Festival Résonances – 11èmes Rencontres du cinéma citoyen – du 3 au 8 novembre à Bobigny

Le Magic Cinema de Bobigny, ville traditionnellement « rouge » et solidaire des luttes des peuples en son sein et ailleurs, accueille pour la onzième fois le festival Résonances, Rencontres du cinéma citoyen.
En seulement six jours, l’événement propose un programme très riche et franchement alléchant qui rend compte de cet esprit et de cette énergie. Les thèmes évoqués vont de la condition de l’individu paupérisé, des femmes ou des travailleurs aux combats contre l’oppression par des régimes et systèmes iniques… Les thèmes éternels se mêlent aux sujets brûlants d’actualité. Les regards, féminins ou pas, sont tantôt rétrospectifs, tantôt plongés dans le chaos du présent ou tournés vers l’avenir. Le spectre couvert par le programme de cette édition de Résonances est vaste dans le temps comme l’espace (des pauvres blancs du Sud des États-Unis des années 1970 au monde arabe en ce moment-même, en passant par le Larzac), sans que n’en soit entamée sa profonde cohésion. C’est la même vitalité, la même énergie teintée d’un inébranlable espoir qui réunit les oeuvres présentées et les luttes qu’elles reflètent. À la résistance et la révolte répond ici un autre mot en « r », le mot « rêves », auquel le festival réserve même sa clôture à travers le road movie Le Bonheur, terre promise de Laurent Hasse et le nouveau film de Robert Guédiguian, la chaleureuse fable sociale Les Neiges du Kilimandjaro, sélectionnée dans la section Un Certain Regard du dernier Festival de Cannes.
Soirée d’ouverture :
Pour son ouverture jeudi 3 novembre, la manifestation a su choisir un film galvanisant s’il en est. Il s’agit de Norma Rae de Martin Ritt, projeté en avant-première avant sa reprise dans les salles de l’Hexagone à partir du 16 novembre. Cette belle oeuvre, lauréate de deux prix à Cannes en 1979 et de deux Oscars l’année suivante, notamment grâce à l’enthousiasmante performance de l’actrice Sally Fields dans le rôle-titre, place face aux écrasantes conditions de travail d’ouvriers du textile américains l’énergie et le bagout d’une pionnière du syndicalisme qui n’hésite pas à réclamer un minimum d’humanité qui semble tomber sous de sens, mais s’avère extrêmement difficile à faire valoir dans une province sudiste paralysée par ses archaïsmes et par la peur d’un patron dont on dépend pour mettre quelques pommes de terre dans l’humble marmite familiale.
Après ce beau rappel de l’extrême difficulté du combat syndicaliste à ses débuts et des efforts considérables requis pour simplement s’exprimer au sein d’une « machine » qui étouffe et assourdit (littéralement), la ténacité de l’héroïne éponyme de Louise Wimmer s’exerce de manière plus solitaire et silencieuse. Dans ce premier long métrage de Cyril Mennegun, acclamé à la dernière Mostra de Venise et présenté ici en avant-première nationale (le film sort le 4 janvier 2012), il s’agit simplement de survivre, sans perdre sa dignité, un principe que Louise (interprétée avec une retenue impressionnante par Corinne Masiero) associe farouchement, à tort ou à raison, à l’autonomie. C’est qu’à bientôt 50 ans, elle vit dans sa voiture en attendant qu’on lui atttribue un logement en HLM et comme dirait Prévert dans « La Grasse Matinée », elle a « beau se répéter (…) / Ça ne peut pas durer / Ça dure ». Louise est dans la situation du personnage du Signe du Lion de Rohmer : trouver à manger, rester propre, maintenir les apparences pour ne pas basculer de l’autre côté du dénuement, celui dont on ne revient pas, demande des efforts considérables tandis que les dernières ressources s’épuisent et que le moindre détail (une panne, quelques euros…) peut tout précipiter. Et pourtant, Louise tient bon.
Printemps arabe :
Après une journée du 4 marquée par un rendez-vous du « Café des savoirs » de Bobigny consacré aux nouvelles formes de luttes sociales puis par l’avant-première de l’épique documentaire Tous au Larzac de Christian Rouaud, lui aussi projeté en mai sur la Croisette (sortie le 23 novembre), le samedi 5 et le dimanche 6 seront dédiés aux révolutions arabes, qui au-delà des films feront l’objet de discussions et d’une exposition.
Tahrir (Place de la Libération), de Stefano Sanova, dépeint à travers les gestes et mots de ceux qui l’ont vécu l’espace de liberté qui a su se créer au Caire en février dernier, Plus jamais peur , de Mourad Ben Cheikh, évoque le régime de Ben Ali et le peuple qui le subit, notamment les jeunes, qui disposent à présent de nouveaux moyens de se battre par les mots et la communication contre la terreur.

