L’hiver sera chaud grâce aux éditions Elephant qui nous proposent un somptueux coffret consacré au « roman porno » japonais en dix films. Nous ne ferons pas l’injure à nos aimables lecteurs de rappeler que le cinéma japonais possède une longue tradition érotique et que ces films « roses » («pinku eiga ») proliférèrent au moment où la télévision devint une sérieuse concurrente pour les studios de cinéma. La désignation « roman porno » est, à ce titre, plus spécifique puisqu’elle ne concerne que les films de ce genre réalisés pour le studio Nikkatsu à partir de 1971. Devant affronter une grave crise économique à cette époque, le studio se tourne vers le cinéma érotique alors très rentable puisque les films peuvent être tournés rapidement (en deux semaines), sans gros moyens et bénéficient de la curiosité du public. Le genre va également permettre l’éclosion de nombreux talents et, dans la mesure où des cinéastes plus « respectables » refusent de tourner ces films érotiques, certains petits maitres comme Tatsumi Kumashiro, Masaru Konuma ou Chusei Sone vont pouvoir s’imposer.

© Nikkatsu/ Elephant Films

Noboru Tanaka fait partie de ces metteurs en scène extrêmement talentueux dont le style a pu s’épanouir dans un genre pourtant réputé stéréotypé. En effet, le « roman porno » doit répondre à un cahier des charges assez précis : une durée limitée (Nuits félines à Shinjuku ne dure qu’1h08), des scènes de sexe toutes les dix minutes et la nécessité de composer avec les fameux interdits du cinéma érotique japonais : défense de voir les poils pubiens des comédiens et leurs organes génitaux.

Mais comme le souligne Stéphane du Mesnildot dans un supplément très intéressant, jamais ces contraintes ne paraissent ici respectées de manière artificielle ou mécanique. Elles s’inscrivent de manière toute naturelle dans un récit qui relève de la chronique. Noboru Tanaka s’attache à décrire le quotidien de quelques femmes de « mauvaise vie » à Shinjuku, célèbre quartier « chaud » de Tokyo qui inspira aussi bien Suzuki et Wakamatsu qu’Oshima (Journal d’un voleur de Shinjuku). La description de la vie des prostituées est également une longue tradition japonaise (voir le sublime La Rue de la honte de Mizoguchi) mais les héroïnes de Nuits félines à Shinjuku sont d’un type particulier dans la mesure où elles travaillent comme hôtesses dans des « bains turcs » et prodiguent à leurs clients des massages mousseux.

Très vite, Tanaka resserre son récit autour de Masako et de son voisin Honda. Ce personnage masculin est particulièrement intéressant par son ambiguïté et son ambivalence sexuelle (alors qu’il est joué par le très viril Ken Yoshizawa qu’on voyait dans L’Extase des anges de Wakamatsu). Comme James Stewart dans Fenêtre sur cour, il passe ses soirées à épier les ébats amoureux de ses voisins. Il n’hésite d’ailleurs pas à copier son illustre modèle en imaginant un handicap l’empêchant d’utiliser ses mains chez lui (il allume la lumière avec les pieds et se nourrit d’un gros chou, suspendu au plafond et arrivant au niveau de sa bouche). Même s’il couche avec Masako, Honda est secrètement amoureux de Makoto, un jeune gigolo qui n’a jamais couché avec une fille et qui se trouve très embêté lorsqu’il rencontre une riche héritière dont il s’éprend.

La force du film de Tanaka, c’est qu’il ne cherche jamais à faire rire de ce personnage pourtant assez stéréotypé (le jeune homosexuel précieux et efféminé). Le film comporte une très belle scène où Masako accepte de dépuceler Makoto pour qu’il soit plus « efficace » avec sa promise. Tanaka filme une véritable cérémonie amoureuse avec musique « sacrée » et un Honda qui caresse tendrement les fesses de son jeune amant pendant qu’il fait l’amour avec la prostituée. Plus tard, Makoto pensera que c’est cette musique solennelle qui l’a « décoincé » or c’est bel et bien « l’aide » d’Honda qui lui aura été précieuse. Cette ambigüité sexuelle finira d’ailleurs par provoquer le drame.

Une des grandes forces de Nuits félines à Shinjuku réside également dans ses contrastes. Le film peut être à la fois drôle et truculent (les prostituées qui disent que leur repas leur rappelle le boulot lorsque le serveur leur apporte des saucisses, les manies singulières des clients des bains…) mais aussi tragique (la mort de Makoto). Tanaka joue également sur un côté « documentaire » (la chronique d’un quartier avec ces lieux où l’on termine sa journée en allant danser et s’enivrer) tout en nous proposant des passages très stylisés, à la limite de l’onirisme et de l’image fantasmatique (un parapluie qu’on aiguise et qui devient une véritable arme blanche pour percer la poitrine de Makoto).

