Le Festival Lumière 2017 s’était terminé, avec la sensation qu’il s’agissait sans doute de l’une de ses éditions les plus enthousiasmantes depuis sa création en 2009. Il y avait eu la découverte en avant-première de La Forme de l’eau de Guillermo Del Toro, Heat projeté à l’auditorium précédé d’une discussion puis d’une présentation par son réalisateur, l’immense Michael Mann, une masterclass survolté d’un William Friedkin plus showman que jamais, sans parler de la joie d’avoir pu se replonger dans la filmographie d’Henri-Georges Clouzot… Ces considérations rappelées en préambule, revenons maintenant au présent, après dix-sept séances (+ une masterclass) réparties sur neuf jours, quel bilan tirer de ce Festival Lumière 2018 ?

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Il Était Une Fois dans L’Ouest – Sergio Leone (Paramount Pictures)

Petite précision, le festival proposait cette année près de 190 films différents, ainsi notre lecture de l’édition n’est inévitablement qu’un reflet partiel de l’ensemble, lié à nos choix de séances. Le cru 2018 a, pour nous, commencé par le « Citizen Kane du nouvel Hollywood » comme aime à l’appeler Jean-Baptiste Thoret, aka La Horde sauvage de Sam Peckinpah, un dimanche après-midi, pour se conclure par un autre western, un autre chef-d’œuvre absolu, le dimanche suivant : Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone. Deux monuments du 7ème art (évoqués dans nos colonnes plus tôt en 2018 par notre confrère Jean-François Dickeli) que l’on voyait pour la première fois sur grand-écran, dans deux belles salles quasi pleines, nous permettant de redécouvrir avec une forme d’éblouissement, au hasard, les somptueux gros plans sur le visage buriné de Charles Bronson, ou la cultissime ouverture du film de Peckinpah. Choix de films sans prise de risque diront certains, mais quelle jubilation, quel bonheur de redécouvrir des œuvres que l’on croît parfaitement connaître dans des conditions optimales, nous donnant l’illusion magique de les voir pour la première fois, telle une seconde virginité. En dix années d’existence, le festival semble s’être affirmé comme un lieu privilégié pour revoir les films du patrimoine sur la place lyonnaise, quitte à ce que cela l’emporte parfois sur la curiosité. On se souvient avec émotion des projections de Voyage au bout de l’enfer, 2001, l’Odyssée de l’espace, Taxi Driver, Irréversible, Le Procès… lors des précédentes éditions et force est de constater qu’avant-premières mises à part (Roma / The Other Side of The Wind / High Life / Le Livre d’image), nous avons une fois de plus fait la part belle – inconsciemment pourtant – à ce que l’on pourrait qualifier des « revisionnages de luxe ». On a notamment pu revoir, Les Chaussons rouges (dans une copie restaurée sublimant cette merveille du technicolor), Le Hussard sur le toit (réussite un brin sous-estimée du grand Jean-Paul Rappeneau tant le registre du grand spectacle en costumes est malmené depuis deux décennies dans nos contrées), Trouble Every Day en copie 35 mm (avec la sensation d’une image aussi vivante que la chair de ses protagonistes)… De là à dire que l’on se rend à Lumière non plus en quête de découvertes mais seulement de redécouvertes, il n’y a qu’un pas que l’on se refusera de franchir tout en concédant qu’il s’agit d’une tendance qui – au vu de nos aspirations cinéphiliques – se dessine avec clarté d’année en année. Finalement peu importe, à l’heure où l’industrie cinématographique connaît des mutations multiples dans ses modes de production et de diffusion – nous reviendrons dans une deuxième partie consacrée à Alfonso Cuarón sur l’épineux cas Netflix – un festival comme celui-ci a d’abord la précieuse vertu de rappeler le rôle essentiel de la salle obscure comme expérience unique, à la fois collective et individuelle, comme un idéal d’immersion pour profiter pleinement et profondément d’une œuvre.

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Trouble Every Day – Claire Denis (Copyright StudioCanal)

