Pour ce mois de Septembre, les éditions Coin de Mire nous ont concocté un joli programme avec du José Giovanni, du Gilles Grangier, du Henri Verneuil et du Jean Delannoy. Nous nous intéresserons d’abord à trois films.

Pour commencer, voici les deux meilleures collaborations de José Giovanni et Lino Ventura. Dans Le Rapace (1968), Lino Ventura incarne un aventurier tueur à gages solitaire et sans morale, qu’on appelle le Rital, chargé d’assassiner le Président en place pour permettre aux acteurs de la rébellion de prendre le pouvoir et au jeune Miguel (Xavier Marc) d’apparaître comme le héros de la révolution, celui qui aura commis l’acte fatal. Mais les apparences sont trompeuses et les commanditaires ont une autre idée derrière la tête, qui n’est de laisser en vie ni le tueur, ni le rebelle. Derrière le film d’aventures se cache un beau tableau du cynisme politique qui cherche toujours à utiliser le peuple comme une marionnette plutôt que de lui donner le pouvoir. Adaptation de John Carrick, sous des apparences exotiques – une Amérique Latine en plein chaos politique – Le Rapace s’apparente quasiment à un équivalent français des westerns spaghetti « révolutionnaires » de la même époque et notamment ceux de Sergio Sollima (Leone n’avait pas encore réalisé Il était une fois la Révolution). La musique de François de Roubaix, en collaboration avec Los Incas sur un mode folklore d’Amérique Latine, en ajoute à l’ambiance. Le duo Miguel / Le rital,  plein d’oppositions, de conflits entre l’idéaliste et le nihiliste, l’illusion et le désabusement, retranscrit d’ailleurs parfaitement le motif du duo contre-nature, avec cette forme d’initiation graduelle de l’un à l’autre. Toute proportion gardée Ventura apparaît ainsi un peu pour Giovanni en équivalent de Tomas Milian chez Sergio Sollima.

Personne ne dira le contraire, Dernier Domicile Connu (1970) reste le meilleur film de José Giovanni, son plus désenchanté également, son plus gris, sans espoir sur l’humanité et la justice, qui nous plonge dans un climat dépressif que n’aurait pas renié Simenon. Certes, le cinéaste s’attaquera trois ans plus tard à la mécanique impitoyable de la justice avec Deux Hommes dans la ville, véritable plaidoyer contre la peine de mort, mais ici la douleur est plus universelle, diffusant un spleen croissant. C’est le monde comme il va, où toute lutte semble dérisoire, tout combat vain, tout désir de faire régner la réalité voué à l’échec. L’injustice domine du début jusqu’à la fin dans Dernier Domicile Connu, servi par une politique d’Etat définitivement pourrie, qui protège les privilégiés, où les avocats corrompus possèdent le pouvoir d’écraser ceux qui leur font front, en falsifiant la réalité, diffamant les plus intègres et métamorphosant le mensonge en vérité officielle. C’est ce qui arrive à Marceau Léonetti (Lino Ventura), inspecteur exemplaire croisant un jour les pas du fils d’un avocat renommé, éméché et agressif avec sa fiancée, emmené au poste avant d’être relâché. Léonetti se retrouve illico déplacé dans un petit commissariat de banlieue où on le charge avec Jeanne, sa jeune coéquipière (Marlène Jobert), d’arrêter des pervers dans des cinémas avant de lui confier une affaire beaucoup moins officielle : voilà cinq ans qu’un comptable, qui pourrait être le témoin principal dans le procès d’un truand pour faire tomber ce dernier, a disparu. Six jours : c’est le temps qu’il reste pour le retrouver avant le procès. Jeanne est pleine d’espoir et d’illusion, tandis que Leonetti n’attend plus rien ni de la vie, ni de la société. Ils partent sur les traces de cet homme mais ils ne sont pas les seuls : des bandits aimeraient le trouver les premiers pour l’éliminer. Paradoxalement, dans ce temps d’enquête resserré, le film de Giovanni avance dans une envoûtante lenteur, qui élimine presque les ressorts de suspense du polar pour plonger dans une atmosphère purement psychologique, épousant le point de vue du bouleversant duo Jeanne / Leonetti. Lino Ventura y est fabuleux, on ressent dans chacun de ses pas l’allure du veuf et du père inconsolé retrouvant graduellement un sursaut de jeunesse grâce à sa jeune coéquipière. Quant à Marlène Jobert, incroyablement touchante, elle traverse le film entre grâce et mélancolie, candide ouvrant lentement les yeux face à l’iniquité universelle. Pourtant elle sera la seule, accompagnée d’une petite fille, à donner à Dernier Domicile Connu ses quelques lueurs d’espoir, parce qu’elle respire encore le juvénile, une forme d’innocence enfantine qu’on espère tenace. Il y a aussi dans Dernier Domicile Connu les traces d’un amour naissant poignant qui ne dit jamais vraiment son nom, entre ce cinquantenaire éteint et cette jeune commissaire. Une œuvre superbe, à l’image de la mélodie entêtante de François de Roubaix qui signait l’une de ses plus belles partitions.

Changeons maintenant radicalement de style : septième collaboration d’Henri Verneuil et de Fernandel, quelques années avant La Vache et le Prisonnier qui sera leur plus grand succès, Le Grand Chef (1959) est une savoureuse comédie dont l’efficacité tient énormément au duo gagnant Fernandel / Gino Cervi, déjà si désopilant dans les Don Camillo. Nous avons ici affaire à deux laveurs de voiture dans le besoin, décidant de kidnapper le jeune fils d’un milliardaire en espérant toucher une belle rançon. Mais le petit garçon va leur donner du fil à retordre, et sur le mode de l’arroseur arrosé, les deux bandits amateurs vont rapidement regretter leur geste… jusqu’à devoir se métamorphoser en parfaites nounous. Le Grand Chef servit probablement de matrice au Jouet de Francis Veber avec lequel il présente de nombreuses similitudes. Même Maman j’ai raté l’avion semble partir du même argument initial. Soixante ans plus tard, Le Grand chef reste toujours aussi délicieusement drôle.

 

Nous sommes ravis, en partenariat avec Coin de Mire de vous faire gagner l’un de ses trois films, si vous répondez à ce questionnaire avant le 13 octobre, 0h00.

 

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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