Quelques années plus tard, Noboru Tanaka filmera la célèbre histoire d’Abe Sada (La Véritable histoire d’Abe Sada), cette femme criminelle qui inspirera également Oshima pour son mythique Empire des sens. Il y a donc chez le cinéaste, au-delà des codes du genre, une volonté d’ausculter en profondeur les désirs et passions de ses personnages. Et c’est déjà ce qu’annoncent ces belles Nuits félines à Shinjuku.

© Nikkatsu/Elephant Films

De tous les cinéastes ayant œuvré dans le cadre du « roman porno », Tatsumi Kumashiro est sans doute le plus renommé. C’est également le cinéaste le plus attaché à décrire une certaine réalité sociale et dont les films relèvent avant tout de la chronique prise sur le vif. Préférant une narration heurtée, où les longs plans-séquences se juxtaposent, aux récits parfaitement lissés, Kumashiro saisit à chaque fois quelque chose de la jeunesse japonaise du moment.

Les deux films regroupés dans le coffret sont intéressants dans la mesure où ils tournent autour de l’univers du cinéma. Soit de manière indirecte dans Les Amants mouillés où le héros du film (une sorte de vagabond dont on ignore s’il est un marginal vivant au jour le jour ou s’il est un bandit en cavale) travaille pour une salle de cinéma érotique où il fait office de factotum (il transporte les bobines, joue les projectionnistes et fait le ménage en fin de soirée). De manière beaucoup plus directe dans L’Extase de la rose noire puisqu’un cinéaste spécialisé dans la pornographie est obligé d’arrêter son film lorsque son actrice principale décide de mettre un terme à sa carrière en raison de sa toute récente grossesse. Il va alors falloir trouver une autre comédienne et la convaincre de se livrer à des galipettes devant la caméra.

Kumashiro construit ses deux films autour de la question du regard. Dès le premier plan des Amants mouillés, le jeune homme qui roule à vélo jette constamment des regards en direction de la caméra, comme s’il était traqué à la fois par la police mais également par le spectateur. Plus tard, en pleine nature, il tombera sur un couple en train de faire l’amour et se postera sans vergogne devant eux pour les reluquer. En dépit de sa fureur de voir débarquer ce voyeur culotté, l’homme en train de prendre du bon temps refusera d’interrompre ses ébats et finira son affaire avant de s’en prendre à Katsu. L’incongruité du cinéma de Kumashiro s’exprime parfaitement dans cette scène puisqu’il nous présente avec une certaine distance et ironie son métier (celui de « pornographe » obligé de répondre à un cahier des charges précis pour satisfaire son spectateur/voyeur) tout en assumant d’aller au bout des contraintes du genre pour en faire quelque chose de beau.

On retrouve ce double mouvement dans L’Extase de la rose noire puisque le cinéaste peut être vu à la fois comme un portrait ironique de certains « grands noms » du cinéma japonais (il cite directement Imamura et Oshima) cherchant à « anoblir » la question du sexe en la drapant dans de grandes théories esthétiques et politiques mais également comme un autoportrait amusé d’un petit « amateur » (il tourne en 16 mm avec un éclairagiste et deux comédiens) cherchant à faire du beau à partir du trivial. Là encore, il y a dans le film le poids accablant du regard des autres, à l’image de cette très belle scène où le cinéaste commence à faire l’amour avec la sublime Naomi Tani (une des muses du « roman porno », notamment pour Konuma) et que ses complices débarquent à l’improviste pour éclairer la scène et la filmer à l’insu de la jeune femme. Mais à partir de ces corps livrés à la concupiscence de tous, Kumashiro parvient à saisir une certaine beauté et une vérité intime. Le côté trivial et parfois même violent des scènes est finalement transcendé par cette manière qu’a le cinéaste de s’approcher des visages et de saisir le plaisir en plan-séquence. A ce titre, l’expressivité du visage de Naomi Tani est assez stupéfiante et le spectateur est saisi par la manière dont l’actrice passe de la plus grande réserve (elle incarne la quintessence de la japonaise timide et soumise en kimono) à l’abandon le plus total.

