Cyril Herry – « Scalp »

Décidément, la ruralité a le vent en poupe. De Franck Bouysse, qui avait inauguré le genre, en passant par Benoît Minville, ou plus récemment Jean-Bernard Pouy, le pape du roman noir qui allait poser ses guêtres au milieu des zadistes ; la campagne fait parler la poudre et nourrit l’inspiration des auteurs. Il est vrai que la ruralité est revenue à la mode après une baisse d’intérêt à la fin des années 1970 : sa supposée authenticité séduit les repus du libéralisme. Est-ce là, la véritable victoire des zadistes à Notre-Dames-des-Landes ? Il est trop tôt pour le dire. Néanmoins, dans le nouveau roman de Cyril Herry, son personnage a précieusement rompu les liens avec la vie en société pour répondre à l’appel de la foret. Cette révolte radicale le conduit à s’isoler et quitter les siens. Des années après son départ, son ex-petite amie décide de le retrouver. D’abord pour elle, mais surtout pour son fils qui, pendant des années, avait trouvé un père de substitution dans sa colocation de fortune. Le mauvais sort avait conduit tout ce petit monde dans une tragédie effroyable. Désormais, elle n’avait plus le choix : son fils devait savoir la vérité sur l’identité de son père. Grace aux courriers reçus durant toutes ces années, Teresa avait une idée du lieu de son habitation. Niché au cœur d’une foret, accolé à un étang, il avait planté sa yourte sur cette terre qui n’avait pas de propriétaire, si ce n’est la nature sauvage. L’appréhension de Teresa s’efface devant l’excitation de Hans. Délaissant le village alentour, ils s’enfoncent dans ces taillis sauvages, là où les hommes n’ont pas droit de cité. Ils découvrent le campement de fortune. En mettant la main sur son journal intime, ils reconstruisent son quotidien reclus de la civilisation. Pourtant, aucun signe de vie ne tend à prouver sa présence sur les lieux. A-t-il délaissé son habitation pour partir ? Ils décident de rester quelques jours et adoptent son mode de vie, afin de satisfaire la curiosité de Hans.

L’auteur installe alors un huit-clos oppressant où la forêt joue un rôle majeur dans l’intrigue. Les personnages, happés par ce lieu, se fondent dans ce décor. Ainsi, Hans, au fil du livre, méthodiquement, se transforme, jusqu’à ne faire qu’un avec ce lieu sauvage et inhospitalier. « Les parois de l’imaginaire avait cédé comme un barrage sous la pression d’une eau réelle, glacée, et le paysage s’assombrissait comme sous le coup d’une éclipse. Une peur tenait Hans – il ne sut pas nommer autrement l’origine de la douleur qui lui tordit le ventre le soir venu. Une peur conjuguée à une excitation sans précédent. » L’intrigue se construit lentement, grâce aux éléments instillés au fil du texte : ici, des squelettes d’animaux retrouvés ; là, la découverte d’un cimetière à voitures perdu au cœur d’un bois de sapin. Néanmoins, une présence plane rendant l’atmosphère suffocante pour les protagonistes. Des signes curieux viennent troubler leur quiétude naturelle. Est-ce la présence du père, tel un fantôme insaisissable, observant son enfant se mouvoir dans son nouveau terrain de jeux ? Qui sont ces hommes apparaissant comme des ombres et disparaissant aussitôt ?

Dans la veine du roman noir-critique sociale, Cyril Herry tient la distance de ses alter ego en faisant de son personnage un héros discret de la lutte pour la nature. Ici, pas de nuances : les ennemis sont clairement identifiés, laissant la morale sauve. Dans ce huit-clos à l’air libre, le suspense, entretenu par l’auteur, est haletant jusqu’au dénouement final.

Un roman, noir, sauvage, fermé, où la violence des hommes déploie sa férocité. Et si la fin du roman livre une part des réponses, un halo de mystère demeure pour le lecteur après avoir refermé le livre.

Scalp

Cyril Herrybandeau-dialogues-blanc

Editions Seuil

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A propos de Julien CASSEFIERES

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