Roland Carrée & Rabéa Ridaoui – « CinéCasablanca : La ville blanche en 100 films »

Il existe chez « Espaces et Signes » une excellente collection intitulée « Ciné voyage » qui offre le plaisir de découvrir les grandes villes (ou régions) du monde à travers le cinéma (par exemple, l’excellent Tokyo au cinéma d’Adrien Gombeaud). Présentés sous forme de guides (avec cartes et index), les ouvrages explorent chaque quartier ou rue à travers les films qui y ont été tournés. Avec CinéCasablanca, Roland Carrée et Rabéa Ridaoui procèdent un peu de la même manière pour décrire les différents visages de Casablanca mais la démarche est inversée. Il s’agit non pas de partir des différents lieux de la ville blanche en évoquant les œuvres qui les ont montrés mais de proposer un panorama varié de cent films qui dessinent les contours fluctuant d’une ville contrastée. En effet, Casablanca est une ville à l’aura cinématographique singulière, même au sein du paysage marocain comme le rappellent les auteurs :

« Si les principaux lieux de tournage marocains consistent notamment en les célèbres studios de Ouarzazate, en des milieux naturels – montagnes, déserts et corniches – ou encore en des villes au fort patrimoine traditionnel – Marrakech, Fès ou Tanger- à même de favoriser un certain exotisme des histoires contées, Casablanca, ville plus jeune, plus grande, plus moderne et plus contrastée que celles précitées, offre au spectateur l’occasion de découvrir un autre Maroc. Un Maroc dont l’identité polymorphe oscille constamment entre l’Orient et l’Occident, la tradition et la modernité, le folklore ensoleillé et l’urbain grisâtre. »

Il faut dire que le film qui a immortalisé la métropole, le Casablanca de Michael Curtiz, en a fait une ville-rêve pour l’éternité. En effet, le cinéaste n’a pas mis les pieds au Maroc et a reconstitué les lieux dans des studios à Hollywood. Revisitée sous la forme de parodie délirante par les Marx Brothers (Une nuit à Casablanca), la ville apparaît dans un premier temps comme une sorte de fantasme pour les occidentaux, mélange d’exotisme, de pont vers l’occident colonial et de modernité en devenir comme chez Marcel L’Herbier (Les Hommes nouveaux, 1936).

L’intérêt du livre tient à sa manière de scruter les paradoxes d’une ville qui n’a pas été forcément filmée par des cinéastes marocains. Le lecteur navigue alors avec plaisir entre ces différentes entrées et tombe, au gré des années, sur un blockbuster hollywoodien (Mission impossible : Rogue Nation), un classique (Le Grand Jeu de Feyder), des comédies américaines (Le Retour de la panthère rose) ou françaises (OSS 117:Le Caire, nid d’espions), des nanars improbables signés Decoin, Margheriti ou Sergio Martino et, surtout, un beau panel de films marocains peu connus en France même si certains réalisateurs se sont fait un nom (Nabil Ayouch, Maryam Touzani, Ahmed El Maânouni, Abdelkader Lagtaä…)…

Entre des approches documentaires et les fictions offrant des visages variés de Casablanca (entre sa façade moderniste et les injustices sociales), le livre tient par son équilibre entre une approche généraliste et didactique (les trois grandes parties de l’ouvrage sont précédées d’introductions particulièrement instructives) et une analyse cinématographique des œuvres. Il ne s’agit pas de « lister » les œuvres se déroulant à Casablanca mais de décrire la manière dont les réalisateurs s’y sont pris pour la montrer.

Roland Carrée et Rabéa Ridaoui montrent également certains paradoxes amusants. En effet, certains films se déroulent à Casablanca mais n’y ont pas été tournés (Casablanca de Curtiz, exemplairement). A l’inverse, la ville blanche a parfois servi de décor à des films censés se passer ailleurs. Casablanca représente notamment Le Caire, que ce soit dans le OSS 117 de Hazanavicius mais aussi dans Le Caire confidentiel que Tarik Saleh n’a pas pu tourner dans la capitale égyptienne.

Documentant aussi bien l’histoire du cinéma que celle du Maroc (de la période coloniale à l’époque post-indépendance en passant par les « Années de plomb »), l’ouvrage s’avère très complet et offre le tableau d’une ville tout en contrastes et en paradoxes, de cette métropole symbole de modernité mais où subsistent toujours de violentes inégalités.

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CinéCasablanca : la ville blanche en 100 films (2025) de Roland Carrée et Rabéa Ridaoui

Éditions Le Fennec, 2025

ISBN : 978-9920-755-62-7

287 pages – 25€

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A propos de Vincent ROUSSEL

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