© Nikkatsu/ Elephant Films

Kumashiro joue avec une grande habileté sur le passage entre l’espace public (celui de la scène qui se joue aux yeux de tous ou d’un tiers) et la redécouverte d’un espace privé qui se redessine dans l’étreinte. Dans Les Amants mouillés, il y a une très belle scène qui effectue ce trajet à l’envers. Katsu a une liaison avec la femme du gérant de la salle de cinéma où il travaille. Ils font l’amour dans un espace exigu mais lorsque la belle atteint l’orgasme, ses gémissements semblent traverser les murs et envahir toute la ville que Kumashiro filme en un beau panoramique.

Comme le souligne Stéphane du Mesnildot dans un supplément, il y a un côté « godardien » chez Kumashiro (dans le bonus d’un autre coffret sorti autrefois, quelqu’un confiait que le cinéaste avait été très marqué par Pierrot le fou) puisque l’art et la vie ne cessent de s’entremêler. Si le sexe est un travail pour le cinéaste et son équipe dans L’Extase de la rose noire, il n’est désormais plus séparable de la vie (la première actrice qui tombe enceinte de son partenaire à l’écran, le cinéaste qui tombe amoureux de sa comédienne mais qui la filme néanmoins avec un autre partenaire) et se termine par cette confession étonnante de Naomi Tani : elle a jouit en jouant. Pour Kumashiro, l’artifice du genre peut permettre d’arriver à cette « jouissance », à cette beauté. De manière assez amusante, il dévoile l’artifice de son métier, notamment lorsque son cinéaste va enregistrer des sons incongrus (halètement d’un chien, chat qui se lèche le museau, cris de souffrance d’une patiente chez un dentiste…) pour s’en servir comme « accompagnement » des scènes de sexe qu’il compte tourner. Là encore, la contrainte est un moyen de parvenir à saisir quelque chose de vital et vrai.

Cette vérité s’incarne généralement dans les personnages féminins. Si certaines scènes des films de Kumashiro peuvent heurter nos sensibilités d’occidentaux fragiles du 21ème siècle (femmes giflées, violentées…), le cinéaste parvient toujours à retourner les situations de manière dialectique. En effet, que ça soit par le regard (comme évoqué plus haut) ou par le geste (la brutalité masculine), les situations tendent à réifier les corps féminins. Mais peu à peu, dans le cadre de ces conventions, elles parviennent à s’imposer et à dicter la règle de leur propre jouissance. Elles deviennent sujets à part entière et de véritables personnages (tous les témoignages concordent d’ailleurs à dire que l’atmosphère des tournages de Kumashiro était très détendue et sereine, empreinte d’un grand respect pour les femmes).

Ce qui séduit également chez ce metteur en scène, et là encore on peut y lire une filiation avec le Godard des années 60, ce sont les scènes insolites qui parsèment ses films. Dans Les Amants mouillés, le trio amoureux, nu, se met soudain à improviser une partie de saute-moutons dans des dunes ensablées. Dans L’Extase de la rose noire, c’est la jeune actrice enceinte filmée au bord de l’eau dans le plus simple appareil avec une ombrelle rouge, tache de couleur pétulante et pop au milieu de la nature.

Le cinéma de Kumashiro prouve une fois de plus qu’au sein même d’un genre très codifié (le « pinku eiga »), des talents purent s’épanouir et proposer des œuvres singulières et d’une vitalité qui n’a pas pris une ride.

© Nikkatsu/Elephant films

Les années 80 marquèrent une évolution dans le « roman porno » produit par la Nikkatsu. En effet, l’arrivée massive de la vidéo et notamment ce qu’on a nommé au Japon la AV (vidéo pour adultes) oblige le studio à suivre la tendance et à proposer des films plus corsés. Les interdits de l’érotisme japonais restent de rigueur (interdiction de montrer les organes sexuels) mais les situations deviennent plus explicites et les gros plans beaucoup plus évocateurs. Toshiharu Ideka joue même parfois la carte de la métonymie lorsque son héroïne s’amuse voluptueusement avec un pied de table, d’abord avec la bouche puis de la manière dont on peut l’imaginer.