Pourtant, si les découvertes n’ont pas été majoritaires lors de cette édition, il y en a eu certaines non négligeables sur lesquelles il convient de glisser quelques mots. Grand cinéaste du Nouvel Hollywood, encore trop méconnu, Peter Bogdanovich, était remis au goût du jour avec la ressortie en octobre de deux de ses films les plus célèbres chez Carlotta – The Last Picture Show et Saint Jack – ainsi que la parution de deux ouvrages – Le cinéma comme élégie : Entretiens avec Peter Bogdanovich, recueil de conversations avec Jean-Baptiste Thoret et son roman-essai La mise à mort de la licorne, Dorothy Stratten (1960-1980) – ainsi qu’un hommage durant le festival. Quatre films étaient programmés dont l’excellent What’s up, Doc ?, une Screwball Comedy de haute volée, dans la lignée de ses aînés que sont, Howard Hawks (L’impossible monsieur Bébé), Frank Capra (L’extravagant Mr.Deeds) ou Preston Sturges (Un cœur pris au piège). Mis en scène avec une rigueur, visant autant à encadrer un comique qui déborde de tous les côtés dans ses inspirations (le titre renvoyant par exemple explicitement au cartoon et une célèbre phrase de Bugs Bunny) qu’à canaliser l’explosivité de sa comédienne principale, Barbra Streisand (ici, irrésistible), le film réserve plusieurs scènes mémorables (dont une poursuite en voiture dans les rues de San Francisco) s’imposant aisément comme un modèle de rythme, d’inventivité et surtout d’efficacité. Dans un genre opposé, Le Clan des irréductibles, deuxième réalisation de Paul Newman après Rachel, Rachel, adaptation de Ken Kesey (Vol au-dessus d’un nid de coucou), avec en têtes d’affiches Paul Newman donc mais aussi Henry Fonda, méritait bien un nouveau coup de projecteur. Réédité l’an passé chez Elephant films en combo Blu-Ray/DVD, le film dépeint méticuleusement le quotidien d’une famille de bûcherons dans un contexte de tension sociale couplé au retour d’un fils illégitime. Portrait d’hommes rustres et butés, incarnés par d’excellents comédiens, le long-métrage captive par son approche réaliste à la lisière du documentaire (laquelle s’avère franchement impressionnante lors des séquences d’abattages) et sa pudeur qui parvient à contenir un temps l’émotion pour mieux la laisser éclater progressivement. Plus célèbre, Razzia sur la chnouf d’Henri Decoin (à qui était également consacré une rétrospective), une plongée très documentée dans le milieu du trafic de drogue parisien des années 50, adapté du roman d’Auguste Le Breton (écrivain ayant côtoyé la pègre durant sa jeunesse). Beau polar, témoignage mélancolique d’une époque et d’une atmosphère, nourri aux dialogues qui « sentent le vécu », présentant une galerie de personnages iconiques et soignés, à commencer par le principal, Henri dit « le Nantais » campé par un Jean Gabin, une fois n’est pas coutume, impérial. Finissons de remonter dans le temps avec Le Violent de Nicholas Ray, auquel on préférera le titre original, In a Lonely Place. Récit situé à Hollywood, nous présentant Dixon Steele (Humphrey Bogart), un scénariste dans le creux de la vague, impulsif et caractériel, soupçonné de meurtre avant d’être innocenté par le témoignage de sa nouvelle voisine, Laurel Gray (Gloria Grahame). Sous ses airs de film noir (on serait face à l’une des grandes sources d’inspirations de Curtis Hanson pour son excellent L.A Confidential), Nicholas Ray glisse subtilement vers une passionnante étude de couple, laquelle se double d’une dimension éminemment intimiste (Gloria Grahame fut la compagne du cinéaste et leur séparation eut lieu durant le tournage) devenant dans ses derniers instants, assez bouleversante.

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Le Violent (In a Lonely Place) – Nicholas Ray (Copyright Columbia Pictures)

Un mot, enfin, sur la récipiendaire du 10ème Prix Lumière, Jane Fonda. Après une première apparition jeudi 20 octobre pour la projection du film d’Hal Ashby, Le Retour à l’Institut Lumière, l’actrice de 80 ans, aura fait plus qu’assurer le show pendant son séjour lyonnais. Omniprésente, généreuse, énergique, s’exprimant au passage dans un excellent français, la célébration de sa carrière et de celle de son père, Henry, a également pris une tournure politique. Artiste féministe et engagée depuis plusieurs décennies, consacrer Jane Fonda, dans l’ère post-Weinstein et ses conséquences comme le mouvement #MeToo, à l’heure où les États-Unis sont dirigés par celui qu’elle appelle « le type » (Donald Trump si besoin était de préciser), a une résonance qui ne se limite pas au seul cinéma, laquelle a conféré à l’édition une teneur inédite. D’ailleurs, c’est peut-être principalement sur ce dernier point que l’on distingue une véritable évolution avec les années précédentes, reste maintenant à savoir s’il s’agit d’un épiphénomène ou d’une orientation nouvelle amenée à se répéter par la suite. En célébrant depuis sa création des cinéastes décédés et d’autres encore en activité, en remettant en avant diverses périodes (muet, parlant, N&B, couleur,…) le festival a toujours cherché à faire la jonction entre le passé et le présent pour les inscrire dans une histoire commune, celle du cinéma. Doit-on s’attendre désormais à ce que cette petite mais fabuleuse histoire vienne davantage s’inscrire dans la grande l’Histoire jusqu’à tutoyer une actualité brûlante ? Premiers éléments de réponse dès l’an prochain !

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Le Retour – Hal Ashby (Copyright MGM Home Entertainment)

 

Retrouvez la seconde partie du compte-rendu :
Lumière 2018 – Seconde Partie : La parenthèse Alfonso Cuarón

 

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