Il y a une touche de « mumblecore » propret qui émane de Manhattan Stories. Le premier long métrage de Dustin Guy Defa possède le ton décalé et la facture arty des films new-yorkais qui parlent de nous (au choix : les dépressifs, les célib’, les jeunes, les collectionneurs de vinyles, les stagiaires qui cherchent leur voie). Reste qu’il est plus lisse que ses aînés, même s’il se veut corrosif dans son emballage soigné. Le film aurait pu commencer par cette phrase-pastiche : « Benny dit qu’il se chargerait d’aller acheter son vinyle rare de Charlie Parker, vêtu de sa chemise bariolée. » Il y a quelque chose de Mrs. Dalloway dans la journée qui se déroule à Manhattan. C’est New-York, un jour d’automne où quatre histoires alternent sous forme de « short stories ».

Le premier fil est celui de Benny, le collectionneur de vinyles qui tente de mettre la main sur un son disque de jazz et se frotte aux inquiétudes de son apparence :

« C’est ma nouvelle chemise, pas sûr qu’elle m’aille. Est-ce que je dois la porter ? »

 

Copyright Magnolia Pictures

 

Son coloc, Ray, est affalé sur le canapé, déprimé et abattu par sa récente rupture amoureuse. Il a aussi posté sur Internet des photos de son ex nue, ce qui lui vaut l’acrimonie du frère de celle-ci. Et puis il y a Claire, une stagiaire du New-York News, qui accompagne un Phil (Michael Cerra) qui veut l’épater dans sa quête d’un scoop. Il cherche à prouver que la veuve d’un suicidé est en fait la meurtrière de son mari. Cette enquête les mène chez un horloger qui possède en réparation la pièce-clé de l’énigme, la montre du défunt. Enfin, Wendy et Mélanie, deux étudiantes, opposent en tout point leur constat sur le monde. L’une est blasée et perplexe, quand l’autre est impétueuse et amoureuse :

« Je hais tous ceux qui ne se sentent pas concernés par ce qui se passe dans le monde

– Je déteste la façon dont tu détestes le monde.
– Je sais, et c’est pour ça que je t’aime. »

 

Les préoccupations des personnages sont assez futiles, comme il nous arrive d’en avoir. Mélanie est rongée par l’idée d’avoir pris deux kilos, là où Wendy (qui n’a jamais faim) lui assure que ça ne se voit pas. Et s’ils peuvent paraître pleins d’esprit, les dialogues affichent un goût du paradoxe un peu vain. Dans l’interaction des personnages, se dévoile néanmoins quelque vérité. Dès qu’ils sortent de leur quant à soi et entrent en synergie avec les autres – ou l’Autre, la ville -, les individus se frottent à plus grand qu’eux et s’améliorent.

 

Copyright Magnolia Pictures

 

Il y a une volonté de capter une atmosphère particulière, qui passe par la mise en scène : Central Park, les immeubles en briques rouges, les intérieurs cosy pleins de bouquins et de disques, les boutiques bordéliques tenues par des commerçants renfrognés et parfois douteux forment un personnage à part entière. S’y révèlent les cruautés ordinaires, les égoïsmes jaloux et les obsessions de chacun. Il en résulte un comique de caractère, à travers des portraits qui égratignent délicatement nos vices et nos défauts. Dans cette galerie, on rencontre un escroc, une présumée meurtrière, un dépressif et un journaliste peu scrupuleux. Mais le traitement, tout en légèreté, proche du ton des sitcoms, nous fait passer un moment pas détestable. Sans doute l’idée la plus intéressante réside-t-elle dans la transformation vécue par chacun, au terme d’une journée où il s’est confronté à un obstacle qui l’a conduit à faire un pas de côté. À cet égard, le titre original, Person to Person, est plus révélateur. Les personnages évoluent en duo et dans la confrontation, dans une dynamique qui prend des airs de flânerie plus que de quête de résolution. Alors, au-delà de l’aspect « gentil film », on retiendra que l’affection et la loufoquerie qui portent les personnages leur offrent un abri, qui se confond avec la bienveillance de la ville.

Copyright Ashley Connor

Durée : 1h25

 

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A propos de Miriem MÉGHAÏZEROU

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