Christine (Eva Green), une créatrice de mode à succès, voit son état physique et mental se dégrader sous l’effet d’une mystérieuse maladie. Surgit de nulle part, une jeune femme philippine se présente à son domicile en prétendant identifier l’origine du mal. L’arrivée dans un foyer d’une nurse au comportement sibyllin, la remise en cause d’un équilibre familial déjà fragilisé, The Nocebo Effect s’engage sur un terrain aux contours familiers. Les nounous maléfiques pourraient constituer un « sous-genre » horrifique à part entière, on se souvient encore des nuits cauchemardesques dans lesquelles nous ont plongé les charnelles et bienveillantes Mme Mott (Rebecca de Mornay) dans La main sur le Berceau (Curtis Hanson, 1992), Kate (Carey Lowell) dans La nurse, (William Friedking ,1990), et, plus récemment, les troubles engendrés par la gracile Leanne Grayson (Nell Tiger Free) dans les deux saisons de Servant, la malicieuse série produite par M. Night Shyamalan. Malheureusement, pour le spectateur en quête de rebondissements singuliers, le récit mis en place par Lorcan Finnegan n’échappe pas à sa prédisposition programmatique. Entre le profond sentiment de déjà–vu, que ce soit l’emprise exercée sur l’enfant ou le comportement de l’époux incrédule (Mark Strong), et les révélations très progressivement amenées (les motivations secrètes de la mystérieuse jeune femme), tout s’enchaîne prosaïquement. Mais, le twist est ailleurs, l’originalité naît de l’ambition d’inscrire l’horreur dans une perspective éminemment politique. Une dénonciation de la rentabilité économique au détriment des pays à faibles coûts de production. Perçu dans un premier temps comme de nature exogène, le mal qui menace la famille ne fait que finalement revenir à son terreau d’origine. Bien plus qu’une vengeance, c’est un juste retour des choses, l’ordre naturel de la vie comme le comprend si bien Roberta, l’enfant du foyer, à propos d’un tout autre exemple : « Les oiseaux mangent les vers alors que les verts mangent les oiseaux morts ». Si on peut légitimement apprécier la dénonciation de notre paisible et bien-pensant vieux continent, on regrettera le manque d’inspiration qui accompagne la démonstration. Le montage parallèle et les explications de texte dialoguées auraient pu être notablement réduits sans nuire pour autant à la clarté de l’énoncé.

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Pour le couple ; une somptueuse maison au cœur d’un quartier résidentiel, l’école privée pour leur enfant, des activités professionnelles exaltantes, tout cela apparaît si parfait que cela en devient proprement irréel. Comme dans le précédent film de Finnegan, Vivarium (2020), le fantastique naît d’un quotidien qui tourne inlassablement à vide. Entraînant ici des symptômes psychosomatiques protéiformes chez son héroïne principale, sources de véritables souffrances physiques, certes, mais aussi d’une amnésie auto diagnostiquée, très commode pour se dédouaner des actes qui portent à conséquence. Là aussi, il s’agit d’une vive dénonciation de la déshumanisation de nos sociétés, de l’aliénation dont nous sommes à la fois victimes et coupables. Mais, fort heureusement, contrairement à son versant altermondialiste, la mise en scène employée dans le cadre de la sphère privée se révèle plus bien inspirée. Finnegan prend un malin plaisir à transformer en véritable enfer la tour d’ivoire tant choyée par le couple en sursis. Dès l’ouverture du film la souffrance est déjà omniprésente. L’atmosphère lourde et la lumière froide ne cesseront de peser sur une existence qui ne connaîtra aucun moment de bonheur sincère. Les visages figés ne se dérident que par pure convention (relations professionnelles de Christine) ou par réflexe, sans âme, y compris chez la petite fille. Même les plans larges et les plans moyens renvoient un sentiment de confinement. Tenu à distance, le spectateur ne peut qu’assister, sans empathie, à la rapide désagrégation d’une existence présumée idéale. Une histoire de fantômes qui n’est pas sans rappeler le célèbre et maintes fois adapté roman d’Henry James, Le tour d’écrou (1898). The Nocebo Effect n’a pas pour vocation d’être diffusé en salle. Dommage d’être ainsi privé d’un degré supplémentaire de sensations. Sur les plateformes, il tiendra largement la dragée haute aux meilleurs épisodes de Black Mirror.

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A propos de Jean-Michel PIGNOL

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