« Le policier est corrompu » : cette antienne, récurrente dans le cinéma russe ou émanant des autres pays de l’ancien bloc communiste, sert de propos de base de A Dark, Dark Man, nouveau film du cinéaste kazakh Adilkhan Yerzhanov (auquel l’Etrange Festival avait déjà accordé un coup de projecteur il y a deux ans). Un enfant est retrouvé mort ; la police locale trouve un coupable idéal en la personne d’un marginal mentalement diminué. Bekzat, jeune flic désabusé, est chargé de se débarrasser de l’homme tout en sauvegardant une hiérarchie pas très claire. Mission devenant complexe lorsqu’on lui adjoint une journaliste critique et pugnace qui, par son regard perçant, influence de plus en plus Bekzat à retrouver des valeurs de policier.

Au premier abord, A Dark, Dark Man ne transpire pas l’originalité dans une cinématographie satellite de la Russie peu clémente envers les systèmes : la police et la justice sont pourries jusqu’à l’os, la loi n’existe plus, ses dépositaires sont devenus les membres d’un véritable système mafieux (l’ouvrage de Montesquieu de De l’esprit des lois, ostensiblement posé sur le bureau d’un policier, semble être le signe désespéré de l’envie de renouer avec la règle et la morale communes), la journaliste est un révélateur du désordre et, donc, une sorte de conscience démocratique.

La beauté, réelle, du film d’Adilkhan Yerzhanov provient de son rythme et de sa tonalité plutôt que de son sujet. Lent, contemplatif, A Dark, Dark Man est aussi et surtout saupoudré d’un humour absurde qui, paradoxalement, rend l’amoralité des pouvoirs plus amorale, la violence plus violente, la tristesse globale du film plus intense. Le mot « absurde » prend ici un sens camusien : la vie, la marche du monde n’ont ni queue ni tête ; pourquoi ne pas tenter de passer outre ce non-sens en redonnant une forme de morale et d’humanité à ce qui n’en a plus, au risque d’en mourir ?

Oeuvre d’une profonde noirceur, empruntant autant aux Surréalistes (la serviette sur la tête d’un suspect à exécuter évoquant le drap tragique des Amants de Magritte) qu’à un certain cinéma de genre américain mêlant intrigue de film noir et grands espaces  (un plan de Yerkhanov cite presque explicitement celui, fameux et final, d’Electra Glide in Blue de James William Guercio [1973]), traversé par de raides éclairs de violence douloureuse car à hauteur d’homme, A Dark, Dark Man dépasse son argument de départ pour en faire le carburant d’un drame sur la condition humaine se débattant face à la méchanceté du monde. Et Adilkhan Yerkhanov de se placer de façon crédible comme un héritier des steppes du Takeshi Kitano des premiers temps.

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A propos de Michaël Delavaud

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