Florent Lacaze – « Aux masques citoyennes »

C’est l’histoire d’une utopie bizarre, dans un monde tout aussi étrange. Mars 2020, nous sommes en guerrrrrreeee (dixit Manu le boss). Toute la France est confinée. Toute ? Non, un petit village gaulois du côté du bassin d’Arcachon résiste et décide de prendre le taureau par les cornes, ou du moins par le masque, et monter de toute pièce une usine pour fournir malades et hôpitaux en dispositifs AFNOR en tissu, alors même que la délocalisation à outrance avait privé le pays de cette ressource précieuse. Recrutant à tour de bras plus de 250 coutieres et couturiers, parfois sans expérience, mais avec la volonté farouche de bien faire et de participer à l’effort national pour fournir la région en cette précieuse ressource, Libero (quel prénom) se dresse face à l’adversité et remue ciel et terre pour réussir à fournir la commande de la région.

C’est l’histoire de cette societe minuscule que conte « Aux armes citoyennes », le nouveau documentaire de Florent Lacaze, sorti ce jour en salles, où, dès les premières images, l’étrangeté domine : en lieu et place des masques en tissu, c’est un festival d’ouvrières vêtues de costumes de fée, de music hall, de Super Mario, qui travaillent sur fond sonore planant.

CUT. Titre. Usine Vide. Libero, notre entrepreneur génial, couillu et un peu rêveur, apparait dans une séquence tire larmes où il se remémore les différentes couturières embauchées. Puis brusquement : « Et elle au fond. Une vraie bobo. Une casse couille de premiere comme tu as jamais vu ».

Tout le bonhomme tient sur ces deux séquences : créant (pour le meilleur comme le pire) son univers alternatif, écrasant tout sur son passage, clown auguste à la faconde burlesque et parfois brutale, il fascine et aspire le réel, de l’attention du spectateur au dispositif du documentaire tout entier.

Il faut dire que le personnage est un caméléon incroyable, aimant profondément ses ouvrières et son engagement, mais que la mégalomanie et l’ego surdimensionné amènent parfois à perdre pied avec le réel, s’imaginant lui aussi en chef de guerre, distribuant les bons points (même physiquement, avec des logo à coller sur sa voiture « Les lionnes du bassin d’Arcachon ») comme les coups de griffe, se muant tour à tour caporal ou mentor de développement personnel parlant de ses chevaux qu’il élève, enchainant les discours à l’américaine entre deux séquences musicales et répétitives des gestes.

L’envers de cet ogre de sujet, c’est que, après un démarrage assez fin et plein de promesses, le film s’enfonce dans une comédie à la fois salvatrice et étrange, mais qui, en voulant filer lourdement la métaphore guerrière, perd son horizon initial. En se refusant à heurter, justement, le masque, de Libero, en enchainant les témoignages attendus sans jamais creuser les vies en jeux, « Aux masques citoyennes » ne choisit aucune voie, préférant un enregistrement en surface, compilant séquences et truculences jazz ou bowiesques (Heroes, forcément) : Striptease sous confinement.

Il y avait pourtant une richesse incroyable à une telle situation : difficultés de mise en place d’un tel projet dans un pays à l’arrêt, engagements profonds tout à la fois des couturières et l’entrepreneur, la relation étrange de fascination et répulsion (lorsque les envies se mélangent, entre volonté entrepreneuriale et simple désir d’aider les autres). Le film s’étiole en refusant son enjeu : il aurait pu être un film social, sur l’abrutissement du travail et ses conséquences sur les corps (jolies séquences de répétitions de gestes, des pieds ou des mains), un film a suspens (va-t-on livrer suffisamment de masques ? Et en sous texte va-t-on survivre au COVID ?), une comédie douloureuse (Libero va-t-il craquer sous la pression ?), Etc.

Le dernier tiers semble enfin un instant rattraper le tout, avec une forme de perte d’innocence : Libero, exténué de tension, s’y enfonce dans une forme de manipulation bipolaire, quasiment paranoïaque, jouant sur la séduction et les sentiments, dévoilant un visage navrant du fordisme dans une cruauté pétrifiante.

Las : même cette critique ambivalente de l’entreprise n’aura jamais lieu. Comme au fond, l’ensemble d’un film de surface, préférant les formes et les esbrouffes, préférant enchainer saynètes et attendus qu’ausculter le mal qui ronge l’entreprenariat, la société autour, les humains même dotés de la meilleure volonté du monde.

Apparait alors en creux son péché majeur : en se refusant par dispositif à s’écarter de cette usine, il perd l’occasion de témoigner de la nécessité de l’entreprise, de la vie qui s’arrête tout autour. Il aurait suffi un simple pas de côté, quelques plans vides revenant comme motifs pour revitaliser l’ensemble en rappelant a quel point cette joie, aussi innocente que douloureuse, était nécessaire dans un monde sans horizon. Pour que le plein du monde fantastique de Libero existe, encore faut-il que survienne le vide des fantômes autour.

Il faudrait bien sûr être bégueule pour ne pas dire que l’ensemble se regarde agréablement, emporté dans un univers doux dingue et solaire face à un sujet dramatique. Qu’il ne résonne pas forcément quelque part, entre nos traumas de cette époque ou notre tendresse pour ces gens. Et le film, porté par son sujet et ses personnages, trouvera sans doute aucun son public. Il restera une expérience sympathique à défaut d’être profonde et marquante : Vie et mort d’une entreprise. Vie et mort d’un documentaire.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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