Pierre Salvadori – « En Liberté »

Nous avions beaucoup aimé Dans la cour, le précédent film de Pierre Salvadori. Bonne nouvelle, à l’instar de son titre, son neuvième film est inclassable, à la fois léger comme du champagne et saisissant comme une déflagration, joyeusement amoral. Ou encore, la rencontre d’autant plus savoureuse qu’improbable entre Ernst Lubitsch, Starsky & Hutch et les Frères Coen. D’ailleurs, présenté au festival de Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs, cette brillante comédie a obtenu le prix SACD, soit un prix récompensant un auteur au travail singulier.

© Memento Films Distribution

La scène d’ouverture est une arrestation musclée à la Starky & Hutch, car vue par le prisme d’un garçonnet de 9 ans, le fils d’Yvonne (Adèle Haenel) inspectrice de police et veuve d’un flic mort en héros, le Capitaine Santi, dont elle lui raconte pour la énième fois le climax de sa carrière. Sauf que cette scène qui va se jouer et se rejouer sous nos yeux, est une scène au sens premier : totalement artificielle. Au moment où est inaugurée la statue (incroyablement cheap !) de feu son mari, Yvonne apprend par un collègue Louis que le disparu était un pourri et pas du tout le héros que son fils chérit. Ainsi, Santi a fait coffrer un innocent, Antoine (Pio Marmaï) lors d’une sombre histoire de trafic d’assurance. Dès lors, Yvonne n’a qu’un but : racheter la faute de son mari…
Las ! à sa sortie de prison, Antoine est devenu une bombe à retardement ; quant à la fliquette sur la touche, elle confesse « J’ai envie de taper et de me faire taper ! »
On pense à Lubitsch pour les chassés-croisés et les quiproquos loufoques qui vont ainsi mettre en présence quatre acteurs au sommet : Haenel, Marmaï et aussi Audrey Tautou, fiancée de Louis qui ne le reconnaît plus après son passage en taule et Damien Bonnard, Louis, collègue amoureux transi d’Yvonne. Cela donne lieu à des scènes hautes en couleur dont on mesure la sophistication, quand on essaye comme ici de les résumer. Les dialogues fusent. Louis évoquant Antoine, le faux coupable, incarcéré injustement, minore : « En prison, il ne s’est pas ennuyé, il a fait de la muscu et appris les chants corses »…
En Liberté! joue sur des répétitions et variations: la scène d’ouverture, le running gag du vieux psychopathe, dont la confession toujours reportée, l’oblige à monter les enchères dans une indifférence totale. A chaque tentative d’aveu, le vieux garçon tueur se fait voler la vedette par Yvonne, objet des pensées de Louis.  Elle-même a les yeux rivés sur une voiture qui part à la casse, volée par Antoine, au moment où Louis lui fait sa grande déclaration. Des aveux sans cesse différés de façon tragi-comique.

© Memento Films Distribution

Des casses, des personnages à la casse, à la ramasse, dépeints avec empathie et un bon grain de folie par Salvadori et ses co-scénaristes Benoit Graffin et Benjamin Charbit. Ce qui séduit le plus, c’est le côté borderline des personnages et l’exploration à la fois profonde et désopilante de leurs darksides. Ainsi, Yvonne croyant faire acte de rédemption en rachetant le péché de son mari va trouver une tête brûlée encore plus cramée qu’elle. Jusqu’où iront-ils, Antoine et elle ? On suit avec jubilation le parcours du duo sous forme de montagnes russes sur des chemins sinueux, bourrés d’obstacles et de faux semblants.Antoine croit fréquenter non pas une inspectrice de police, mais une dominatrice, alors qu’un curé est véritablement au cœur d’une soirée SM qui dégénère…
Les deux ont beau être chacun plus ou moins en couple -d’ailleurs, plutôt moins que plus !- ils vacillent, tombent…amoureux, se dérobent, se cherchent. La rencontre de ces deux sensibilités exacerbées est-elle possible, voire souhaitable ? Quand une idylle devient kamikaze, est-ce dangereux ? pour les personnes concernées, voire pour la société ? Mine de rien, voilà le genre de questions que l’émouvant et fébrile film de Pierre Salvadori soulève.
Outre Lubitsch et La Cava, Salvadori évoque comme références Jonathan Demme et ses deux comédies des années 80 : Something Wild et Married to the Mob, des récits d’émancipation, avec des personnages féminins forts. Voici ce qu’il dit :

Avant le tournage, j’ai aussi montré ces deux films au chef Opérateur et à Adèle. Pour En liberté ! , l’aiguillon des séries m’a peut-être piqué : que lui opposer ? Qu’opposer à cette sur-scénarisation, ces digressions ou ces rebondissements, ce foisonnement de personnages ? Une fausse intrigue, une linéarité, une ironie sur le récit , une forme. C’est ce que j’ai essayé de faire. A l’ arrivée, le sujet de « En liberté ! » porte peut-être d’abord sur l’importance de la fiction et du cinéma dans nos vies et sur la croyance en mon métier et en son utilité. Ce thème l’irrigue.

© Memento Films Distribution

Cette ironie sur le sujet est parfaitement reflétée par la répétition et les variations autour de la scène d’ouverture, traduction littérale du film que se fait le jeune fils du Capitaine Santi, sur son héroïque père, (soi-disant) tombé au front. Interrogation à la fois ludique et fiévreuse sur les jeux des apparences, des rôles assignés, sur les limites de la bienséance et de la violence, sur la norme et le degré de folie à ne pas dépasser, En liberté confirme le statut totalement à part de Pierre Salvadori dans la comédie. Une comédie jouissive qui prend au sérieux ses personnages et ses spectateurs. Une comédie, au sens le plus noble du terme, qui tout en étant très écrite, dynamite totalement les codes, comme les deux Bonnie and Clyde cabossés que sont Yvonne et Antoine.

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