La saga Angel Guts est l’adaptation d’un manga signé Takashi Ishii et compte à ce jour neuf longs-métrages ; Chüsei Sone puis Noboru Tanaka ont réalisé les trois premiers et le mangaka s’est chargé lui-même du neuvième épisode. Red Porno est le quatrième titre d’une série qui met en scène une héroïne nommée Nami. La jeune femme travaille ici dans un grand magasin et accepte d’aider une amie qui lui demande de la remplacer pour un travail. Il s’avère que ce travail sera une séance de photos pornographiques où la belle est minutieusement ligotée. Le magazine qui publie ces clichés obtient rapidement un grand succès et vaut à Nami des coups de fil inquiétants et d’être suivie par un jeune homme solitaire…

Si Toshiharu Ikeda débute à la Nikkatsu comme réalisateur de « roman porno », il deviendra par la suite plus célèbre pour ses films d’horreur, notamment Evil Dead Trap. Son film frappe d’emblée par le soin qu’il accorde à la mise en scène et par sa manière de s’inscrire dans une esthétique qui évoque celle du thriller. Red Porno débute par une filature inquiétante où l’héroïne se sent menacée avant d’arriver chez elle où elle vit seule. Plus tard, une même course-poursuite aura lieu dans le métro puis dans des rues désertes sous une pluie battante. On songe alors à certains films de terreur new-yorkais (style Lustig) ou même à De Palma avec ce jeune voyeur sous la pluie qui pourrait sortir de Pulsions.

L’intérêt du film tient d’ailleurs à cette manière de partir d’une « image » pour en révéler une « vérité » qui ne se limite pas aux apparences. Si Nami a posé pour des photos très osées, elle n’arrête pas de dire que ces images ne sont pas elle, qu’elles ne correspondent pas à sa nature profonde. A l’opposé du spectre, le jeune voyeur qui semble la harceler et que tout le monde regarde bizarrement dans le voisinage (on prétend qu’il espionne sa voisine et qu’il vole des sous-vêtements féminins) s’avèrera être un amoureux transi et le « faux coupable » idéal. Le traitement qu’Ikeda fait subir au genre est un peu de la même espèce. Les personnages ricanent souvent devant les photos pornographiques qui leur tombent sous les yeux et estiment que ces stéréotypes sont un peu fades et grotesques. Or si les situations que met en scène Ikeda relèvent du cliché, il parvient à leur donner une puissance érotique et fantasmatique assez rare. Pour prendre un seul exemple, le jeune voyeur voit un beau jour débarquer la propriétaire de son appartement qui vient inspecter les lieux (notamment pour rechercher les fameux sous-vêtements disparus). Lorsque les deux personnages se croisent, l’image se fige et apparaît alors en surimpression une scène où le jeune homme se jette littéralement sur la femme et la déshabille sauvagement. Il y a donc une illustration très claire de la séparation qui s’instaure immédiatement entre la réalité des personnages et l’exploration des fantasmes, même les plus troubles.

Le cinéaste joue sur le caractère « irréaliste » de l’esthétique en nimbant de rouge une scène de masturbation féminine qu’il filme en gros plan depuis le dessous d’une table basse. Ce formalisme très soigné lui permet d’ausculter à la fois une certaine solitude urbaine (personnages perdus dans l’anonymat urbain, onanisme, voyeurisme comme seul lien entre eux…) et d’explorer le territoire du fantasme. Red Porno a parfois des allures de « traité des fluides » tant le cinéaste joue sur cette image d’un plaisir qui exsude de tout le corps : c’est cette espèce d’huile dont est enduite l’héroïne ou encore la jeune voisine qui s’amuse coquinement avec un œuf dont le jaune finit par se répandre sur ses cuisses. Transpiration, sperme ou même urine (de la part d’un tueur qui termine ainsi sa sale besogne) : tous ces éléments ne sont jamais utilisés de manière « réaliste » (soulignons qu’en dépit de son appellation, le « roman porno » n’a rien à voir avec la pornographie telle qu’on peut l’envisager en occident) mais témoignent d’une volonté de stylisation et d’inventer un univers fantasmatique qui s’avère constamment fascinant.

En faisant basculer les clichés du cinéma érotique du côté des codes du thriller et du suspense, en lestant ses personnages d’une certaine mélancolie romantique (la fin, noire, est touchante), Ikeda signe un film sensuel et poisseux qui prouve une fois de plus, si besoin était, la singularité et l’originalité du « roman porno » japonais…

© Nikkatsu/Elephant films

Une autre des caractéristiques du « roman porno » est de se subdiviser en plusieurs « sous genres ». Certains artisans vont opter pour un ton plus comique, d’autres comme Kumashiro resteront attachés à une certaine vision sociale tandis que va également se développer un large courant lié aux pratiques sadomasochistes. Masaru Konuma se fera un grand spécialiste de ces films de cordes et de fouets et l’on retiendra de son œuvre des titres comme Fleur secrète, Une femme à sacrifier ou La Vie secrète de madame Yoshino où s’épanouissait l’étonnante Naomi Tani.

