Roman Porno Japonais – L’été de la dernière étreinte, L’école de la sensualité, Prisonnière du vice

© Wild Side

La deuxième salve de Roman Pornos Nikkatsu que nous propose Wild Side se révèle peut être encore plus passionnante que la précédente, preuve supplémentaire de la marge de liberté laissée aux cinéastes qui y officiaient, profitant des figures imposées pour laisser libre court à leur propre inspiration, en explorant les thèmes qui leur étaient chers et plutôt inattendus dans ce type de production.

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Dans L’Eté de la dernière étreinte (1979) le social et la finesse psychologique prennent le pas sur le cinéma d’exploitation au travers du passionnant parcours de son héroïne. Maîtresse et secrétaire d’un chef d’entreprise qui trompe son ennui en trompant sa femme, lorsqu’elle apprend que cette dernière attend un autre enfant Shimako se sent flouée, dupée, et décide de se venger. D’abord par dépit puis muée par une véritable attirance envers Tajima, un jeune ouvrier qui s’apprêtait à la cambrioler, elle s’en rapproche peu à peu et finit par s’installer chez lui sous le regard de l’amie fantasque et paumée de Tajima qui rêve d’être son amante. S’établit alors une curieuse relation entre ce jeune homme et son aînée, une relation qui finit par ressembler à de l’amour, troublée – ce qui la rend d’autant plus troublante – par la présence de ce troisième personnage, à la fois fasciné et jaloux.
Kichitaro Negishi n’est pas à proprement parler un cinéaste spécialiste du roman porno, aussi la tonalité de L’Eté de la dernière étreinte détonne au sein du genre. Le cinéaste déclarait d’ailleurs concernant son approche du sexe : « Moi, je pensais plutôt que le sexe ne change pas tellement l’homme. En regardant des femmes autour de moi, ce que je voulais décrire n’était pas le changement décisif suite à une rencontre ou une séparation avec un homme, mais une torsion et un glissement des petites choses, très subtiles. Je voulais décrire cela en détails. Je voulais décrire autre chose que ce cliché de la femme qui résiste au début, ensuite découvre le vrai plaisir et devient accro au sexe. » *. Le cinéaste établit un parallélisme entre la tromperie amoureuse et la supercherie d’une société inégalitaire qui emploie les individus comme des outils et les jettent ; ainsi s’opèrera chez Shimako une double prise de conscience identitaire, de son altérité individuelle et collective. Le sexe révèle la violence des rapports de classe et la transgression sexuelle – contrairement à la représentation archétypique qu’en fait le pinku – devient idéologique, se muant en un acte de rébellion, la revanche d’une caste sur une autre comme en témoigne une scène de viol plus provocatrice par sa signification symbolique que par le choc de l’interdit. L’Eté de la dernière étreinte, ne sombre à aucun moment dans le drame sordide dans lequel pourrait le conduire son sujet, et se révèle une ode à la jeunesse marginalisée et bohème, qui trouve sa consécration dans l’ultime décision de l’héroïne de poser les valises chez les défavorisés et les laisser-pour-comptes.
A mille lieues de la représentation victimisée de la femme japonaise, Kichitaro Negishi raconte une conquête de soi, un éveil à l’insoumission. Il se range du côté du peuple et aime à s’attarder sur les doutes et les errances d’une jeunesse désenchantée, le tout étant finement orchestré – sous le regard individuel de sa seule héroïne – par la fraicheur juvénile de cet attendrissant ménage à trois. La touchante Tokiko (interprétée par une Ako presque aussi ludique et candide que Faye Wong dans Chunking Express) apporte une touche de magie enfantine et sensuelle particulièrement attachante. Kichitaro Negishi se plait à capter les fêlures et les mécanismes de ses héros, d’où émerge leur beauté. Femme aux cheveux rouges chez Kumashiro, Abe Sada ou muse du maître de chibari plongeant dans la folie dans Bondage chez Noboru Tanaka, avec une aura au delà du réel, Junko Miyashita s’impose une nouvelle fois comme une grande actrice, éblouissant par la diversité de son inspiration et la justesse de son jeu. Elle porte de bout en bout L’Eté de la dernière étreinte dans un surprenant naturalisme, une spontanéité qui la confond littéralement à son personnage. Ici, son potentiel érotique exclut l’emphase habituelle de la mise en scène inhérente au genre ; à la théâtralité, la chorégraphie de l’acte, la pantomime charnelle, se substitue une sensation de vrai, de pris sur le vif troublant qui la charge d’une émotion peut commune.
Pulsionnelles avec l’amant trompeur, ou d’une douceur fragile avec le jeune homme, les scènes érotiques se fondent au sein de l’intrigue sans jamais laisser le moindre sentiment de rupture narrative. Avec Tajima, elles s’apparentent à un quotidien précieux et pur, presque gauches, sans affect ni lyrisme. Le cinéaste y capte une beauté de l’instant, une authenticité inattendue. Beauté de la peau, beauté de l’acte qui trouve son apogée dans une scène particulièrement saisissante qui fait intervenir Tokiko, inexpérimentée et mutine, une initiation ambiguë dans laquelle le duo se mue en merveilleux trio.

