet d’un occident en ruines mais également l’hypothèse d’un ailleurs, d’un échappatoire. Langage de l’âme, elle peut être cet « Here i come to save the day » que chantait avec dignité Andy Kauffman.

Soyez-en assurés, l’opus de Pacôme Thiellement est celui du sentiment politique. Constatant que les Temps Modernes ont marqué la fin du Carnavalesque, des fêtes transgressives des laissés-pour-compte et autres renversements sociaux irrévérencieux, le romancier perçoit en la pop culture la dernière véritable forme de politique libératoire. D’où le choix de Céline et Julie vont en bateau, car « le combat de Céline et Julie c’est le combat de la culture pop contre la culture académique. Le mauvais cinéma de la culture académique étouffant la culture populaire et son « public de merde », c’est ça : le monde imaginal ténébreux de tout ce qui cloche dans le monde ». Ce monde est une « chienne de vie » en cela que « le monde moderne s’est éloigné du monde traditionnel en perdant son savoir ancestral et en imposant une culture académique, un système de lois inique et des relais de domination toujours plus nombreux et étouffants ». Comment lutter contre cette domination ? Le cinéaste de la Nouvelle Vague et ami d’Andy Warhol nous offre justement un début de réponse car « il nous raconte le monde de merde contre lequel nous allons devoir nous battre. Mieux : il nous dit comment nous battre contre lui ». La pop culture permet à l’auteur d’évoquer la persécution des Roms, de se balader en un Paris détruit peuplé de fantômes, ou encore de remarquer que Le locataire, film chaotique, accueille quelques membres du Splendid, « quand deux d’entre eux, Christian Clavier et Gérard Jugnot, seront concrètement associés, l’un à Sarkozy (dont il célébrera la présidence au Fouquet’s) et l’autre à Hollande et Valls, avec lesquels il a passé le réveillon de 2013 au pavillon de la Lanterne de Versailles ».

C’est en retournant vers cette réalité que nous parvenons au mieux à comprendre le sens du simulacre. L’un des plus estimés critiques cinéma du web, Rob Ager, avec lequel Thiellement partage cette fascination pour Kubrick, le rapporte en entretien[1]. Sa vocation d’analyste est née de son expérience, quinze ans durant, de travailleur social, au plus près de la misère humaine. L’étude des pathologies, des manipulations, de la psychologie humaine, l’attention méticuleuse accordée aux sans-abris, schizophrènes, enfants abusés et autres « freaks » d’une société des délaissés, n’a cessé de nourrir son regard perçant, dont il fera état en analysant les oeuvres les plus évocatrices de la culture populaire. Le goût du cinéma naît d’un goût très prononcé pour le « faible », celui qui jadis avait droit, lors des fêtes carnavalesques, à un instant de victoire. La théorisation magique, l’ésotérisme et la spiritualité naissant de cette culture populaire fait ainsi de l’acte spectatoriel un combat politique, puisque « nous sommes avec les sorcières et les magiciens traditionnels contre les prêtres et les politiques corrompus du monde moderne ». La culture populaire est le langage du peuple, sa force politique, son pouvoir encore vivace et palpable de contestation, l’hypothèse de sa révolution prochaine, la « Revolution 9 » des Beatles. « La culture populaire, c’est ce qui nous reste de l’âge d’or. C’était une période antéhistorique où l’humanité vivait heureuse et où n’existait aucune inégalité, aucune hiérarchie et aucune privation » écrit Thiellement. Au sein d’une société contemporaine condamnée à être celle de Promouvoir, l’exégèse est une forme de militantisme, un bouillonnement des sens. Et si certains trouveront l’exercice vain, rappelons comme le disait Rainer Werner Fassbinder que  « ce qu’on est incapable de changer, il faut au moins le décrire ».

« Je perçois dans notre génération le sentiment universel que tout a déjà été dit et fait. Exact. Et alors ? Ca pourrait toujours être marrant de faire semblant » écrivait en écho Kurt Cobain dans son journal intime. Voilà : lisons Cinéma Hermetica et, si nous ne pouvons bouleverser l’ordre établi, faisons au moins semblant de le faire. Rêvons-le. Quitte à nous effondrer dans Chinatown…

Paru le 07/01/16 aux Editions Super 8.

[1] https://www.nyfa.edu/student-resources/how-to-become-a-film-critic-with-robert-ager/

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A propos de Clément ARBRUN

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