En supplément du film, on trouvera le documentaire que le cinéaste Hideo Nakata (Ring, Dark Water) consacra à Konuma en 2000 : Sadistic and Masochistic. Si d’un point de vue formel ce document est assez ingrat (Nakata interroge Konuma et nous propose une succession de témoignages de ses divers collaborateurs), il permet néanmoins d’éclairer la personnalité d’un cinéaste à la fois calme et réservé mais d’une incroyable intransigeance. Au départ, l’idée d’un metteur en scène sachant ce qu’il veut émerge avant que plusieurs confessions nous dévoilent certaines pratiques (à la limite de la tyrannie) qui ne seraient guère envisageables aujourd’hui. Pourtant, si certains (assistants, actrices) avouent l’avoir haï, tous s’accordent à lui trouver des qualités (y compris humaines : Konuma n’a jamais « laissé tomber » ses assistants, par exemple) et montrent surtout à quel point il a pris son métier au sérieux. Le « roman porno » n’était pas pour lui une basse besogne alimentaire mais bel et bien l’écrin pour poser un regard sur les relations humaines. A ce titre, le plus beau moment du documentaire est celui où Naomi Tani, habillée en kimono, revient au studio Nikkatsu après 20 ans d’absence et retrouve son mentor. Nakata les installe dans une salle de projection où ils regardent solennellement Une femme à sacrifier. Il y a ensuite quelque chose d’émouvant à les entendre revenir tous les deux sur cette expérience.

Au début des années 80, la donne a changé avec l’arrivée de la vidéo et la Nikkatsu pousse ses cinéastes à négocier un certain virage. Lady Karuizawa témoigne de cette évolution. Dans le cadre du « roman porno », on peut presque parler de superproduction de prestige : un récit plus long qu’à l’accoutumé (1h33 au lieu des 1h10 de rigueur), une construction romanesque plus élaborée avec des références à la culture européenne plus marquées (l’héroïne est une passionnée de Mozart, la trame scénaristique rappelle parfois L’Amant de Lady Chatterley de D.H. Lawrence) et des moyens mis au service d’une mise en scène soignée.

Lady Karuizawa narre les aventures d’un jeune homme pauvre qui arrive à Karuizawa, une petite ville où se réfugiaient les riches tokyoïtes pour échapper à la chaleur étouffante de l’été, pour y devenir serveur dans un restaurant chic. Lors d’une soirée privée chez un très riche notable, Junichi trébuche et renverse un plat sur les invités. Violemment pris à parti par le maître de maison, il est défendu par son épouse Keiko (Miwa Takada) qui finira par l’engager comme précepteur de son fils. Malmenée par son mari et délaissée, Keiko va peu à peu vivre une aventure passionnelle avec le jeune homme…

Si Konuma traite une nouvelle fois des rapports de domination et de soumission, il le fait cette fois dans le cadre plus large des rapports sociaux. Dans le cadre de son foyer, Keiko est victime de l’ordre patriarcal puisque son mari la trompe mais qu’elle doit accepter tous ses désirs lorsqu’il daigne rentrer à la maison. Junichi, quant à lui, est victime de sa condition sociale et doit subir de constantes humiliations, notamment de la part de la nièce de Keiko qui l’oblige à s’agenouiller devant elle et à boire du vin en léchant sa jambe et ses pieds.

Les rapports sexuels traduisent ici les rapports de classe, entre asservissement et humiliation. Mais on sait également que le terme « roman » utilisé pour désigner le genre a fini par recouvrir le sens de « romantique ». Lady Karuizawa en constitue un bon exemple puisque la passion amoureuse finit par abattre les barrières sociales et offre à Keiko un moyen de s’épanouir qui aboutira à son extraordinaire sourire final. L’un des grands intérêts du film tient à la performance de Miwa Takada, actrice venue du cinéma « classique » (elle tourna beaucoup sous la direction de Misumi, et notamment dans la saga Zatoichi) qui, après une période d’éclipse (elle n’avait pas tourné depuis 12 ans), tenta un retour par le biais du cinéma érotique. Grâce à cette comédienne magnifique qui doit lutter à la fois contre sa condition sociale de femme asservie et contre le temps qui file, Konuma signe un film élégant et soigné qui tranche peut-être avec la violence inouïe de ses grandes œuvres des années 70 mais qui témoigne de son attachement indéfectible aux grandes figures féminines…

(à suivre…)

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Roman porno : une histoire érotique du japon

Coffret 10 films.

Éditions Elephant Films

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A propos de Vincent ROUSSEL

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