La parole est un thème récurrent, et la voix est là encore souvent féminine. Dans le film marocain Sur la planche de Leïla Kilani (sélectionné à la dernière Quinzaine des réalisateurs ; dans les salles le 1er février prochain), une « fille-crevette » de 20 ans doit non seulement se débrouiller par tous les moyens pour survivre (éplucher des fruits de mer à la chaîne, voler et se prostituer pour avoir du pain à tremper dans son lait et une misérable chambre où frotter sa peau jusqu’au sang pour en ôter l’odeur qui dénonce son humiliante condition d’ouvrière du plus bas étage…), mais aussi « se tenir debout », or décider de son destin passe pour elle par le mensonge : « Je ne vole pas, je me rembourse. (…) Je ne me prostitue pas, je m’invite. Je suis déjà ce que je serai. Je suis juste en avance sur la vérité, la mienne ».

 

C’est aussi une réappropriation de son destin tronqué par la parole et le récit que tente la coproduction franco-syrienne Je suis celle qui porte des fleurs sur sa tombe, un documentaire plein de silences réalisé en 2006 par Hala Alabdalla Yakoub et Ammar Al Beik, mais une des oeuvres les plus saisissantes de la sélection est le tout récent documentaire iranien anonyme Fragments d’une révolution, où une émigrée installée tente de suivre de Paris, ou plutôt de reconstruire via des bribes de vidéos et témoignages envoyés de Téhéran par téléphone ou via Internet les « élections volées » du 12 juin 2009 et les mois de soulèvements et de répression qui se sont ensuivis. Ce film de moins d’une heure réalisé devant nos yeux avec les moyens du bord en dit pour cette raison même plus long que n’importe quelle spectaculaire épopée sur l’espoir d’un peuple et conséquemment son refus d’accepter la « fraude » électorale du gouvernement, sur son union et l’unisson de sa colère contre les insultantes réinterprétations (les « mises en scène ») et revers d’accusations proférés par Mahmoud Ahmadinejad et malgré des répressions de plus en plus meurtrières, sur le contrôle de l’information, mais aussi sur la vitalité du besoin de raconter, d’exprimer, de garder coûte que coûte la parole. Dans son humilité, la scène finale, où des mains font défiler des aveux écrits sur des feuilles de papier (l’aveu que ces mains ne sont pas à la personne qui a fait le film, l’aveu que les voix sont aussi à d’autres, l’aveu que l’auteur du film a peur, l’aveu qu’elle ou il espère encore…), est à couper le souffle.
 

Rêves :
 

Après un détour par la « Périphérie », les ouvriers et les usines, détour bercé par les tristes mélodies de la Chambre en ville de Jacques Demy, comme les personnages qu’elle réunit, y compris les flics du superbe Polisse de Maïwenn, la 11ème édition de Résonances s’accrochera jusqu’à la fin aux espoirs et rêves qui valent le coup de résister et de se révolter. Outre les films de Hasse et Guédiguian, la dernière journée, le mardi 8 novembre, verra aussi la projection en avant-première d’un intrigant projet sur l’identité française via le témoignage pluriel de femmes françaises d’origine étrangère, Nos ancêtres les Gauloises de Christian Zerbib, un « retour aux origines » fuyant le passé et tourné vers le changement qui montre qu’aux Rencontres du cinéma citoyen, la boucle n’est jamais bouclée, car l’engagement est vivant.

Vous trouverez l’intégralité du programme sur le site du Magic Cinéma

 

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A propos de Bénédicte Prot

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