Alors qu’on a tendance à garder l’image d’un genre misogyne, L’Eté de la dernière étreinte se révèle avant tout un subtil et émouvant portrait de femme, tout en finesse psychologique, une œuvre à la douceur mélancolique qu’une violence sous-entendue ne vient jamais briser.

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L’école de la sensualité (1972) permet de découvrir l’un des premiers romans pornos de Noboru Tanaka qui s’illustre ici dans un sous genre a priori surprenant de sa part, puisqu’on pourrait le qualifier de comédie teenager érotique. Elle évoque l’initiation sensuelle d’Isao, lycéen follement (au sens propre) amoureux de sa professeur, échafaudant tous les stratagèmes possibles pour arriver à ses fins – c’est-à-dire pour coucher avec – et l’éloigner de son amant et futur mari professeur de physique. Si L’Ecole de la sensualité reste un opus mineur dans la filmo de Tanaka, ce dernier fait preuve d’une aisance indéniable en matière de légèreté de ton, tout en ne pouvant s’empêcher d’y insuffler déjà une certaine cruauté. Ce Tanaka première période est un vrai régal d’esthétique pop, bourré de zooms et de filtres qui viennent soutenir des scènes érotiques particulièrement suggestives baignant des couleurs vives et psychédéliques. Les meilleurs moments concrétisent à l’image les fantasmes du héros telle cette vision de l’héroïne nue se frottant sensuellement contre un tableau, son corps s’imprégnant de craie colorée et de peinture liquide…
L’excellente Mari Tanaka, très belle Ikuko, connaîtra une courte carrière de 1975 à 1977, muse de Tanaka et de Konuma en l’espace de quelques films. Tout comme la Shimako de L’Eté de la dernière étreinte, Ikuko a beau être dépassée par les ardeurs insistantes de son élève sans trop comprendre ce qui lui arrive, elle reste une femme forte et décidée, adulte, qui sous ses dehors fragiles n’abdique jamais son indépendance et se servira de sa sensualité comme d’une arme, jusqu’au bout maitresse de sa destinée.
Tanaka met en scène une collectivité lycéenne faite d’élèves libidineux, influençables et glousseurs obsédés par leur pucelage et leurs premières expériences ; cette vision amère, voire acerbe dépasse le simple cadre de la pochade. Quelque part entre la jeunesse désœuvrée sous le regard acéré de Verhoeven dans Spetters et les héros potaches et salaces de Bob Clark dans Porkys, Tanaka opère de surprenantes ruptures de ton dans lesquelles il fait brusquement basculer la comédie dans l’incertitude, insufflant une tension perceptible. A ce titre, la fin du film abandonne une prostituée tenancière de bar à l’assaut des lycéens grégaires suscite un sentiment de malaise où le rire s’étrangle brusquement.
Le pessimisme de Tanaka s’exprime plus encore dans la différence entre Isao et ses camarades, car s’il s’éloigne en s’avérant plus rêveur et moins normatif, c’est pour mieux sombrer dans une obsession plus effrayante encore et un enfermement qui le rapproche de la pathologie. Là réside toute la singularité d’un cinéaste déjà dilettante, dans cette œuvre cyclotimique capable de passer insensiblement d’une humeur à l’autre, donc jamais lassée de surprendre le spectateur.

