Jean Rollin – « La Rose de fer » et « Jeunes filles impudiques »

L’éditeur anglais Power House continue son entreprise de restauration des films du cinéaste français Jean Rollin avec cette fois-ci deux titres aux antipodes stylistiques, Jeunes filles impudiques et La Rose de fer. Le premier est une commande érotique signée sous le pseudonyme de Michel Gentil tandis que le second se présente comme le film plus radical de son auteur. Réalisés tous les deux en 1973, ces deux opus sont l’occasion d’aborder la carrière d’un cinéaste à l’univers singulier qui a accepté de nombreux films alimentaires pour réussir à faire exister son œuvre personnelle.

Le Cinéma on X: "La Rose de Fer (Jean Rollin, 1973) https://t.co/L6B7XPQzyF" / X

La Rose de fer copyright Power House

Personnage sans équivalent dans le paysage du cinéma français, Jean Rollin est le plus prolifique des réalisateurs de l’hexagone ayant œuvré dans le fantastique. Dans ce registre il réalise dix-sept films entre 1968 et 2010.  Il se fait connaitre en s’appropriant la figure du vampire dans une première série de films qui ne manquera pas de désarçonner les amateurs du genre. En effet, si son amour pour les univers macabres est indéniable, le traitement qu’il y applique est loin d’être conventionnel. Son approche s’explique en partie par une enfance passée auprès d’une mère qui côtoya beaucoup d’intellectuels, d’auteurs et de peintres, dont de nombreux surréalistes. Le jeune Jean Rollin a notamment comme beau-père l’écrivain Georges Bataille. Cela ne l’empêche pas de dévorer avec avidité la culture populaire, qu’il s’agisse des illustrés d’aventures ou des productions fantastiques de la Universal, et il deviendra même un expert de l’œuvre de Gaston Leroux. Son cinéma se situe au croisement de ses deux influences ;  il y reprend les décors et les personnages classiques du film d’épouvante en les transposant dans une atmosphère nimbée de poésie et d’images surréalistes.
Dans La Rose de fer, l’intrigue est réduite à son strict minimum, un couple se perd dans un cimetière et déambule la nuit à la recherche d’une sortie. Le personnage féminin qui n’était initialement pas enclin à cette morbide promenade se laisse séduire par les lieux tandis que la figure masculine, en revanche, perd ses moyens et s’épuise entre les tombes.

La rose de fer / The Iron Rose Jean Rollin. 1973 Cemetery 474 Rue Saint-Maurice, 80080 Amiens, France See in map See in imdb – @filmap on Tumblr

La Rose de fer copyright Power House

Mais le film ne s’ouvre pourtant pas dans le cimetière mais sur une plage bordée de longs poteaux de bois s’enfonçant dans la mer. Nous y découvrons la silhouette du personnage féminin incarné par Françoise Pascal. Vêtue de rouge, elle se promène entre les poteaux qui évoquent déjà les crucifix du cimetière. Puis vient une scène de mariage où apparait le personnage masculin joué par Hugues Quester qui prend la parole pendant le repas et déclame à l’assemblée un poème sans quitter la jeune fille des yeux. Ils décident de se retrouver pour une promenade en vélo qui se termine par un déjeuner au cimetière.  À partir de là, l’intrigue ne progresse que par le mouvement des acteurs, lui l’homme rationnel s’agitant en vain et elle dont l’affolement premier s’arrête après un long hurlement a priori inexplicable pour laisser place au calme. Les deux personnages ne sont pas nommés, habillés de couleurs vives, ils ne sont que deux traits de couleurs qui structurent des cadres faits de brume et de mausolée. Ainsi réduite, la narration se délite pour offrir aux spectateurs une succession de tableaux dont le personnage central est en réalité le cimetière. Tourné à Amiens dans les dix-huit hectares du cimetière de la Madeleine, La Rose de fer est, pour qui s’y laisse charmer, un envoutement en apparence lugubre.  Il n’est pourtant pas difficile de se ranger du côté du personnage de Françoise Pascal et de se laisser gagner par la paix qui règne dans ce décor plutôt que de suivre cet homme terrible qui l’accompagne. Le changement du personnage féminin l’amènera à reconsidérer le monde qui l’entoure. « Vous n’êtes pas la mort. Eux sont la mort », murmure la jeune femme assise sur une sépulture avant d’achever son voyage en parcourant la nécropole en dansant.

The Iron Rose

La Rose de fer copyright Power House

Si Jeunes filles impudiques n’est pas l’exemple le plus représentatif de la carrière de Jean Rollin, ce film érotique assez inoffensif n’est pas dénué d’intérêt. Outre le fait que ce type de production explique comment des films comme La Rose de fer peuvent exister, la présence derrière la caméra de Rollin donne à l’ensemble des allures de pastiche de polar avec son lot de séquences réjouissantes. Nous suivons donc deux jeunes campeuses qui décident de passer la nuit dans un manoir qui a l’air abandonné. Mais la demeure sert en réalité de plaque tournante à un groupe de malfrats ayant dérobé de précieux diamants. Lorsque le butin disparait, nos pauvres campeuses vont être l’objet de tous les soupçons. Dès les premiers plans, la parenté du film est indéniable. Ce duo féminin errant dans une forêt brumeuse ne peut que rappeler celui déjà présent dans La Vampire nue (1969) et qui ne cessera de se répéter jusqu’aux Deux orphelines vampires (1997).
L’ensemble est porté par la musique de Pierre Raph (déjà compositeur sur La Rose de fer) qui déploie ici une partition très éloignée de ce que l’on pourrait attendre habituellement de ces  productions. Il s’offre notamment un étonnant morceau uniquement constitué de percussions et ponctué par les tirs d’une scène de fusillade totalement surréaliste. Ne prenant à l’évidence pas son film au sérieux, Rollin ne s’embarrasse pas de la vraisemblance de cette confrontation armée. Au contraire, il isole les trois tireurs dans des cadres très différents et multiplie les déplacements irrationnels ; il est  impossible de savoir qui tire sur qui dans cette scène éminemment drôle. Bien sûr, ce second titre s’adresse davantage aux amateurs de Rollinades avertis pour lesquels, il demeure un objet inestimable.

Jeunes filles impudiques

Jeunes filles impudiques copyright Power House

Que vous soyez familier du cinéaste ou que vous souhaitez vous y initier, il n’existe pas de plus belle manière que de vous procurer les somptueuses rééditions concoctées par l’éditeur Power House. La collection dédiée au cinéaste comporte déjà douze titres parmi les plus importants de cette singulière filmographie. Chaque titre bénéficie pour la première fois d’une restauration 4K et est accompagné d’une galerie de bonus à faire pâlir Peter Jackson. Pour La Rose de fer, signalons, outre les passionnants entretiens avec le réalisateur et les acteurs, la présence du premier court-métrage de l’auteur, Les Amours jaunes (1958), adapté d’un poème de Tristan Corbière, mais également le texte La Nuit du cimetière, première mouture du scénario de La Rose de fer écrit par Rollin et publié initialement dans le magazine L’Impossible en 1972, un document précieux et dont il s’agit de la première réédition.

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A propos de Eric ROBERTS

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