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Des trois films, Prisonnière du vice (1975) paraîtrait de prime abord le plus classique, parfaite illustration du versant sadomasochiste du roman porno. Moins connu que ses pairs en bondage qu’étaient Konuma ou dans une certaine mesure Tanaka, Akira Kato n’en demeure pas moins un cinéaste important en matière de roman porno SM, dans lequel il s’illustra de manière prolifique et dans un style qui lui appartient : attention accordée à la gestion de l’espace, rythme lancinant, mouvements de caméras très hypnotiques imposent une patte particulière dès les premières images de Prisonnière du vice dans lequel une Naomi Tani survoltée livre une interprétation particulièrement douloureuse et inspirée, à la puissance lyrique, suggérant constamment les tiraillements entre l’âme souffrante et de l’animalité refoulée.
Elle y incarne Yuki dont on devine qu’elle a fui son mari avec qui elle vivait à la campagne, pour revenir vers la métropole où l’attendent les réminiscences et les anciennes connaissances d’un passé coupable, de ces années où elle s’offrait à un maître du chibari (l’art de la corde), qui va tenter de la ramener à elle. Elle devient l’amant d’un homme dont la jeune maitresse (Terumi Azuma) ne peut connaître le plaisir qu’en s’adonnant au bondage. Le spectateur voit peu à peu se rassembler les pièces du puzzle, et Akira Kato installe subtilement ses inductions en erreurs, jusqu’à la révélation tragique de la réalité de sa fuite. A mesure que la toile se referme sur elle, le chassé croisé passé/présent tend à expliquer la tragédie de la vie de Yuki, Naomi Tani jouant avec une conviction estomaquante cette femme dépassée par ses propres pulsions et pour laquelle la recherche sexuelle rime avec celle d’un amour pur … et du bonheur.
La plupart des personnages, loin d’être archétypiques semblent soudés entre eux de manière presque alchimique, marqués d’un même sceau par la permanence du malheur et du désespoir. Prisonnière du vice ne serait rien sans ses somptueuses scènes de chibari filmées dans la pénombre dans lesquelles la blancheur des corps ne fait que mieux ressortir. La beauté est là, incontestable, inaltérable, laissant l’œil du spectateur grand ouvert, incapable d’y appliquer aucune règle morale, et cette jonction avec le cri prend une connotation existentielle. Anthologique reste cette fabuleuse scène où l’amant fait l’amour à Yuki tout près de sa maitresse dans laquelle le plaisir se confond à ses pleurs. Ici le lien est tout aussi symbolique que réel. La jonction « romantisme » et « érotique » contenue dans la terminologie « roman porno » culmine dans ce maelstrom de l’esprit et du sexe, des peines du cœur et des peines du corps. Les 3 personnages poignants et fissurés, prisonniers de leurs pulsions, de leur instinct, font face à leur trauma, leur secret caché. La pulsion règne en maitre, qu’elle soit sexuelle, amoureuse, ou meurtrière. Prisonnière du vice glisse peu à peu dans une atmosphère liquéfiée dont l’étrangeté s’amplifie au fil de l’œuvre, jusqu’à tourner au rêve érotique cauchemardesque versant volontiers dans l’eroguro, qui culmine dans une séquence avec des masques portés par une musique lancinante et anxiogène. Une fin déconcertante et fascinante laissera le choix au spectateur entre les rives du Styx et celles de la liberté.

Toute en peau et en cordes, Prisonnière du vice subsiste dans la mémoire comme un drame érotique intense, dans lequel la souffrance du corps cache les douleurs intérieures les plus destructrices.  

*  Extrait d’un entretien dans les Cahiers du cinéma : http://www.cahiersducinema.com/article1251.html.L’école de la sensualité (Japon, 1972) de Noboru Tanaka avec Nobutaka Masutomi, Mari Tanaka, Moeko Ezawa

Prisonnière du vice (Japon, 1975) de Akira Kato, avec, Naomi Tani, Hiroshi Gojo, Hirokazu Inoué, Terumi Azuma 

L’été de la dernière étreinte (1979) de Kichitaro Negishi avec Junko Miyashita, Junichiro Yamashita, AkoDvds édités par Wild Side

 

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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